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Discussions générales

Utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier.
M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur le président, monsieur le ministre, cher président Teissier, monsieur le rapporteur, chers collègues, la catastrophe industrielle qui a succédé au tsunami au Japon a révélé une relative impréparation des autorités et de l’exploitant nucléaire.
Ces graves événements donnent matière à réflexion quant au rôle que les réserves militaires et civiles pourraient jouer, en France, dans l’organisation des secours en cas de crise majeure.
Un rapport d’information de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat a brossé un tableau lucide et sans complaisance de l’état réel de nos différentes réserves. Il en ressort que leur composition et leur organisation actuelles ne leur permettraient pas de réagir rapidement ni d’être opérationnelles face à une telle crise.
On peut donc légitimement se poser la question de leur utilité.
Cette proposition de loi reprend quelques-unes des préconisations du rapport sénatorial, avec pour ambition de rendre nos réserves plus réactives.
Malheureusement, contrairement au rapport initial, les mesures qui nous sont proposées ne tiennent pas compte de l’état réel des réserves. Je doute donc qu’elles en améliorent l’efficacité.
Par ailleurs, cette proposition de loi est ambiguë. Elle s’appuie en effet sur des missions et des effectifs théoriques pour anticiper des crises aux contours mal définis.
Au nom du nouveau concept élaboré dans le Livre blanc, qui amalgame les notions de défense et de sécurité, elle prévoit une utilisation sans discernement de réserves aux vocations différente. L’article 2 précise que les membres de la réserve opérationnelle militaire font partie intégrante du nouveau dispositif de réserve de sécurité nationale. C’est clairement mettre sur le même plan les réserves militaires et les réserves civiles.
Je suis contre cette manière de faire. La frontière entre les missions de protection civile et celles de protection militaire doit subsister. J’estime qu’il faudrait, avant d’y toucher, identifier les besoins et préciser les missions des uns et des autres.
Nous avons déjà formulé une mise en garde contre les conceptions du Livre blanc. La mise en œuvre de la nouvelle stratégie de sécurité nationale, qui a pour conséquence une diminution du format de nos armées, donne une priorité à la gestion des crises en utilisant tous les moyens de la sécurité intérieure et de la sécurité civile.
La place et le rôle que devrait alors tenir la réserve opérationnelle militaire ne sont pas sérieusement envisagés. Je n’évoque même pas la réserve citoyenne, deuxième composante de la réserve militaire : elle est exclue du dispositif.
Il semble que le principal objectif de ce texte, suite au constat de l’inexistence de réserves civiles, soit de faciliter l’utilisation de réserves militaires pour des actions civiles dans des situations exceptionnelles. Cela ne correspond pas à leur vocation première.
Par ailleurs, la proposition de loi tire implicitement les conséquences d’un autre constat. Nos dispositifs de sécurité et de secours ont été conçus pour fonctionner sans l’apport de réserves. Néanmoins, on a toujours fait appel aux forces militaires d’active en cas de crise grave. Les régiments du génie apportent régulièrement leur concours aux populations civiles. Ce fut le cas par exemple lors de la grande tempête de 1999 ou de la tempête Xynthia.
Par conséquent, prévoir que les quelques réservistes de ces régiments interviendront désormais sur la base de l’obligation, et non plus du volontariat, ne changera pas fondamentalement la situation.
En revanche, la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques, qui a provoqué une diminution drastique des effectifs des forces d’active des armées et des services de sécurité et de secours, risque d’imposer le recours à des apports extérieurs pour faire face à certaines situations.
Cette tendance à la diminution des effectifs s’accentuera avec la politique aveugle de réduction à tout prix des déficits publics, menée dans le but de satisfaire les intérêts des marchés financiers.
Ainsi, si les procédures du plan d’urgence sont excellentes, leur mise en œuvre risque d’être d’une efficacité limitée, faute de moyens humains et matériels suffisants.
Comme je le redoute, ce texte vise donc aussi à pallier, par le recours à des supplétifs, les défaillances éventuelles de nos services publics de secours.
