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Traité Atlantique Nord

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je pense que vous vous attendez à entendre une autre musique pendant mon intervention. Je vais vous faire ce plaisir.
Après un quinquennat marqué par l’américanophilie de Nicolas Sarkozy et le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, celui de François Hollande est allé encore plus loin.
Il y a quelques mois, l’Assemblée nationale et le Sénat ont approuvé le projet de loi autorisant la ratification du protocole de Paris sur l’OTAN. Par cette décision, la France renonce à son indépendance sur la scène internationale, notre diplomatie s’inscrivant désormais dans une vision atlantiste et néoconservatrice du monde.
La France est devenue le bras armé de l’OTAN sur tous les théâtres de conflit, du Kosovo à l’Afghanistan en passant par la Libye. Cette position rompt avec celle défendue par le général de Gaulle en 1966, qui faisait jurisprudence en France et rassemblait toute notre nation.
Le projet de loi sur lequel nous nous prononçons aujourd’hui prévoit l’intégration dans l’OTAN d’un vingt-neuvième pays, le Monténégro. Toutefois, plus que cette intégration, qui à mon sens est anecdotique, il pose la question de la stratégie, adoptée par l’organisation, d’élargissement sur le flanc oriental de l’Europe.
Depuis une vingtaine d’années et la fin de l’Union soviétique, l’OTAN mène une politique agressive et n’a de cesse de chercher à isoler la Russie en multipliant les initiatives d’encerclement et les tentatives d’implantation de matériel militaire dans les pays frontaliers.
Depuis 1999, elle a successivement intégré la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie, l’Albanie et la Croatie. Des tentatives sont menées aux marges de la Russie. Je pense notamment aux négociations très avancées en vue d’intégrer l’Ukraine et la Géorgie.
L’adhésion du Monténégro n’est qu’une étape supplémentaire de cette politique expansionniste, qui va à rencontre des engagements pris par les Occidentaux en 1990 auprès de Mikhaïl Gorbatchev, selon lesquels aucun pays membre de l’URSS ne devait rejoindre l’organisation atlantique.
Pire, l’OTAN a multiplié les provocations en promouvant une nouvelle stratégie de « dissuasion et dialogue », dont le récent sommet de Varsovie, en juillet 2016, a défini les contours. Cette politique inamicale et humiliante se traduit par un quadruplement des dépenses militaires en Europe de l’Est : plus de 3 milliards de dollars sont destinés à renforcer massivement la présence de l’OTAN en Pologne, en Ukraine et dans les États baltes, ainsi qu’à mettre en place un bouclier antimissile dans ces pays, dans le but d’atteindre le territoire russe. L’organisation transatlantique remet ici en cause l’accord tacite conclu en 1997, lors des négociations préalables à l’élargissement de l’OTAN à l’Est : aucune base permanente ne devait être déployée dans un des pays frontaliers de la Russie.
Cette stratégie ne vise qu’au retour à une situation de guerre froide. La soutenir risque de braquer la Russie et de nous entraîner dans une spirale de provocations et d’intimidations. J’ajoute que cette politique d’isolationnisme et de provocation vis-à-vis de la Russie ne fait que renforcer le pouvoir et le régime de Vladimir Poutine.
Cette erreur stratégique est si dangereuse pour la paix du monde que même l’Allemagne, si soucieuse de son intégrité sur le flanc oriental, s’en alarme. À ce sujet, permettez-moi de citer M. Frank-Walter Steinmeier, ministre allemand des affaires étrangères, inquiet d’un tel projet : « Celui qui croit augmenter le niveau de la sécurité avec des parades de chars sur le front est de l’Alliance se trompe ».
Force est de constater que l’OTAN est aujourd’hui un outil dépassé. Celle-ci est restée arc-boutée sur le logiciel désuet de l’affrontement Est-Ouest, alors que le monde est devenu incontestablement multipolaire, avec la puissance de la Chine, des pays émergents et des pays du Golfe. Nous devons nous poser les bonnes questions. Cet outil militariste permet-il aujourd’hui à la France d’assurer sa sécurité ? Moins que jamais, hélas. Permet-il de promouvoir les valeurs démocratiques auxquelles la France est attachée ? Je ne crois pas.
