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Voies navigables de France

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.
M. Daniel Paul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au départ, il y a un constat partagé : l’urgence d’intervenir sur notre réseau fluvial, âgé, mais qui a surtout été délaissé pendant une longue période avec l’abandon de la maintenance courante et du renouvellement des ouvrages. Ainsi, 54 % des écluses et 63 % des barrages présenteraient un risque majeur de dégradation, voire de perte complète de fonction.
Par ailleurs, si le réseau est long, il manque de cohérence, et seules 20 % des voies permettent le transport de péniches de 650 tonnes, là où les Allemands sont à 70 %. En 1980, les voies fluviales navigables représentaient une longueur de 8 568 kilomètres dont 6 568 étaient fréquentés. En 2010, la longueur des voies fluviales navigables est de 8 501 kilomètres dont 5 110 seulement sont fréquentés.
Le constat est partagé ; certains objectifs le sont aussi : le Grenelle prévoit de faire progresser la part de fret non routier et non aérien de 14 à 25 %, à l’échéance 2022. Le fret fluvial par conteneur représente 30 % à Anvers, 4 % à Marseille et 3 % au Havre. En 2010, pour la première fois depuis les années soixante-dix, notre trafic a atteint 8 milliards de tonnes par kilomètre, mais il faudrait le doubler pour atteindre les objectifs du Grenelle d’ici à 2018.
Alors nous devrions tous conclure à un constat de carence de politique publique. Or votre réforme reste organisationnelle, au prétexte que VNF ne serait pas adaptée à l’accomplissement de sa mission. Vous lui transférez pas moins de 4 000 agents et lui octroyez des compétences reposant toutes sur l’idée qu’un domaine public fluvial doit participer aux dépenses engendrées par son exploitation, quitte à segmenter le réseau selon sa rentabilité économique.
Certes, le Gouvernement répond partiellement au manque de moyens financiers…
M. Thierry Mariani, ministre. Merci.
M. Daniel Paul. …en annonçant 840 millions d’euros d’investissements sur la période 2010-2013, et le schéma national des infrastructures de transport prévoit l’affectation de 2,5 milliards d’euros aux voies fluviales d’ici à 2018. Saluons l’intention, mais attendons surtout la concrétisation.
La méthode est tout aussi critiquable. Le 24 juin dernier, un protocole d’accord sur les voies navigables a été signé entre le ministère de tutelle et trois organisations syndicales : la CGT, la CFDT et l’UNSA. Il prévoit notamment, à la suite d’une demande exprimée par les salariés, le changement de nom de VNF, qui deviendrait une Agence nationale des voies navigables ; cette disposition est absente du texte. Il prévoit également que le domaine fluvial ne soit pas transféré en pleine propriété à l’établissement public ; ce n’est plus le cas dans le texte qui nous est soumis. J’ai bien entendu ce que vous avez dit, monsieur le ministre, et je reparlerai des conséquences de cette mesure si nos collègues de la majorité ne vous suivaient pas tout à l’heure.
Il était aussi prévu que la négociation sur la cartographie des emplois et l’évolution des qualifications et compétences nécessaires devait aboutir à un accord collectif avant la fin du débat législatif. Il semble aujourd’hui que la situation soit bloquée, à la suite du refus du Gouvernement de toute discussion sur le recrutement d’ouvriers des parcs et ateliers dans les services de navigation et de la suppression de 84 équivalents temps plein dans le projet de loi de finances pour 2012, au titre de la RGPP. Le risque est grand de ne pas parvenir à un accord au bout du parcours législatif, et de laisser ainsi le Gouvernement agir par décret, ce que redoutent à juste titre les salariés.
L’équilibre obtenu au Sénat est lui aussi largement remis en question. Il ne manque plus qu’un amendement qualifiant VNF d’établissement à caractère industriel et commercial et nous serons revenus à l’objectif initial.
Le Grenelle a montré que seule une régulation publique peut permettre d’orienter la politique de transport vers une logique de développement multimodal et intégré. L’organisation et le traitement séparés des modes doivent être abandonnés, car cette organisation, qui a prévalu jusqu’à présent, pousse chacun des gestionnaires d’infrastructures vers une conception entrepreneuriale et la recherche d’une rentabilité uniquement financière, au détriment de toute recherche de complémentarité. C’est pourquoi nous proposons la création d’un « pôle public national des transports » pour, justement, avoir cette vision globale.
