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Déclaration du Gouvernement relative au programme de la présidence française du Conseil de l’UE, suivie d’un débat

Le présent débat tel qu’il est posé nous interroge profondément, tant sur la forme que sur le fond.

Sur la forme d’abord, tout le monde se pose la même question : pourquoi la France a-t-elle accepté de prendre la présidence du Conseil de l’Union européenne dans un semestre d’élections nationales ? (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)

En 2006, l’Allemagne avait échangé sa présidence du Conseil de l’Union européenne avec la Finlande afin d’éviter la concurrence entre les élections et la présidence. L’arrogance macronienne démontre une fois de plus que Jupiter veut rester au-dessus des règles. Ce mélange des genres interroge d’ailleurs quant à l’équité de l’élection présidentielle. La présidence française n’entachera-t-elle pas l’élection présidentielle d’irrégularité ?

Ensuite, l’ambition du plan français visant à tout changer en six mois en Europe est déconnectée de la réalité.

Depuis 2009, la présidence du Conseil n’a qu’un rôle symbolique, et l’annonce en grande pompe, jeudi dernier, du programme français n’est qu’un enfumage destiné à lancer une campagne présidentielle sur le thème européen. À ce sujet d’ailleurs, toutes les présidences s’organisent d’habitude entre trois pays pour coordonner les efforts sur dix-huit mois et créer ainsi des synergies plus longues. Vous n’avez pourtant jamais mentionné la Suède ni la République tchèque, avec qui nous partageons ces dix-huit mois de présidence. Quel grave manque de respect pour ces partenaires !

Sur le fond, l’objectif d’Emmanuel Macron tient en un slogan marketing : « relance, puissance, appartenance », la vieille Europe devient la RPA. Vous utilisez ces mots pour dessiner une Europe sur la défensive, retranchée derrière ses frontières. Les députés communistes sont totalement opposés à ce projet. Sur la défense, vous voulez que l’Union européenne se replace sous la tutelle américaine de l’OTAN et abandonne l’idée d’autonomie stratégique. Après avoir rassasié notre industrie de l’armement en vendant quatre-vingts Rafale et beaucoup de matériel de guerre la semaine dernière à quelques belligérants brutaux, ce secteur n’y verra sûrement plus d’inconvénients. Mais pourquoi vouloir à tout prix une armée si, à l’échelle de la diplomatie, nous ne sommes pas capables de parler d’une seule voix dans les instances internationales ? Votre notion de « puissance » est aveugle ! Sébastien Jumel vous a interpellé sur la pêche, monsieur le Premier ministre : où est la puissance européenne sur cette question ?

Elle est totalement absente.

Les communistes, eux, proposent un axe européen simple – basique, peut-être : le respect du droit international et l’action pour la paix. Refonder la paix sur notre continent doit s’appuyer sur un traité de paix, de coopération et de sécurité collective, qui promouvra une ambition pacifique avec notre voisinage – notamment la Russie, mais pas uniquement elle. Pour cela, notre première mesure sera la sortie du commandement intégré de l’OTAN, en proposant la même chose aux autres États afin de dissoudre cette machine de guerre inutile et coûteuse qui importe sur notre continent de dangereuses tensions. La seconde mesure consistera à faire de notre continent une zone sans armes nucléaires : le respect du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) l’exige. À nous d’être enfin à la hauteur, en nous appuyant sur le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) entré en vigueur il y a un an.

Le respect du droit international, c’est aussi suivre, contrairement à vous, les résolutions des Nations unies. Sur la Palestine, le groupe En Marche s’est abstenu au Sénat sur une résolution déposée par le groupe communiste demandant de profiter de la présidence française pour faire avancer la solution à deux États ! C’est lutter contre le régime d’apartheid en sanctionnant véritablement le gouvernement de Tel Aviv. C’est aussi agir sur le Sahara occidental ou contre le blocus imposé à Cuba. La situation de Chypre doit aussi être réglée sur la base des accords trouvés à Crans-Montana, dans la perspective d’une fédération bizonale et bicommunale avec souveraineté internationale unique. Et que dire de l’Irlande, menacée par l’accord du Brexit ? Il faut impérativement encourager l’organisation d’un référendum sur l’unité irlandaise, comme le permet l’accord du Vendredi saint de 1998 !

Notre Europe ouverte sur les peuples du monde se battra pour la levée des brevets et le transfert des technologies sur les vaccins et sur les traitements contre la covid-19. Plus de 150 pays de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) exigent ce transfert depuis octobre 2020. Rejoignons le mouvement, car nous ne sortirons de cette crise sanitaire qu’en nous donnant les moyens de soigner tout un chacun, où qu’il vive dans le monde. Vous vous êtes contenté, monsieur le Premier ministre, de rappeler les dons effectués dans le cadre du dispositif COVAX : c’est très largement insuffisant !

