Interventions

Evaluation et contrôle du Gouvernement

Débat sur le thème"Bilan des politiques publiques de défense et de promotion de la laïcité"

J’ai découvert la laïcité en militant tout jeune dans une amicale laïque. Je crois que le pays en était alors rempli – on y faisait du sport et des activités périscolaires. C’étaient souvent les enseignants qui animaient ces amicales – les mêmes hussards de la République qu’on retrouvait dans les écoles, et qui nous expliquaient les choses, précisant notamment qu’il n’y avait pas de place pour la religion sur le terrain de basket, que je pratiquais en ce temps-là.

À l’époque – vous imaginez l’âge que j’ai –, ces questions ne se posaient pas autant. Mais nous avions un ami qui faisait un signe religieux à chaque fois qu’il entrait sur le terrain : les entraîneurs ainsi que le président du club ont expliqué que ce n’était pas le lieu, tout simplement. Aujourd’hui, on ne peut pas regarder un match de foot sans avoir affaire à ces signes religieux, diffusés à la télévision. On a l’impression, alors que nous – les gens comme moi, les athées – sommes les plus nombreux, d’être un peu has been et à l’écart par rapport aux gens qui pratiquent une religion, quelle qu’elle soit.

Cet engagement dans l’éducation populaire – et non pas seulement dans l’éducation scolaire, même si on a pu évoquer tout à l’heure les programmes éducatifs –, dont nous avons vu fondre le dispositif au fil des décennies, contribuait aussi à la laïcité, à défendre le fait que nous vivions ensemble, en portant des valeurs, notamment celles de la République.

J’entends les dispositions qui ont été prises pour que les fonctionnaires puissent incarner ces valeurs, mais nous devrions être attentifs à l’ensemble de la société. Le service public devrait prendre garde à ne pas nécessairement diffuser l’image de celui qui se signe en entrant sur le terrain, ou qui lève les bras au ciel après avoir marqué un but. Pourquoi favorise-t-on cela ? Ce questionnement doit, une fois encore, concerner l’ensemble de la société.

Mme la présidente

La parole est à M. Patrick Weil.

M. Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS, ancien membre du Haut Conseil à l’intégration

D’abord, je voudrais rappeler que la loi de 1905 intervient dans une France où la majorité de la population – y compris les instituteurs ! – va à la messe. Les instituteurs, laïques, pouvaient d’ailleurs être menacés par les curés à cette occasion. La loi de 1905 n’est pas une loi antireligieuse, mais areligieuse, qui sépare les églises et l’État.

Une deuxième chose à préciser, souvent ignorée, est que le législateur a souhaité, après débat – qui a eu lieu surtout au Sénat –, que la loi s’applique en Algérie. Il s’agit donc d’une loi à portée universelle, qui n’était pas réservée aux religions de la France métropolitaine. Alors que le code de l’indigénat organisait la discrimination pénale des musulmans d’Algérie, la loi de 1905 comportait une dimension universelle.

Troisième chose, en instituant la neutralité de l’État et de la fonction publique, la loi de 1905 institue des espaces distincts. L’État est neutre ; chez vous, vous pouvez organiser les cérémonies que vous souhaitez ; dans un lieu de culte, il est possible, dans le respect des lois de la République, de faire des signes ou des prières conformes à la religion qui occupe ce lieu. Voilà déjà trois espaces. Enfin, il y a le reste, c’est-à-dire l’espace public, qui accueille une diversité de situations, gérée en fonction des cas soumis au juge. Dans un État de droit, c’est le juge qui rendra les arbitrages, lorsque des tensions surviennent, sur ce qu’il convient de faire ou non dans ces différents espaces.

Mme la présidente

La parole est à M. Vincent Ploquin. sous-directeur des cultes et de la laïcité du ministère de l’Intérieur.

M. Vincent Ploquin

Votre question est très intéressante, car elle soulève une des grandes tensions du sujet laïque au sens large.

Dans l’administration, ce qui oriente est la laïcité comme principe juridique, qui est d’une application somme toute très claire. Il faut se la réapproprier, puisque se posent des questions que l’on ne se posait plus, et que nous avons collectivement à reposer, face à la résurgence de revendications religieuses dans des espaces où l’on avait perdu l’habitude qu’elles s’expriment.

À côté de cela, il y a ce que j’appellerai la régulation par la norme positive de l’expression religieuse dans des sphères où, jusqu’à présent, il n’y avait d’autre norme que celle, non écrite, du contrat social.

La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi El Khomri, en donne un exemple. Elle a introduit dans le code du travail la possibilité pour l’employeur de réguler, par le truchement du règlement intérieur, l’expression religieuse se faisant au moyen du port de signes distinctifs – au nom de considérations relevant certes de l’hygiène et de la sécurité, mais aussi au nom du lien avec le client ou de la bonne marche de l’entreprise. Cette disposition n’a donc, d’une certaine façon, rien à voir avec la laïcité entendue comme un principe juridique réglant les liens entre les citoyens et l’administration, ou bien avec le fonctionnement de cette dernière.

L’enjeu est donc pour nous, d’une part, d’appliquer et de faire appliquer pleinement la laïcité, dans toute sa force juridique, avec de nouveaux instruments tels que le référé laïcité. C’est là une question de droit, dans le but prévenir tout empiètement du religieux sur l’action publique, en conformité parfaite avec l’esprit de la loi de 1905. Mais, d’autre part, il existe d’autres sphères, que le professeur Weil vient d’évoquer et qui, par un contrat social implicite, doivent échapper à des revendications de nature religieuse.

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