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Sports : trafic de produits dopants

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, l’actualité nous le démontre chaque jour : loin d’être un sanctuaire, le sport reproduit largement les dérives de notre société, comme il se fait la caisse de résonance de ses espoirs et de ses avancées. Si l’on peut se féliciter que de nombreuses disciplines se mondialisent, se féminisent et se démocratisent, et que le sport en France porte l’image de la nation dans sa diversité, on constate qu’il n’échappe pas à la violence, au culte de la performance, à la domination de l’argent et à l’instrumentalisation politique.
Nous sommes nombreux à espérer l’éradication de ces dérives, à croire en un sport qui, en tenant toute sa place et rien que sa place, trouverait toute son utilité sociale simplement pour ce qu’il est : un facteur de plaisir, d’épanouissement personnel et de joies collectives. C’est grâce à ce qu’il est et non par ce que l’on veut en faire, que le sport pourra être un vecteur de réussite individuelle et collective. À ce titre, je tiens à saluer le travail du mouvement sportif et du comité national olympique français pour sauvegarder les valeurs et les objectifs du sport. Je me souviens ainsi du relais contre le dopage, organisé il y a quelques années par le CNOSF, comme je salue aujourd’hui l’engagement des athlètes français « pour un monde meilleur ».
Notre responsabilité politique, c’est de relayer cette action en protégeant autant que possible le sport contre les tentatives de marchandisation et de déstabilisation dont il peut être l’objet. Je pense au combat contre le dopage comme à celui mené il y a dix ans pour la reconnaissance de l’exception sportive en Europe, dans le traité de Nice. Je pense au combat à livrer pour protéger le droit à l’information sportive, mis à mal par la privatisation du droit à l’image par les grands opérateurs de télévision et de télécommunication et par le comportement de certains responsables sportifs. Je pense – actualité oblige – à la nécessité de protéger les jeux Olympiques et le mouvement sportif pour ce qu’ils sont. Nous savons tous que les JO ne sont pas, hélas, sans défauts et qu’ils sont tenus par des enjeux de pouvoir et des enjeux économiques. Nous devons faire fructifier ce qui reste de l’esprit olympique, qui est un moyen fort de délivrer un message de paix, de coopération et d’échange entre les peuples. Je me souviens des délégations de pays en conflit défilant sur un même stade lors des cérémonies d’ouverture, des Corées réunies pour une Olympiade en une seule délégation ou des femmes afghanes bravant tous les interdits pour être présentes aux Jeux.
La force du sport et de l’esprit olympique peut, demain, faire renaître les plus beaux rêves et faire vivre les plus belles valeurs de fraternité et de liberté. Je veux ici saluer l’équipe de France et me réjouir de la nomination de son capitaine, Tony Estanguet. Je sais qu’elle portera haut et fort ces valeurs.
Cette volonté de protéger le sport et de lui donner toute sa place dans notre société explique la façon dont je conçois le combat contre le dopage. J’ai aujourd’hui la même exigence que lorsque j’ai défendu à cette tribune la loi du 23 mars 1999 relative à la protection de la santé des sportifs et à la lutte anti-dopage, au nom de la santé des sportifs comme de leur bien-être psychologique, qui sont incompatibles avec l’aliénation que représentent la prise de produits dopants, la pression de la performance et la soumission aux intérêts financiers qui gangrènent le sport. C’est toujours guidée par cette exigence que je vois d’un bon œil certaines des dispositions qui nous sont présentées aujourd’hui, et avec inquiétude certaines autres.
Ajouter la détention de produits dopants à la liste des violations de la réglementation antidopage, en conformité avec les principes du nouveau code mondial antidopage, est une avancée réelle. Elle devrait permettre, comme vous l’avez souligné, monsieur le secrétaire d’État, de remonter et de démanteler avec une plus grande efficacité les filières de distribution. Le code mondial antidopage prévoit que la détention de produits dopants par un sportif est passible, au même titre que la prise de tels produits, de deux années de suspension. C’est une peine dont j’approuve autant la sévérité que la logique.
