DISCUSSION GENERALE
Nous sommes invités à débattre de la mise en œuvre des conclusions du rapport d’information publié il y a quatre ans sur l’évaluation de la lutte contre la contrefaçon. Depuis la publication de ce rapport et du rapport conjoint de la Cour des comptes, la circulation de produits contrefaits a considérablement progressé.
Maroquinerie, chaussures et vêtements de luxe, médicaments, jouets, pièces détachées de voiture : aucun secteur n’est épargné. En parallèle des contrefaçons diverses, c’est aussi les trafics de tabac, de stupéfiants et d’armes qu’il faut combattre. Alors qu’elle est particulièrement néfaste pour la sécurité des consommateurs, la contrefaçon vient en bas de la pile des priorités du gouvernement.
La France fait partie des pays européens les plus touchés par le phénomène. On peut, on doit faire mieux ! Le commerce en ligne est quotidien et donne lieu à une avalanche de flux de fret express et postal face à laquelle nos services de douanes ne peuvent faire face. Les saisies douanières progressent, il est vrai : la douane française a ainsi retiré du marché plus de 20 millions d’articles l’an passé, contre 11 millions en 2022 et 9 millions en 2021, mais ces chiffres mettent surtout en relief l’ampleur croissante du phénomène de la contrefaçon, dont les trafics alimentent souvent des groupes criminels organisés en réseaux très structurés. Et si un réseau de contrefaçon de jouets pour enfants alimentait une attaque terroriste ou la traite d’êtres humains ?
Pour lutter contre ce phénomène, le plan national de lutte contre la contrefaçon présenté cette année propose de renforcer les coopérations entre partenaires institutionnels et privés, les coopérations internationales, les contrôles interministériels sous l’égide du groupe opérationnel national antifraude (Gonaf) ou encore la cybersurveillance. Le rapport que nous examinons aujourd’hui préconise, quant à lui, de créer une réserve citoyenne de l’administration des douanes, d’harmoniser les prérogatives de la police judiciaire et celles de l’administration des douanes, d’organiser des campagnes nationales de communication – faire plus sans augmenter les moyens. Les services de douane remplissent un rôle de service public en protégeant les consommateurs : faudrait-il donc compter sur des bénévoles pour assurer la sécurité des Français ?
Il y a trente ans, 600 douaniers travaillaient au Havre, le premier port français ; ils ne sont plus que 350 aujourd’hui. Certes, des procédures de ciblage de la contrefaçon ont été mises en place, mais elles ont entraîné une baisse des effectifs et, partant, des capacités de contrôle. Alors que les problèmes sont connus, les gouvernements successifs s’emploient à mettre les douanes à genoux. À l’échelle nationale, 6 000 postes ont été supprimés en vingt ans dans l’administration des douanes, dont 550 depuis 2020. Cette situation est d’autant plus aberrante que l’action des douanes se traduit par des suppléments de recettes pour l’État ! Un douanier rapporte plus que ce qu’il coûte.
En septembre 2022, un rapport du Sénat relevait une baisse d’un quart des effectifs de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) entre 2007 et 2022, de sorte qu’il manque aujourd’hui au moins 4 000 postes à la répression des fraudes. Comment prétendre mener à bien la lutte contre un fléau multiforme, traquer les ventes de contrefaçons en ligne, permettre aux agents des douanes et à ceux de la répression des fraudes de jouer leur rôle de protection de la population, sans des moyens renouvelés ?
Nous ne sous-estimons pas l’importance des actions de sensibilisation du public aux enjeux de la contrefaçon, ni celle de la coopération et de la coordination des services, mais ces avancées réglementaires, aussi louables soient-elles, ne seront efficaces que si elles s’adossent à un service public performant, doté d’effectifs en nombre suffisant et d’un budget adéquat.
N’en déplaise au ministre de la liquidation du service public – qui ne cache pas son mépris pour les agents publics, toutes catégories confondues –, il est urgent de renforcer les effectifs des fonctionnaires qui luttent contre une fraude envahissant tous les territoires au profit des grands réseaux criminels. Nous devons reconnaître et valoriser leurs missions essentielles, qu’il s’agisse de la protection de la santé et de la sécurité des Français, du soutien aux entreprises – vous l’avez dit et cela doit être répété – ou du contrôle de la loyauté et de la probité des échanges – sur ce point, je renvoie aux propos de mon collègue Joël Bruneau sur les relations interétatiques. Telle n’est manifestement pas l’ambition du gouvernement : en prévoyant seulement 50 postes supplémentaires dans les douanes en 2025, il envoie aux fraudeurs le message qu’ils peuvent continuer d’agir en toute impunité !