Loin d’être une force pour la paix et la stabilité mondiale, l’OTAN a multiplié les foyers de tensions de par le monde. Son bilan est globalement négatif. Organisation défensive, elle s’est muée en organisation agressive en voulant imposer sur la planète le modèle occidental. Elle a déployé une politique belliciste et s’est constamment exonérée du droit international et des résolutions de l’ONU. Partout où elle est intervenue, en Afghanistan, en Irak ou en Libye, il en a résulté un chaos indescriptible, avec à la fois la montée du terrorisme, des millions de réfugiés, des pays exsangues et des villes rayées de la carte.
Livrant la guerre pour faire triompher le modèle occidental partout dans le monde, l’OTAN soutient au même moment de manière indéfectible la Turquie, ce pays dont le président bafoue les droits de l’homme et la démocratie, qui a fermé les yeux sur le terrorisme, tout en menant une guerre impitoyable contre le peuple kurde, notre allié le plus sûr dans la lutte contre l’islamisme politique et le terrorisme.
Elle fait aussi preuve de complicité avec les pays du Golfe, qui financent, par le truchement de grandes familles, le terrorisme et conduisent une guerre meurtrière au Yémen.
Qui peut douter aujourd’hui que les tragédies irakienne et libyenne n’aient offert un terreau propice à la propagation de l’idéologie mortifère de Daech ? Orpheline depuis la chute du mur de Berlin, l’Organisation atlantique n’a assuré sa survie qu’en se cherchant un nouvel ennemi, hérité d’une vision culturaliste de l’état du monde, largement fondée sur le choc des civilisations. C’est pourquoi elle n’apparaît plus comme l’organisation capable d’avancer vers un monde plus juste, plus solidaire et de faire progresser le désarmement et la paix.
À l’heure de l’élection de Donald Trump, qui promeut une politique extérieure isolationniste et une refonte de l’OTAN, il est temps pour la France de retrouver sa voix dans le concert des nations.
Notre pays a vocation à défendre un monde multipolaire, en s’appuyant sur ses valeurs universalistes et de défense des droits de l’homme partout dans le monde, pour une coexistence pacifique des peuples.
Je pense que l’ONU, comme organisation de paix et de sécurité mondiale inclusive, a plus que jamais un rôle fondamental à jouer dans ce nouvel ordre international. Elle doit s’affirmer comme instance suprême de médiation et de règlement des conflits internationaux.
Cette action permettrait de promouvoir l’avènement du multilatéralisme et une gouvernance plus ouverte, plus collective de l’ONU, garante de notre sécurité, par la promotion de sa Charte et de ses principes fondateurs : la prévention des conflits par le traitement prioritaire des injustices sociales et économiques, la résolution politique et non militaire des conflits, la promotion universelle des droits sociaux et démocratiques, la promotion des libertés fondamentales dont la liberté de circulation, la solidarité devant les grands défis climatiques et écologiques de notre siècle, le droit universel à l’éducation et à la connaissance, l’éradication des maladies sur tous les continents.
À l’heure où l’OTAN s’exonère de ces principes, apparaissant de plus en plus comme la gardienne de la civilisation occidentale, cherchant à imposer la loi des multinationales sur tous les continents, la France doit prendre position pour l’émergence d’espaces régionaux inclusifs de coopération et de sécurité collective, sous la supervision de l’ONU. Une telle décision honorerait la diplomatie française et permettrait de tendre la main à tous les peuples, que nous ne pouvons plus tenir à l’écart.
De nouvelles puissances émergent. Il est temps de se tourner vers elles. Il en va de notre sécurité et de celle du monde.
Pour toutes ces raisons, après avoir rappelé que l’adhésion du Monténégro à l’OTAN est anecdotique, notre groupe ne votera pas le projet de loi.

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François
Asensi

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