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Evaluation et contrôle du Gouvernement

Débat sur comment construire une véritable défense européenne

D’aucuns, en leur temps, auraient pu dire qu’en invoquant l’Europe de la défense, nous sautions comme des cabris ; or il ne s’agit pas de gesticuler, mais de construire lucidement une sécurité collective européenne, ce qui exige en premier lieu une approche fondée sur la paix et l’indépendance, donc une rupture nette avec l’Otan, à tout le moins une sortie de son commandement intégré. En effet, comment les grands discours sur l’autonomie stratégique pourraient-ils être crédibles, quand aucune dépendance structurelle n’est remise en cause ? De Brest à Vladivostok, ou de Saint-Étienne-du-Rouvray à Saint-Pétersbourg, il nous faut, comme en 1975 par l’Acte final d’Helsinki, refonder la sécurité européenne sur nos propres bases.
Je n’ai de cesse de le répéter : nous, députés du groupe GDR, souhaitons renforcer la défense. Seulement, au lieu qu’une Europe fédéraliste et militarisée confisque notre souveraineté, nous voulons une autonomie stratégique véritable, fondée sur des coopérations nouvelles. Il est préoccupant que nombre de discours actuels exaltent l’Europe de la défense, non en tant que projet collectif, mais comme prétexte à une illusoire économie de guerre –⁠ prétexte dont s’est servi le premier ministre pour conclure précipitamment le conclave sur les retraites, refusant aux syndicats de travailleurs, au nom du contexte international, de discuter du report de l’âge légal de départ. En d’autres termes : plus d’obus, moins de sécu ! La course aux armements prévue dans le cadre de ReArm Europe coûtera ainsi –⁠ cela a été dit tout à l’heure – 800 milliards d’euros, sans nouvelles recettes, à nos services publics au profit d’industriels de la défense souvent vassalisés, pire, financiarisés.
Derrière les grands mots d’autonomie stratégique, derrière le drapeau de la défense européenne, nos entreprises de défense sont bradées : l’usine chimique Vencorex, rachetée il y a quelques semaines par un groupe chinois, sans que l’État n’intervienne ; Éolane, producteur de cartes électroniques, en redressement judiciaire ; Verney-Carron, dernier fabricant d’armes légères du pays, fournisseur du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) et de l’armée française, qui passe sous pavillon étranger –⁠ et tant d’autres. Qui a parlé de nationalisation, de relocalisation ? Encore vous épargnerai-je l’histoire du choix de l’Américain Hewlett Packard Enterprise en vue de construire pour nos armées un supercalculateur consacré à l’intelligence artificielle.
Pendant que l’on agite le drapeau de l’Europe de la défense, le cours des actions des groupes de l’industrie militaire flambe : 65 % en quatre mois pour celles de Dassault Aviation, 75 % pour celles de Thales, qui avant même cette explosion boursière avait versé à ses actionnaires 1 milliard d’euros au titre de l’exercice 2024 ! Au sein des entreprises de ce même groupe, cela fait dix-sept semaines que les grèves s’enchaînent, une perte nette de 1 000 emplois, des retraités rappelés faute de formation des jeunes aux affaires militaires ; là encore, j’en passe. Si l’argent de la commande publique, notre argent, ne reparaît ni dans les salaires, ni dans l’investissement au profit de l’outil industriel, il aboutit logiquement, en majorité, dans les poches des actionnaires !
Le capitalisme financiarisé reste de toute évidence incompatible avec une planification industrielle au profit de notre autonomie stratégique. Or il est urgent de reconstruire, avec un pilotage public, notre BITD, ce qui implique de sortir du court-termisme financier et de planifier sur le long terme. D’ambitieux défis européens s’offrent à nous. Je pense à Iris2 : ce système satellitaire de connectivité sécurisée constitue une nécessité si nous ne voulons pas revivre l’humiliation d’il y a quelques mois, lorsque les télécommunications mahoraises ont été rétablies grâce à Starlink, la constellation de satellites d’Elon Musk. Nous avons besoin de savoir-faire, de compétences ; elles sont déjà là ! Enfin, il est vital de réaffirmer que l’Europe de la défense ne sera pas une Europe des canons, mais du droit. Cela passe par un engagement renouvelé en faveur de la paix, par le dialogue avec les Brics+ et les pays du Sud global. La France porte une responsabilité immense : refuser la spirale belliciste, faire triompher la coopération, la solidarité, la paix. Telle doit être notre boussole pour une Europe de la sécurité collective.

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