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Transports : dialogue social et continuité du service public

 
Monsieur le ministre, d’après La Tribune d’aujourd’hui, vous venez de recevoir votre lettre de mission. Elle est longue : remise en cause du SMIC, du CDI, des régimes spéciaux de retraite,...
Chacun en a sa lecture, mais j’ai l’article sous la main.
Faut-il que je vous fasse la lecture ? Je risque de dépasser les dix minutes auxquelles j’ai droit.
Et, en plus, remise en cause de la démocratie sociale. En somme, votre feuille de route, c’est la démolition de ce qui s’appelait encore récemment le modèle social français.
Après le texte relatif au travail, à l’emploi et au pouvoir d’achat, ses 15 milliards d’euros de cadeaux fiscaux et ses dispositions qui vident totalement l’ISF de son contenu, vous vous attaquez à un autre dossier important, pour la droite du moins : le droit de grève.
La commission mixte paritaire, chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi prétendant améliorer le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, ne pouvait qu’aboutir. Évidemment. Vous étiez nombreux, ici comme au Sénat, à attendre que l’occasion vous soit enfin donnée d’en découdre avec les salariés et d’écorner le droit de grève, dont useraient et abuseraient les salariés du secteur public. La CMP ne pouvait pas échouer, elle a donc adopté le texte dès cet été. Non qu’il y ait urgence à satisfaire une demande sociale ou à mettre fin au chaos dans lequel vivrait notre pays, mais il fallait montrer à l’opinion publique que le Président de la République tenait ses promesses, (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire).fussent-elles illusoires ! La propagande électorale devait continuer jusque dans l’hémicycle.
Confondant vitesse et précipitation, en utilisant la procédure d’urgence, laquelle dépossède les partenaires sociaux et prive les parlementaires de la possibilité de parfaire des dispositifs, en l’espèce largement inapplicables, ou de défaire des dispositifs scélérats, le Gouvernement a mené à bien son entreprise de criminalisation de la grève. Pourtant, le plus souvent, la grève vise à améliorer le service public des transports. Ces grèves, nous ne le répéterons jamais assez, ne représentent que 2 % des dysfonctionnements des transports, 98 % d’entre eux résultant tout simplement de l’insuffisance des investissements en matériel, du manque de personnel et des économies sur l’entretien. De nombreux gages ont été donnés aux ultras, dont vous faites partie, monsieur Mariton, et aux parlementaires de l’UMP conscients qu’en l’état du texte, le service minimum n’était qu’un leurre, et qui regrettaient ouvertement que le texte n’aille pas plus loin dans l’interdiction des grèves ou la mise en place d’un service normal aux heures de pointe par la réquisition des personnels.
Leurs tentatives de muscler davantage le projet de loi n’auront pourtant pas été totalement vaines. Dominique Bussereau et Xavier Bertrand ont pris des engagements très clairs. Le dispositif sera bien étendu à d’autres secteurs : les transports maritimes et aériens. À cet égard, l’article 12 est explicite.
Les trois jours de débat ont eu au moins le mérite de révéler les vraies ambitions du Gouvernement et de confirmer que ce projet de loi était bien un « texte de posture et d’imposture », selon la formule de FO, et qu’il était un « bel exemple d’hypocrisie et de démagogie selon la CGT ». Vous voyez, je suis éclectique.
Il n’est nullement question de chercher les moyens de promouvoir le dialogue social, encore moins d’assurer une meilleure continuité du service public. Nous avons fait la preuve que la référence au service minimum n’était qu’un pis-aller servant à camoufler la responsabilité de l’État dans les carences du service public des transports. Or ces carences résultent non pas des mouvements de grève, de moins en moins nombreux – 2 % du total des dysfonctionnements –, mais de vos choix politiques de libéralisation et de sous-investissement.
Nous avons aussi fait la démonstration que l’obligation de négocier, ou renégocier, un accord-cadre organisant partout une procédure de prévention des conflits était irréalisable dans les délais fixés, et dans des conditions acceptables en termes de qualité de service due aux usagers. C’est non pas le service minimum qui est en passe de devenir réalité, mais tout bonnement la remise en cause immédiate du droit de grève pour les salariés du secteur public, servant de cobayes aux coups qui ne manqueront pas d’être portés au droit du travail. Les articles 5 et 6 sont particulièrement éclairants, qu’il s’agisse de la déclaration individuelle d’intention de grève ou de la consultation sur la poursuite de la grève. Ils restreignent le droit actuel et mettent à mal la jurisprudence, jugée trop protectrice du droit de grève. Tout est fait pour écarter chaque salarié du mouvement collectif. Ces dispositions individualisent l’exercice du droit de grève au seul bénéfice de l’employeur, et exposent le salarié aux intimidations et rétorsions en tous genres. Une nouvelle sanction disciplinaire pour fait de grève est même introduite dans le code du travail. Quant au préavis de grève, sa nature change. Cette période, normalement consacrée au dialogue entre les acteurs sociaux sur les motifs de mécontentement sera désormais mise à profit pour intimider les grévistes et neutraliser, autant que faire se pourra, les effets de la grève.
M. le rapporteur a peut-être raillé un peu trop vite les manifestations organisées partout en France le 31 juillet. L’hostilité à ce texte est forte : elle est portée, je le rappelle, par la totalité des organisations syndicales représentatives de notre pays. Nous craignons que ce texte ne crée, à la rentrée, des regains de tension.
Il y a quelques jours, je vous donnais lecture d’une citation d’Ésope, au VIe siècle avant Jésus-Christ, en pensant qu’elle vous porterait conseil (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire). Après ces trois jours et trois nuits de débat, elle me semble refléter parfaitement votre action politique. Je vous en fais à nouveau la lecture – la pédagogie, c’est l’art de répéter, peut-être en restera-t-il quelque chose ! :
« Les démagogues font d’autant mieux leurs affaires qu’ils ont jeté leur pays dans la discorde. »
Les députés de la Gauche démocrate et républicaine refusent résolument d’être les complices d’une atteinte sans précédent contre le droit de grève. Nous sommes plus que jamais convaincus que l’essentiel, c’est que le service public soit, tous les jours, au meilleur niveau. C’est pourquoi je ne vous surprendrai pas en annonçant que nous réitérons avec fermeté notre opposition au projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
 

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