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Solution à deux Etats et condamnation de l’institutionnalisation par l’Etat d’Israël d’un régime d’apartheid

Il y a un peu plus de dix ans, lorsque je siégeais à l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), au nom de la liberté d’expression, toute la délégation française, de l’UMP – Union pour un mouvement populaire – aux communistes, en passant par les centristes et les socialistes, avait voté contre une résolution allemande visant à assimiler la critique de la politique d’Israël, dans les universités et dans la presse, à de l’antisémitisme. (Mme Ersilia Soudais applaudit.) Les polémiques entourent le débat consacré à la présente proposition de résolution démontrent que le consensus républicain de l’époque a désormais volé en éclats.

Pourtant, je vous appelle, mes chers collègues, avec gravité, au-delà de notre attachement profond à l’existence de l’État d’Israël, à porter un regard critique sur la dérive illibérale et coloniale de cet État, pour trouver le chemin de la paix. Cette résolution est une contribution à la paix fondée sur le droit international, et rien d’autre.

Le fait est sans précédent : une coalition gouvernementale composée de partis nationalistes, suprémacistes et religieux ultraorthodoxes est au pouvoir en Israël. C’est un gouvernement d’extrême droite motivé par la volonté de saper les fondements démocratiques du pays et d’intensifier la politique coloniale en Cisjordanie.

Cette dérive puise ses racines dans le choix historique de la colonisation. Depuis la guerre des Six Jours, l’armée israélienne a pris possession de la Cisjordanie, y compris de Jérusalem-Est. En 1967, la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU avait appelé au « retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés » pour l’instauration d’une paix durable, mais elle est restée lettre morte. Pire encore, la colonisation n’a jamais cessé de s’intensifier jusqu’à aujourd’hui, alors qu’un ministre du gouvernement israélien est venu à Paris dire que le peuple palestinien n’existait pas.

Que les raisons de la politique de colonisation soient politiques, sécuritaires ou religieuses, celle-ci est contraire à la légalité internationale. Elle viole les engagements de l’État israélien, lequel a ratifié dès 1951 la quatrième Convention de Genève dont l’article 49, que je rappelle ici, interdit l’implantation de populations nouvelles dans un territoire conquis à la suite d’un conflit. C’est sur ce fondement que les organes onusiens ne cessent de réaffirmer le caractère illégal de la colonisation israélienne.

Les Palestiniens sont les principales victimes de cette longue dérive. À tel point qu’aujourd’hui, leur condition relève juridiquement d’une situation d’apartheid, telle que définie par le droit international des droits de l’homme qui est au fondement même des Nations unies. Les trois critères posés par le droit international pour qualifier le régime d’apartheid sont réunis en Israël : c’est un régime institutionnalisé, c’est-à-dire organisé par l’État et ses institutions et gravé dans le marbre de la loi ; ce régime est un système, c’est-à-dire une organisation cohérente d’actes ayant pour but la domination et l’oppression d’un groupe sur un autre ; ce régime est intentionnellement maintenu en place.

Les centaines de résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies condamnant la colonisation israélienne des territoires palestiniens, les résolutions de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, les enquêtes et rapports publiés par des associations et des organisations non gouvernementales israéliennes comme Breaking the Silence ou B’Tselem, par des ONG palestiniennes comme Al-Haq ou Addameer, et des ONG internationales comme Amnesty International démontrent qu’un système qualifié d’apartheid en vertu du droit international a bien été institué par l’État d’Israël.

Certains font mine de le découvrir. Rappelons que, dès 2006, l’ancien président américain Jimmy Carter employait ce terme dans le titre de son ouvrage sur la politique israélienne, Palestine : la paix, pas l’apartheid.

Plus proche de nous, en mai 2021, le ministre des affaires étrangères en exercice, Jean-Yves Le Drian, avait écrit : « Le risque d’apartheid est fort si l’on continue à aller dans une logique à un État ou du statu quo ». En octobre 2022, l’ancien ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, écrivait avec quatre de ses homologues européens : « Nous ne voyons pas d’autre alternative que de reconnaître que les politiques et pratiques d’Israël à l’encontre des Palestiniens vivant en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza équivalent au crime d’apartheid. » Jacques Attali a également écrit, en mars 2023, dans une note de blog intitulée « Vers un suicide du sionisme ?

 » : « Un jour prochain, les Palestiniens […] en viendront à renoncer à la revendication d’un État palestinien – ce que la droite israélienne s’acharne à rendre impossible – pour ne revendiquer que d’avoir les mêmes droits que ceux des citoyens de l’État d’Israël, plaçant le pays dans la même situation que l’Afrique du Sud au temps de l’Apartheid. Cela viendra. »

Vous direz cela à Jacques Attali.

Ces alertes doivent être entendues et les mobilisations pour la démocratie au sein de l’État d’Israël doivent être soutenues. Un régime démocratique et un régime d’apartheid consécutif à une politique coloniale ne sauraient coexister. Nous devons prendre conscience que la politique coloniale et d’apartheid menée par l’État d’Israël est un obstacle infranchissable à la viabilité de la solution à deux États, et même de la solution à un seul État que certains prônent. C’est la raison pour laquelle cette proposition de résolution réaffirme son ferme soutien à une solution du conflit israélo-palestinien fondée sur la coexistence de deux États, sur la base des frontières de 1967, avec Jérusalem pour capitale des deux entités, à savoir l’État d’Israël, dont la sécurité serait assurée, et un État de Palestine indépendant, démocratique, d’un seul tenant et viable, vivant côte à côte dans la paix et la sécurité, en vertu du droit à l’autodétermination de chacun et dans le strict respect du droit international.

La proposition de résolution condamne fermement en tant que crime, au sens du droit international, le régime d’apartheid institué par l’État d’Israël consécutif à sa politique coloniale et elle invite le Gouvernement français à agir pour y mettre fin, comme le droit international l’exige. Elle propose au Gouvernement français de reconnaître l’État de Palestine en vue d’obtenir un règlement définitif du conflit, comme notre Assemblée l’a fait quasi unanimement il y a maintenant près de dix ans. Elle invite ensuite la France à déposer devant le Conseil de sécurité de l’ONU, une résolution appelant à imposer à l’État d’Israël un embargo strict sur l’armement, et elle propose d’imposer des sanctions aux personnalités politiques responsables les plus impliquées dans le crime d’apartheid. Enfin, elle invite le Gouvernement à abroger les circulaires, illégales selon le droit européen, interdisant l’appel au boycott des produits issus des colonies.

Elle rappelle qu’en droit international, le boycott est considéré comme une forme légitime d’expression politique et que les manifestations non violentes de soutien au boycott relèvent d’une liberté d’expression légitime qu’il convient de protéger.

Mes chers collègues, je vous invite à sortir d’un silence qui permet l’impunité d’une politique d’occupation menée illégalement depuis plus de cinq décennies et qui s’accompagne de violations des droits humains et des libertés des Palestiniens.

Je vous appelle à vous prononcer pour un ordre mondial fondé sur le respect du droit international et à permettre ainsi d’ouvrir des perspectives de paix durable pour le peuple palestinien et le peuple israélien. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et LFI-NUPES et sur plusieurs bancs du groupe Écolo-NUPES.)

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

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