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Travail : rémunération des salariés concernés par le reclassement

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est difficile de ne pas être sensible à la proposition de loi de nos collègues centristes, touchant au reclassement des salariés victimes d’un licenciement économique et au problème, actuel et pour le moins sensible, des offres de reclassement irréalistes et humiliantes à l’étranger à valeur du salaire.
Sur le front de l’emploi, les mauvaises nouvelles ne cessent de s’accumuler. Au cours du seul premier trimestre 2009, près de 200 000 emplois ont été détruits, tous secteurs confondus. Entre le 11 et le 17 juin, soit en une seule semaine, plus de 3 000 suppressions d’emplois ont été annoncées : 1 200 chez Michelin, 366 chez New Fabris, 704 chez Marionnaud, 550 chez TDF. Encore la liste n’est-elle pas exhaustive, hélas : nombre de licenciements restent invisibles, déguisés et expéditifs, dans les PME et les TPE notamment.
Dans les Hauts-de-Seine, où les statistiques restent inférieures aux données nationales, le chômage a tout de même enregistré une flambée de 20 % ces dix-huit derniers mois. Les licenciements économiques ont progressé de 42 % en un an ; en cinq mois, pas moins de 102 plans de sauvegarde de l’emploi ont été présentés, qui ont entraîné la suppression de 15 000 emplois – dont 5 000 dans les Hauts-de-Seine.
La facture est lourde pour les territoires, mais aussi pour les salariés, qui sont excédés de servir de variable d’ajustement et ne supportent plus les effets d’aubaine de la crise et les délocalisations en cascade.
Les salariés de Fulmen, à Auxerre, venus occuper le siège social d’Exide à Gennevilliers, m’ont dit leur incompréhension face à la décision du groupe américain de fermer le site auxerrois de batteries, laissant ainsi 314 personnes sur le carreau, alors même que l’entreprise est bénéficiaire en Europe et qu’elle a distribué un grand nombre de stock-options. Ils ont exprimé avec force leur volonté d’obtenir un plan social digne de ce nom, mais aussi leur indignation face au mépris de la direction du groupe, qui a proposé, pour la forme, des reclassements aux États-Unis à une vingtaine d’entre eux, ouvriers peu qualifiés pour la plupart, sur des postes de cadres.
Les salariés de l’entreprise Carreman – entreprise textile qui a défrayé la chronique en proposant à neuf de ses salariés, avant leur licenciement, un emploi dans une usine du groupe en Inde pour une rémunération brute mensuelle de 3 500 à 4 500 roupies, soit 53 à 69 euros à raison de huit heures par jour et six jours sur sept – ont mis en lumière les comportements scandaleux de certains patrons peu scrupuleux, qui revendiquent le respect formel du droit français en matière de licenciement et de reclassement interne, pour mieux détourner son objet au profit des actionnaires en proposant systématiquement aux salariés concernés par des délocalisations des postes de reclassement dans des pays où le moins disant social est de mise, et où les salaires pratiqués sont très inférieurs au SMIC. Plus généralement, leur situation montre l’indécence des indemnités légales de licenciement – 8 000 euros pour plus de trente années d’ancienneté !
Au-delà de textes de circonstance, ces situations devraient nous amener à répondre, au fond, à ce mouvement général de délocalisation, vers les pays à bas coût de main-d’œuvre, de la production textile de groupes largement bénéficiaires, toujours prompts à engranger les aides publiques. Il n’en sera rien, malheureusement.
Dans leur grande majorité, les salariés sont porteurs de la même exigence de respect de leur personne et de leur outil de travail. Tous souhaitent que le Gouvernement ait une autre ambition que de mener ces politiques libérales humainement et socialement sacrificielles, que l’État intervienne dans le fonctionnement du marché du travail autrement que pour flexibiliser, qu’il stoppe cette hémorragie d’emplois, qu’il soit sans tolérance vis-à-vis de certains comportements patronaux, qu’il protège les salariés en sécurisant leur parcours professionnel.
Comme eux, nous pensons qu’il ne suffit pas d’exposer la vision présidentielle d’un nouvel ordre social. Encore faut-il, au-delà des effets de tribune, agir concrètement pour changer radicalement la mondialisation financière, asseoir un autre modèle de développement et en finir avec le dumping social et fiscal en harmonisant par le haut les législations du travail et, pourquoi pas, en imposant un SMIC européen.
La baisse brutale de l’activité emporte de lourdes conséquences sur le chômage, comme nous venons de le voir, mais aussi sur le pouvoir d’achat. Selon l’ACOSS, le salaire brut moyen par individu a baissé de 1,3 % au premier trimestre en raison, notamment, du chômage partiel. La majorité présidentielle refuse aussi de voir cette réalité sociale.
