Nous avons aujourd’hui l’occasion de débattre d’une proposition de loi qui touche au cœur du pacte républicain : la solidarité envers les familles et, plus largement, la conception que nous nous faisons de la justice sociale en matière de politique familiale.
Oui, la baisse de la natalité, alors même que le désir d’enfant ne diminue pas, soulève des questions majeures. L’enquête réalisée en 2023 pour l’Union nationale des associations familiales (Unaf) analyse les différents freins expliquant que l’indice de fécondité des femmes soit de 1,62, alors que les couples désireraient en moyenne avoir 2,27 enfants. Néanmoins, soyons clairs, cette proposition de loi n’a pas pour objectif un quelconque « réarmement démographique ». Je veux saluer le travail de qualité effectué par M. le rapporteur Édouard Bénard qui défendait déjà l’an dernier, lors de notre journée d’initiative parlementaire, cette mesure alors circonscrite aux familles monoparentales.
La proposition de loi ne s’inscrit pas dans une logique nataliste mais dans celle d’un progrès social attendu. La position historique de notre groupe consiste à défendre une politique familiale émancipatrice centrée sur les besoins des familles, non sur des objectifs démographiques instrumentalisés. Par ce texte, nous visons à terme le rétablissement de l’universalité qu’avaient les allocations familiales lorsqu’elles ont été instaurées en 1945. L’universalité des allocations familiales, c’est un acquis fondamental du modèle social français issu des combats du Conseil national de la Résistance (CNR), c’est un des piliers de la sécurité sociale. Y renoncer, comme cela a été fait en 2015, c’est rompre avec l’ambition fondatrice d’une solidarité nationale inconditionnelle. Il faut revenir, in fine, sur cette réforme de 2015 qui a fait l’erreur de mettre fin à ce modèle (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Elsa Faucillon applaudit également) et de moduler le montant des allocations en fonction des revenus de la famille. Deux plafonds de ressources ont alors été instaurés ; le montant des allocations est divisé par deux lorsque les revenus se situent entre le premier et le second plafond et par quatre lorsqu’ils dépassent le second plafond.
Certes, la proposition de loi ne supprime pas encore formellement le mécanisme de modulation. Toutefois, en rétablissant le droit universel aux allocations dès le premier enfant, elle marque une étape décisive vers la sortie de cette logique injuste que les communistes n’ont cessé de combattre depuis son instauration. Elle amorce un basculement politique qu’il faudra poursuivre lors de l’examen des prochains textes budgétaires pour rétablir l’universalité pleine et entière.
En commission des affaires sociales, vous avez été nombreux et nombreuses à reconnaître le bien-fondé de cette perspective mais à vous y opposer en raison de son coût financier. Nous ne partageons absolument pas ce point de vue. Cette mesure ne saurait être résumée à un coût, encore moins à une charge ; elle est un investissement dans la solidarité nationale, un investissement dans l’enfance, un investissement dans l’avenir.
Elle bénéficierait à chaque famille, quel que soit le nombre d’enfants et quel que soit leur rang au sein de la fratrie. En effet, nos modèles familiaux ont évolué. En 2021, 3,5 millions de familles comportaient un enfant unique. Par ailleurs, le nombre de familles monoparentales, qui n’ont souvent qu’un seul enfant et qui se distinguent par des conditions de vie plus précaires que la moyenne, va croissant : ce cas de figure concerne désormais une famille sur quatre. Nous ne pouvons détourner le regard de cette réalité, ni tourner le dos à ces familles. C’est précisément à elles que cette réforme apporte une première aide concrète.
Il est temps de réformer l’architecture des allocations familiales, en commençant par adopter cette mesure qui s’applique déjà dans les territoires ultramarins. L’argument financier ne tient pas : des moyens pour mettre en œuvre ce texte, il y en a ! En voici quelques exemples. Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, notre groupe a déposé un amendement visant à supprimer les exonérations de cotisations sociales sur les salaires dépassant deux smics. Parmi la masse des niches sociales, évaluées à plus de 90 milliards d’euros par la Cour des comptes, les exonérations de cotisations sur les revenus supérieurs à deux smics – plus de 2 700 euros net – font partie des plus inutiles. Elles sont d’autant plus injustifiables qu’elles coûtent cher : 8 milliards d’euros. Par contraste, cette mesure coûterait 3 milliards, elle est donc largement finançable. Nous avons également proposé de limiter le champ d’application de l’allègement de cotisations patronales familiales. En effet, ce dispositif qui s’applique désormais aux rémunérations jusqu’à 3,3 smics est inefficace du point de vue de la création d’emplois et de la compétitivité. Il est également coûteux pour les finances sociales, car il entraîne une perte de recettes considérable pour la branche famille.
Dans ces conditions, il ne tient qu’au gouvernement de lever le gage de cette proposition de loi et d’engager dans le cadre du PLFSS pour 2026, voire dans celui d’un PLFSS rectificatif pour 2025, les mesures qui permettront une plus grande justice sociale à l’égard des familles. Cela suppose de mettre fin à l’hypocrisie budgétaire qui consiste à brandir l’argument du coût tout en multipliant les exonérations sociales sans effet prouvé.
Cette proposition de loi se veut enfin une réponse à la pauvreté infantile, qui a augmenté de 10 % au cours des sept dernières années et avoisine les 20 %. Elle concerne donc près d’un enfant sur cinq. C’est inacceptable et nous devons réagir.
Depuis toujours, nous combattons la logique de la modulation parce qu’elle fragmente, divise et oppose les familles entre elles, parce qu’elle attaque le principe même d’universalité. Le texte ne marque pas encore la fin de cette logique, mais il en trace clairement l’horizon. C’est pourquoi le groupe de la Gauche démocrate et républicaine vous invite à voter pour cette proposition de loi, pour les familles et pour la justice sociale. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS. – M. le rapporteur applaudit également.)
Discussions générales
Versement des allocations familiales dès le premier enfant (PPL)
Publié le 5 juin 2025
Soumya
Bourouaha
Députée
de
Seine-Saint-Denis (4e circonscription)