Par ailleurs, cette modeste proposition de loi est bien en deçà de la profonde révision de la politique des réserves, jugée nécessaire par tous. Le rapporteur le reconnaît. L’effort de planification et de préparation face aux différents risques entrepris ces dernières années n’a que très peu tenu compte des réservistes.
Une véritable révision s’impose. Elle devrait concerner tout particulièrement la réserve opérationnelle militaire, qui serait seule à même de fournir, en situation de crise, des réservistes formés et entraînés.
Or la réflexion sur son format, sur la réalité de son emploi et sur la définition de ses missions n’est pas actualisée.
Son périmètre est conçu en priorité en fonction de critères budgétaires et de prévisions de recrutement, avant toute estimation des besoins qualitatifs et quantitatifs des armées pour mener à bien leurs activités habituelles ou affronter une crise.
L’insuffisance des moyens que l’État consacre à la réserve opérationnelle militaire démontre d’ailleurs qu’elle n’est pas vraiment considérée comme une composante à part entière des armées.
Si le Gouvernement poursuit son action à ce rythme, les moyens affectés aux réserves militaires ne permettront pas d’atteindre l’objectif fixé par la loi de programmation militaire au titre du Livre blanc, c’est-à-dire disposer de 40 000 réservistes opérationnels, qui accompliraient des périodes d’activité de vingt-cinq jours par an au total.
Or, contrairement aux prévisions sur la montée en puissance de la réserve opérationnelle, nos armées perdent des réservistes, par départ et non-renouvellement de contrat.
Eu égard à ce constat, il est d’autant plus nécessaire de s’interroger sur les besoins, le format des réserves et l’état d’esprit des réservistes.
La dotation prévue dans la loi de finances a tout juste permis de maintenir la dépense. C’est insuffisant pour atteindre les objectifs fixés. Permettra-t-elle vraiment de garantir cette année une durée moyenne d’activité de nos réservistes de vingt-deux jours ? C’est un minimum, car le maintien d’un taux d’activité suffisant, différent suivant l’emploi et les unités, est une condition essentielle pour que la valeur des réserves militaires soit réelle et reconnue.
Je sais que cette réflexion sur la politique des réserves militaires est engagée.
Notre collègue Patrick Beaudouin, en commission, voulait aller plus loin en proposant par amendement de créer un Haut Conseil pour la réserve de sécurité nationale. Ses velléités de réforme ont apparemment été douchées par les propos du rapporteur, preuve, s’il en était besoin, que la course de lenteur est engagée.
Nous sommes capables de nous mettre d’accord sur le constat, mais nous n’allons pas jusqu’au bout et n’en tirons pas les conséquences, laissant le Gouvernement et son administration libres de l’agenda, en dépit des engagements solennels pris.
Au vu de ce constat, on peut s’interroger sur l’utilité des mesures présentées dans le texte que nous examinons.
Dans la pratique, elles seront d’une portée très limitée, sauf d’un point de vue juridique, car elles n’amélioreront aucunement la situation des réservistes militaires opérationnels, qui, j’y insiste, sont les seuls à avoir une activité réelle et régulière.
Cela m’amène à penser que le seul mérite de cette proposition de loi est d’appeler l’attention sur la nécessité de disposer de forces de réserve pour pallier les faiblesses éventuelles – je dis bien : éventuelles – de nos services publics de sécurité et de secours dans une situation de crise. Son principal défaut est que les situations qu’elle envisage reposent sur des constructions tout à fait théoriques.
Tout est donc suspendu à une réflexion plus globale sur le rôle et la place de l’ensemble des réserves : les réserves militaires, bien sûr, mais aussi la réserve de la police nationale – celle-ci est en train de changer de nature depuis l’adoption de la seconde loi sur la sécurité intérieure – ou encore les fantomatiques réserves communales de sécurité civile, sans même parler de la réserve sanitaire et de la réserve pénitentiaire.
Nous avons tous conscience que, depuis la réforme du service national de 1997, qui a suspendu la conscription, l’organisation de la réserve militaire et du service de défense ne correspond plus à la réalité des besoins. Tant que les réserves militaires n’auront pas été repensées et que des forces de réserve civiles n’auront pas vu le jour, nous voterons sur du virtuel.
Pour toutes ces raisons, les députés communistes, républicaine et du parti de gauche – je vois le président Teissier blanchir, alors qu’il devrait rosir ! (Sourires) – s’abstiendront sur cette proposition de loi.

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Jean-Jacques
Candelier

Député du Nord (16ème circonscription)
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