À Versailles, le Président de la République s’est contenté d’un bref passage sur l’urgence, pourtant prioritaire, d’un autre partage des richesses. Et encore, pour dire simplement que « l’actionnaire doit être justement rémunéré » tandis que « le travail doit être justement considéré ». Une poignée de main d’un côté, un chèque de l’autre ! Ces mots en disent long sur la volonté du chef de l’État de refonder le capitalisme de casino. Il y a un mois a peine, dans cet hémicycle, l’UMP, comme le Nouveau Centre, rejetait nos propositions de loi visant justement à promouvoir une autre répartition des richesses et à interdire les licenciements dans les entreprises qui font des bénéfices ou délocalisent.
C’est dans ce contexte que s’inscrit le texte des députés du Nouveau Centre, qui ambitionne de « garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement ». Comment ne pas partager un tel objectif ?
Sur la base d’exemples récents, qu’il s’agisse de l’entreprise Carreman ou du fabriquant de chaussettes Olympia, condamné par la cour d’appel de Reims pour avoir procédé à des licenciements abusifs et présenté à ses salariés une offre individuelle de reclassement dans son usine de Roumanie avec un salaire moyen de 110 euros mensuels, vous faites, vous aussi, la démonstration de l’absurdité du système actuel et de la nécessité d’une clarification législative.
Vous nous dites même que la loi « justifierait, voire encouragerait » des comportements tels que ceux du patron de Carreman. D’aucuns vont jusqu’à prétendre même que l’obligation jurisprudentielle de reclassement en cas de projet de licenciement économique, légalisée et complétée par la loi de modernisation sociale, serait trop large et jouerait contre les salariés, donc contre l’emploi.
C’est, mes chers collègues, gommer l’instrumentalisation de la loi par certains dirigeants, le détournement de leur obligation de reclassement au service des actionnaires et aux dépens des salariés. Ces pratiques déloyales ont d’ailleurs conduit la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle à rappeler explicitement en 2006, par instruction, que « l’obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail qui a fondé à l’origine l’obligation de reclassement doit donc exclure des offres de reclassement non sérieuses ».
Les choses sont claires : non seulement l’employeur n’est pas tenu de proposer ces offres assorties de salaires très inférieurs au SMIC, mais il ne doit pas le faire, sauf à courir le risque d’être condamné pour mise en œuvre déloyale de l’obligation de reclassement.
N’oublions pas que cette obligation de reclassement interne. dont le champ s’étend aux entreprises du groupe, fussent-elles à l’étranger, est un préalable obligé à tout licenciement pour motif économique, une condition de validité de ces licenciements, une protection fondamentale des salariés. Et mesurons en conséquence les effets pervers que pourrait avoir notre intervention législative.
A priori, il semble positif d’inscrire dans le code du travail que le reclassement du salarié s’effectue au profit d’un emploi relevant de la même catégorie « assorti d’une rémunération équivalente », même si le principe peine à se concrétiser, faute d’harmonisation sociale par le haut au niveau européen. Voyons toutefois si, aux détours de l’inscription dans notre législation sociale de dispositions consacrées au reclassement à l’étranger en vue d’éviter les abus via la méthode dite du questionnaire préalable, cette protection fondamentale des salariés ne s’en trouverait pas involontairement amoindrie.
En commission, notre président a formulé une remarque qui me conduit à douter de l’efficacité de votre démarche et à en redouter les dangers. Vous avez souligné, monsieur le président, que « cette proposition de loi présente aussi l’avantage de protéger les entreprises, lesquelles ne seront plus soumises à l’obligation découlant d’un arrêt du Conseil d’État leur imposant, pour justifier un licenciement, de l’accompagner d’une proposition alternative. » Est-ce à dire que, du droit au reclassement, nous en reviendrions au droit du reclassement ?
Je souhaite donc que le rapporteur et le Gouvernement s’expliquent sur la portée exacte de l’article unique.
Je souhaite également être éclairé sur le mécanisme du questionnaire préalable. Ne dispense-t-il pas l’employeur de faire une offre de reclassement à l’étranger aux salariés qui ne lui auraient pas fait part de leur intérêt pour une telle solution ? La rigueur, le contenu de l’obligation de reclassement sont-elles donc désormais fonction de la volonté et des restrictions posées par le salarié ?
Vous le savez, nous militons inlassablement contre les offres abusives de reclassement faites par certains patrons et pour la sécurisation du devenir personnel et professionnel des salariés. Nos interrogations, que je viens d’expliciter, nécessitent des éclaircissements pour pouvoir nous prononcer sur ce texte tout à l’heure.
 

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Roland
Muzeau

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