Interventions

Evaluation et contrôle du Gouvernement

Débat sur la lutte contre la fraude sous toutes ses formes

« La fraude sous toutes ses formes ». Un thème aussi large aurait pu sembler inadapté pour une heure trente de débat. Néanmoins, après avoir pris connaissance des initiateurs du débat, j’ai compris qu’il s’agissait non pas d’un manque d’inspiration sur la question, mais bien d’une volonté de masquer l’objectif réel du débat : passée une dénonciation rapide de la fraude fiscale, certains voudraient glisser aisément vers leur thème de prédilection, sinon leur mantra, à savoir la fraude sociale, a fortiori celle des étrangers.

Très souvent confrontés aux propositions des élus de la NUPES contre la fraude fiscale des plus aisés ou des grandes entreprises, les élus de la droite et de l’extrême droite de cet hémicycle se sont souvent rangés derrière la majorité présidentielle pour refuser toute évolution. Ils sont en revanche particulièrement disposés à voter toutes les mesures visant à introduire des cartes Vitale biométriques, à accroître les contrôles sur les arrêts maladie, à fliquer les chômeurs.

On ne saurait pourtant faire illusion en instillant l’idée que toutes les fraudes se valent. Bien au contraire, il faut le rappeler encore et encore, la fraude des pauvres est une pauvre fraude. Si les évaluations restent imparfaites, les rapports parlementaires et ceux de la Cour des comptes permettent d’estimer un ordre de grandeur de la fraude aux prestations sociales : entre 1 milliard et 2 milliards d’euros. Ainsi, la fraude au RSA approcherait 800 millions, quand la fraude aux allocations familiales ne dépasserait pas 120 millions. Mes collègues l’ont dit, la fraude sociale est d’abord la fraude aux cotisations sociales et le recours au travail dissimulé.

De tels ordres de grandeur ne sont bien entendu pas à négliger, car c’est le consentement à la solidarité qui peut être abîmé. Toutefois, ils semblent relativement modestes une fois rapportés au montant des prestations sociales délivrées chaque année, soit près de 600 milliards, et devant celui du non-recours à ces prestations, évalué à plus de 10 milliards.

II nous revient donc de nous concentrer sur le réel fléau de notre société, sur la vraie fraude : la fraude fiscale. C’est celle qui coûte cher ; celle qui détruit l’égalité républicaine permise par les services publics en grevant le budget de l’État de 80 milliards à 100 milliards chaque année par l’évasion fiscale ; celle qui détériore le consentement à l’impôt dès lors que le taux effectif d’imposition des 370 ménages les plus riches est de 2 %, comme l’a montré l’économiste Gabriel Zucman ; celle qui se règle dans le secret des bureaux de Bercy, le contrevenant pouvant négocier son amende au moyen de dispositifs tels que les règlements d’ensemble. Bien entendu, nous n’oublions pas la fraude des grands groupes à la TVA, notamment au moyen du fameux « sandwich hollandais ».

Au vu de ces éléments, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales aurait dû être érigée en priorité nationale. Pourtant, depuis 2017, elle est restée un sujet plus que subalterne. Aux yeux des experts de l’optimisation fiscale, la liste des paradis fiscaux instaurée par la France en 2018 s’apparente à un conte pour enfants. Parmi les douze pays et territoires qui aident le plus les entreprises à échapper à l’impôt en France, seules les Bahamas et les îles Vierges figurent sur notre liste, tandis que le Luxembourg, l’Irlande, les Bermudes et Jersey y échappent.

Dans la même logique, le récent accord sur l’imposition minimale des multinationales a été vidé de sa substance. S’il empêche les délocalisations artificielles de bénéfices, il ne sera d’aucun effet pour les multinationales qui exercent des activités dans des pays pratiquant des taux prédateurs d’impôt sur les sociétés ; il pourrait même tendre à accroître et à légitimer la concurrence fiscale entre les pays.

Loin de ces avancées lentes et en trompe-l’œil, la France pourrait d’ores et déjà agir de manière unilatérale. Les aides publiques, qui représentent 200 milliards d’euros par an, pourraient être limitées pour les multinationales qui exercent dans certains pays pratiquant une concurrence fiscale trop féroce. Le Gouvernement pourrait aussi laisser le Parlement légiférer directement pour transposer la directive sur le reporting public, plutôt que de le faire par ordonnance comme il le prévoit. Enfin, il s’agit de redonner les moyens de contrôle et de poursuite à la DGFIP et au parquet national financier.

Les pistes pour lutter efficacement contre la fraude fiscale sont nombreuses et d’ampleur. Elles doivent désormais constituer une priorité, loin des cartes Vitale biométriques, dont l’unique objectif est d’opposer les Français les uns aux autres, alors même qu’il faut rassembler et retrouver le chemin du consentement à l’impôt comme contribution juste en fonction de ses capacités, ainsi que l’énonce notre texte fondamental. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)

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