Une Union européenne solidaire avec les peuples, c’est aussi changer notre vision des frontières et de l’accueil. Il faut dissoudre l’Agence européenne de gardes-frontières et de garde-côtes (FRONTEX) et fonder un nouveau pacte sur la migration et l’asile. La forteresse européenne n’apporte que la mort aux migrants, alors que nous devrions être une terre d’asile et de vie ouverte sur le monde. À rebours des excités d’extrême droite, nous nous devons d’être bien plus humains avec ces femmes et ces hommes qui fuient la misère ou la guerre. Nous, députés communistes, refusons cette diversion : le problème de l’Union européenne, ce ne sont pas les migrants, c’est la protection des travailleurs et du travail.

Vous faites l’impasse sur la construction de cette Union européenne protectrice. Votre accord sur ce qui est abusivement appelé le SMIC européen ne propose que l’extension de conventions collectives aux salariés européens. Une véritable ambition nous obligerait à faire bien plus pour eux ! De telles urgences sociales, démocratiques et écologiques requièrent une radicalité constructive et démocratique sans laquelle les peuples se déchireront à mesure que la pression écologique augmentera. Le coût des énergies, les pénuries de matériaux, l’absence de souveraineté sur beaucoup de matières premières et la désindustrialisation amplifieront la crise sociale.

Cette crise déchire déjà les milieux agricoles : trop de gens ne vivent de presque rien et la politique agricole commune (PAC) ne fait qu’amplifier les inégalités. Alors que 7 % des Européens souffrent de sous-alimentation et que le gaspillage alimentaire représente 88 millions de tonnes chaque année, il faut revoir de fond en comble notre modèle agricole et rompre avec le productivisme, l’industrialisation et les accords de libre-échange. La juste rémunération des paysans et la transition vers une agriculture locale et durable sont une priorité absolue des communistes.

L’urgence sociale à l’échelle de l’Union européenne commande de faire en sorte que la loi française sur le devoir de vigilance des entreprises donneuses d’ordre à l’égard de leur chaîne de sous-traitance devienne une directive européenne, puis une résolution des Nations unies. La fin du monde et la fin du mois ne sont que les deux facettes du problème de l’épuisement du capitalisme et de sa voracité à rentabiliser jusqu’à la dernière ressource de notre planète avant de mourir. Nous attaquer à ce problème, c’est la vraie puissance que nous proposons aux citoyens. Pour rendre concrète cette puissance, nous mobiliserons les moyens financiers européens en mettant fin à la pseudo-indépendance de la Banque centrale européenne et en lui permettant de financer directement les États membres, tout en luttant contre l’évasion fiscale.

Le scandale des Pandora papers et celui, révélé hier, de l’impôt de solidarité sur la fortune Gate, ou ISF Gate, dispositif d’évasion fiscale qui concerne de grandes fortunes françaises, ont démontré que presque 12 000 milliards d’euros échappent à l’impôt. C’est pourquoi une révision de la liste des paradis fiscaux est nécessaire. Nous devons également instaurer un impôt international sur les sociétés au lieu d’appliquer le trop faible taux plancher d’imposition proposé lors du dernier G7.

C’est cela, une véritable politique de relance communiste ! L’environnement et le social doivent être l’alpha et l’oméga de toute relance, qui devra être pilotée de manière transparente et démocratique. Ce pacte de progrès social et de transition écologique représentera 6 % du PIB européen en investissements, soit 900 milliards par an, comme le préconise le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Nous avons d’ailleurs présenté la semaine dernière, dans le cadre de notre niche parlementaire, une proposition de résolution européenne relative au financement de la transition écologique que vous avez rejetée. Avec un plan de relance européen d’un montant de 750 milliards d’euros contre 4 000 milliards de dollars aux États-Unis, il est évident que notre continent, géant économique, n’est qu’un nain politique. Ce différentiel de puissance dans la relance saute aux yeux. Les députés communistes proposent de mobiliser au moins autant que les États-Unis, sous forme de subventions ou de dette perpétuelle à 0 %. Refusons de nous enchaîner aux marchés financiers ! Mais bien entendu, vous ne dites rien à ce sujet !

Vous êtes d’ailleurs en train de recoller discrètement aux critères budgétaires et au remboursement des dettes : le « quoi qu’il en coûte » sera donc financé par les contribuables. Merci pour eux !

Une Europe des peuples et des nations libres, souveraines et associées, c’est le projet que nous, députés communistes, défendons. Un projet fédérateur pour la jeunesse, c’est ce que défend notre candidat aux élections présidentielles Fabien Roussel. Pour cela, il faut oser rompre enfin avec les traités européens et le dogme de la concurrence. Voilà une union des peuples qui serait utile ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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