Or, avec ce texte, on aboutit à faire de VNF un établissement qui se suffira à lui-même. Et j’ai bien entendu les remarques de certains collègues de droite, en commission, affirmant que si l’État reste propriétaire des voies navigables, il lui faut être présent. À l’évidence, l’État entend être moins présent. Pourtant, il est, classiquement et historiquement, le propriétaire et donc legestionnaire du domaine public fluvial, qu’il s’agisse des cours d’eau naturels ou des voies navigables dont il a décidé la réalisation.
L’exploitation de la voie d’eau constitue le cœur de la mission des agents de l’État. Leur rôle est de veiller tout à la fois au bon emploi des fonds publics en faveur d’une voie d’eau mais aussi de concilier les divers intérêts et usages parfois contradictoires de celle-ci. En effet, certains usages nouveaux, comme ceux liés aux loisirs ou à l’industrie, peuvent apparaître en contradiction avec la nécessité d’assurer l’écoulement des eaux, la pêche ou la protection de la nature. Le rôle de la puissance publique, et d’elle seule, est précisément de garantir l’usage partagé des plans d’eau.
Quelles seront les conséquences du transfert de propriété, décidé en commission et auquel je me suis opposé ? La loi de mise en œuvre du Grenelle prévoyait que l’État étudierait l’opportunité de donner à VNF la pleine propriété du domaine public fluvial attaché au réseau magistral. Vous deviez présenter, monsieur le ministre, un rapport au Parlement. On l’attend toujours.
Certains points doivent être précisés, notamment celui de l’entretien. Va-t-il en être comme pour le réseau décentralisé vers les régions, pour lequel la notion de nomenclature des voies navigables a été abandonnée ? Les collectivités propriétaires de domaine public fluvial sont désormais libres de définir leur propre niveau de service et de gabarit des voies d’eau, ce qui n’est pas sans poser des problèmes aux usagers.
Une étude interne du service de navigation de la Nièvre portant sur trois canaux, Bourgogne, Nivernais et Centre, indique qu’en se contentant du seul maintien de la fonction hydraulique, une économie de 60 % pourrait être réalisée.
Une telle orientation serait conforme aux conclusions faites par les auteurs du rapport sur la gestion des voies navigables de février 2007, qui notent l’état préoccupant du réseau non magistral et l’échec du dispositif de transfert aux régions mis en place par les lois de décentralisation. Ils préconisent la fermeture, d’ici trois ou quatre ans, c’est-à-dire maintenant, de certaines voies à la navigation et éventuellement leur déclassement, les économies qui en résulteraient pouvant être significatives. Est-ce là la mission du nouvel établissement public ? Je sais bien que le protocole d’accord précise qu’aucune voie d’eau ne devra être fermée, mais on peut s’interroger.
Il n’est pourtant pas nécessaire de transférer la propriété des voies navigables pour valoriser le patrimoine. Les grands ports maritimes et leurs domaines portuaires l’illustrent parfaitement.
Par ailleurs, si l’objectif de ce texte est bien de relancer la voie d’eau, il y manque des éléments. Aujourd’hui, aucune disposition n’impose la moindre obligation aux gestionnaires de la voie d’eau, aux gestionnaires des ports ou aux collectivités riveraines, de nature à assurer la sécurité et les conditions d’hygiène des personnes qui travaillent et vivent sur les bateaux de navigation intérieure. Des soucis aussi élémentaires que l’eau potable ou la gestion des déchets sont ignorés d’un grand nombre de services, d’où notre proposition de créer un comité de service aux usagers. Quand on sait que le nombre de bateaux est passé de 8 000 à 800 en vingt ans, la relance de la batellerie devrait aussi être une priorité.
La gouvernance de VNF aurait mérité aussi que l’on s’y attarde. Il semble que le président concentre un grand nombre de pouvoirs. Est-ce compatible avec le renforcement des compétences de l’établissement ?
Ce sont autant de questions qui restent sans réponse à ce jour.
Les infrastructures de transport sont des éléments stratégiques et la maîtrise de la finalité de leur utilisation est essentielle. Une approche globale, multimodale est une nécessité. La notion de réseau intégré et unifié est indispensable. Or, non seulement ce texte ne dégage pas les moyens suffisants pour les ambitions qu’il affiche, mais il prescrit une orientation contraire et ouvre la voie à des dispositions plus graves, ce qui motive pour le moment, de notre part, un vote contre.

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Daniel
Paul

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
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