En revanche, ajouter, comme vous le proposez, à cette sanction sportive une condamnation pénale pouvant donner lieu à un emprisonnement de un an m’inspire davantage de réserves. Une privation de liberté est lourde de sens, et je ne vois pas en quoi elle pourrait être une solution au problème du dopage pour un sportif. Franck Vandenbroucke, brisé par le dopage et par d’autres conduites dangereuses, dont un grand journal sportif racontait aujourd’hui l’histoire, mérite-t-il la prison ou doit-il, au contraire, être aidé à se sortir de ces conduites dangereuses ?
On risque aussi de passer sous silence, comme pour l’exonérer, le contexte général du sport actuel, où le sportif est autant – si ce n’est plus – une victime de logiques qui le dépassent qu’un coupable ou un tricheur dans un environnement sain. Les joueurs professionnels ne sont pas responsables des cadences qu’on leur impose. Quand j’entends le président de Provale, le syndicat des joueurs de rugby, dire à propos du calendrier imposé aux joueurs de rugby professionnels – qui a été qualifié ce matin de « monstrueux » par Serge Simon, ancien responsable des joueurs : « Si l’on continue comme ça, je vais dire aux mômes, les gars chargez-vous, et chargez-vous épais ! », j’aimerais qu’on ne se contente pas de l’écouter, mais qu’on agisse. Ces cadences sont une menace pour l’intégrité physique des joueurs et une incitation au dopage. J’aimerais qu’on l’entende et qu’on ne conçoive plus les calendriers à l’aune des contrats avec les médias ou les sponsors.
Ce ne sont pas les sportifs qui sont responsables d’une organisation du sport autour de règles économiques et financières. Quand le président de l’Union des clubs professionnels de football, Gervais Martel, écrit que l’année 2007 fut une bonne année pour le football professionnel français parce que le résultat net cumulé des clubs professionnels est de 47 millions d’euros et parce que « la vente de joueurs a permis que la balance commerciale française soit positive », je me demande où sont les intérêts des sportifs, la protection de leur santé et la simple passion du jeu.
Vous avez raison, il ne faut pas comparer le sportif au salarié. Pour un sportif, l’arrêt peut signifier la remise en cause de toute sa carrière. Il faut donc d’autant plus le protéger des dérives marchandes et lui donner des garanties pour protéger sa santé physique et son intégrité psychique. Tout l’environnement est concerné par le dopage et on ne réglera pas le problème en insistant sur la seule responsabilité personnelle et pénale du sportif. Pourquoi ne pas en rester à la sanction sportive tout en augmentant les peines pour les pourvoyeurs, incitateurs et autres responsables et comptables, souvent présents dans l’entourage du sportif ou de la sportive ? Jusqu’à présent, la loi française a toujours privilégié la sanction sportive et la responsabilité du mouvement sportif. Votre projet de loi amorce-t-il une autre démarche consistant à suivre le modèle italien, où la sanction est uniquement pénale ?
Je m’interroge d’autre part sur les pouvoirs dévolus aux agents du ministère des sports. En faisant de la détention de produits dopants un délit et en précisant leurs compétences, vous risquez de transformer profondément leur mission et de leur attribuer une fonction pour laquelle ils ne sont pas formés. Aussi, je préconiserai en cette matière une grande prudence.
Enfin, ma dernière interrogation concerne le sport de masse et les moyens budgétaires consacrés à son encadrement et à la formation des bénévoles, dont le rôle éducatif dans l’effort de prévention est de dissuader les jeunes, voire les adultes, d’adopter ces conduites dangereuses.
Monsieur le secrétaire d’État, j’espère que le débat apportera des réponses à ces trois questions et permettra à mon groupe de voter ce texte.
Soyez certain, quelle que soit l’issue du débat, que mon engagement dans le combat contre le dopage restera entier. Je me tiens disponible pour toute mobilisation allant dans ce sens. À moins de cent jours des jeux Olympiques de Pékin, ce débat prend tout son sens : agir pour que le sport redevienne facteur d’épanouissement. C’est ce dont nous rêvons pour cette Olympiade. (Applaudissements sur tous les bancs.)
 

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Michel
Vaxès

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