Interventions

Evaluation et contrôle du Gouvernement

Débat sur le rapport de la commission des affaires sociales sur l’évaluation de la loi du 05/09/18 pour la liberté de chosir son avenir professionnel

Hier, alors que je préparais la présente séance, je recevais un message sur mon téléphone : « Votre solde CPF 2022 est à jour : + 380 €. Vérifiez et utilisez vos droits avant expiration ! » Il n’en fallait pas plus pour me mettre d’humeur allante. Cela ferait une bonne entame à mon intervention. Je cliquai sur le lien : « Veuillez répondre aux cinq questions pour bénéficier d’une formation intégralement financée par l’État.

Nous vous aiderons à vérifier vos droits et vous orienterons vers une formation correspondant à vos attentes, en fonction de vos réponses. » Quelques clics peu nombreux : anglais ou informatique, je n’avais qu’à cliquer une ou deux fois, et mes 380 euros étaient bientôt consommés.

On m’a rapporté que, devant un supermarché d’une grande enseigne, sur la Côte d’Azur, se trouvait un « bureau mobile », une camionnette en fait, qui vous propose de dépenser l’argent de votre CPF pour une formation linguistique et même de toucher un petit bon d’achat en retour.

Après ça, vous pourrez nous amuser de tous types de dithyrambes sur les bienfaits de votre réforme : vous avez marchandisé et consumérisé la formation professionnelle et ce n’est pas pour le meilleur. C’était le volet « et en même temps » censé contrebalancer la dévastation libérale des ordonnances sur le travail. En fait, même pas : vous déconstruisez tout « en même temps ».

Votre opération transforme l’heure de formation en un billet de 25 euros, comme si c’était équivalent. La durée de formation a vertigineusement chuté de 300 heures en 2016 à 67 heures aujourd’hui, et le coût moyen de 2 500 à 1 235 euros. Des formations moins longues et moins qualifiantes. Le trio de tête, c’est le permis de conduire, les langues et les bilans de compétence, ce qui n’est pas rien mais bien loin des ambitions nécessaires. Le résultat est net. Voilà ce que cachent vos chiffres sur l’augmentation du nombre de salariés qui utilisent leur compte. Vous portez en fait atteinte à la qualité globale de la formation professionnelle, alors que nous avons besoin d’élever le niveau.

Faute de régulation, de vagues organismes de formation se créent pour siphonner les droits en euros inscrits sur les comptes de formation des salariés. Plus largement, cette monétisation du CPF a créé un système inflationniste en renchérissant les coûts de formation sans garantir des droits suffisants aux salariés pour envisager par exemple des reconversions. En réalité, vous avez instauré un système « carte Bleue » où l’intermédiation demeure marginale et dans lequel la véritable « liberté de choisir son avenir professionnel » est réservée à une minorité qui aura les moyens de compléter ses droits avec ses finances personnelles. Et vous en avez profité pour alléger les obligations des employeurs en matière de formation professionnelle, jusqu’à réduire le taux de l’obligation légale payée par les entreprises.

Votre loi est une réforme dangereuse, bien loin d’un véritable droit de se former tout au long de son existence selon ses aspirations, et en prise avec les mutations technologiques, les métiers émergents et les grands défis.

Vous préférez organiser la confusion entre formation initiale et continue. Avec cette réforme, vous avez également réussi à déléguer au marché le système d’apprentissage, tout en entérinant l’affaiblissement des lycées professionnels. La privatisation de la politique d’apprentissage ne constitue pas à nos yeux une solution. La possibilité est dès lors accordée aux entreprises de créer leurs propres centres de formation, avec le risque de voir se créer un diplôme par entreprise, au détriment de toute politique d’ensemble centrée sur les métiers et la qualification. Et comme nous l’avions craint, pas moins de 20 % des CFA se trouvent plongés dans des difficultés financières dont on peut redouter les conséquences.

Enfin, avec la promesse d’une assurance chômage universelle, on en est resté à l’affichage. Les conditions ont été conçues de manière tellement restrictive que seulement 800 indépendants en ont bénéficié en 2020, selon un rapport parlementaire, auxquels il faut ajouter quelques milliers de démissionnaires. En revanche, on retiendra que le Gouvernement est passé en force pour imposer de nouvelles règles d’indemnisation chômage qui affecteront plus d’un million de personnes privées d’emploi.

Je veux pour terminer vous dire ma colère devant l’abandon par l’État de son outil de formation professionnelle, l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), qui ne trouve pas de véritable place dans le dispositif alors que nous avons tellement besoin.

Alors qu’il faudrait une politique publique, vous vous en remettez au marché – ce n’est pas une surprise. Il faut une autre vision, adossée à un grand service public de la formation et à une sécurisation des parcours entre emploi et formation. « Libérer, protéger », aviez-vous chanté, parodiant la reine des neiges. La phrase suivante, c’est : « Je ne mentirai plus jamais. » La vérité, c’est que cela s’est traduit par un affaissement considérable des protections collectives, avec un système de formation revu à la baisse et des droits au chômage rabotés. Dressez donc un vrai bilan ! (MM. André Chassaigne et Jean-Hugues Ratenon ainsi que Mme Michèle Victory applaudissent.)

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