QUESTIONS AUX INVITES
Je remercie les groupes qui ont permis ce débat, ainsi que les intervenants pour leur témoignage. Je pense en particulier au témoignage bouleversant de Lina Chamlal, donnant à voir un système qui tend à s’écrouler, selon les mots des travailleurs sociaux. Je vous souhaite à tous une longue et belle vie, et vous remercie pour le courage dont vous avez fait preuve en venant témoigner.
J’évoquerai le sujet sensible de l’inceste. Le travail de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), sous la présidence du juge Édouard Durand, a permis de recueillir de nombreux témoignages et d’analyser l’ampleur du fléau. Selon un sondage réalisé par Ipsos en 2020, un Français sur dix confie avoir été victime d’inceste. En 2022, la Ciivise estimait à 160 000 par an le nombre d’enfants subissant des violences sexuelles.
Une étude édifiante réalisée dans mon département de Seine-Saint-Denis révèle même que, sur 100 mineurs victimes de violences sexuelles placés dans une structure de protection de l’enfance – parmi lesquels 72 avaient été victimes d’inceste –, 57, soit plus de la moitié, ont été victimes de violences sexuelles durant leur placement. La majorité de ces violences se sont produites dans leur lieu de placement, mais certaines ont eu lieu dans les foyers. Certains mineurs ont été agressés ou violés – je regrette d’avoir à tenir ces propos terribles, mais c’est la réalité – lors de l’exercice du droit de visite et d’hébergement accordé par le juge.
Alors que ces enfants devraient être protégés de toute violence, certains continuent à être victimes de violences sexuelles et d’autres subissent des violences sexuelles dont ils n’étaient pas victimes auparavant.
Comment expliquez-vous ces défaillances ? Selon vous, quels dispositifs doivent être instaurés ou renforcés pour mettre ces enfants à l’abri ?
Mme la présidente
La parole est à Mme Lina Chamlal.
Mme Lina Chamlal
Ancienne enfant placé
En plus de l’inceste, il faut parler de la prostitution, car les deux sujets sont liés : avant de nous prostituer, nous avons été violées. J’ai eu deux studios ; la première fois, je me prostituais dans les appartements voisins. La deuxième fois, les éducateurs avaient un doute, mais ne savaient pas ce qui se passait, car personne n’était là le soir pour parler. À cette époque, j’étais adolescente et je n’avais pas vraiment conscience de ce que je faisais. Je pense qu’il est important de rappeler que la prostitution existe aussi dans les foyers.
Mme la présidente
La parole est à M. Amer Achraf.
M. Achraf Amer
Ancien enfant placé, membre du comité de vigilence
Pour éviter que les violences sexuelles se répètent lors du placement, il serait judicieux de créer des organismes de contrôle des structures d’accueil. Certains de ces organismes pourraient dépendre de l’État, et d’autres, être indépendants ; par exemple, des associations pourraient instaurer des protocoles de contrôle. Il importe aussi de recueillir la parole des enfants, car il est difficile, quand on est victime des actes d’un éducateur, de se confier à d’autres éducateurs de la même équipe.
Mme la présidente
La parole est à M. Lyes Louffok.
M. Lyes Louffok
Militant des droits de l’enfant
Le problème est complexe. Bien sûr, il n’existe pas de solution miracle. La question des violences sexuelles au sein des institutions de l’ASE ne se résoudra pas sans un renforcement considérable de la pédopsychiatrie, y compris lorsqu’il s’agit d’accompagner les enfants auteurs de violences. En effet, loin d’être des délinquants, ils sont eux aussi des victimes, et il importe que la société les considère comme tels.