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Société : lutte contre les discriminations

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, on dit souvent qu’en France, depuis le bel été de 1789 et la proclamation de l’universalité de l’égalité des droits, l’égalité serait au cœur de toutes les passons républicaines. Elle incarnerait un certain modèle français. Peut-être… Ce dont je suis certaine, c’est qu’elle répond à l’aspiration d’une majorité de nos concitoyens et de nos concitoyennes, et que je partage.
Mais je vois la réalité et les réticences. Je vois que la France a encore besoin, en 2008, des remontrances de l’Union européenne – trois procédures d’action en manquement dont deux ont donné lieu à l’envoi d’une mise en demeure et la troisième à l’émission d’un avis motivé – pour qu’elle consente à se mettre au niveau en matière de lutte contre les discriminations. Je vois qu’en 2008 notre pays est encore incapable de se donner les moyens de réaliser concrètement cette égalité des droits qu’elle a proclamés il y a plus de deux cents ans.
La France a déjà transposé une partie de ces mesures antidiscriminatoires au travers de diverses lois entre 2001 et 2006.
La directive 2000/78/CE portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, adoptée le 27 novembre 2000, donnait trois ans aux États membres de l’Union pour modifier leur droit interne, et transposer les outils juridiques proposés. En France, cette directive n’a été que partiellement transposée, si bien qu’à ce jour toutes ses dispositions n’ont pas été intégrées dans le droit français. C’est ce qui a amené la commission européenne à adresser récemment un avis à la France, ainsi qu’à dix autres pays, relevant les lacunes de transposition et leur donnant deux mois pour réagir. Tel est l’objet du projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui : se mettre en conformité avec le droit communautaire en vue de se prémunir de toute sanction pour manquement de la part de la Commission européenne. J’aurais aimé un peu plus de chaleur, de passion et de volonté politique d’en finir enfin avec ces discriminations qui sont autant de blessures quotidiennes pour des millions de nos concitoyens. Vous avez préféré le formalisme étroit d’une transposition juridique, un projet de loi pour bon élève de la classe européenne, technique et froid, légal mais surtout minimal.
J’aurais donc tendance à réagir comme ces nombreux instits confrontés à des élèves doués mais paresseux : « Peut mieux faire ! » Assurément, la France peut se montrer plus ambitieuse lorsqu’elle parle d’égalité !
C’est bien cette ambition ou ce souffle qu’auraient pu vous transmettre toutes les associations qui luttent contre les discriminations, si vous aviez cru bon de prendre le temps de les consulter, et ce d’autant plus que la consultation des acteurs associatifs est précisément un objectif de ces directives, que je souhaiterais voir inscrit dans ce texte.
Elles auraient pu vous dire, par exemple, combien l’existence de discriminations peut être à ce point banalisée que trop nombreuses sont les victimes qui les intègrent comme faisant partie de leur quotidien. C’est pourquoi il est urgent de se mobiliser pour éradiquer toutes les discriminations et pour développer l’égalité comme une exigence du « vivre ensemble ».
Or votre politique divise et met en concurrence, pour mieux faire régner ceux qui profitent de cette jungle : elle oppose les femmes aux hommes, les jeunes aux vieux, les travailleurs aux chômeurs, les salariés de la fonction publique à ceux du privé ou les personnes en fonction de leurs origines.
Il est évident que les discriminations sont largement aggravées par les politiques libérales, qui sont des politiques discriminantes de fait mettant en cause les droits sociaux, les services publics et les droits du travail en développant l’insécurité sociale et celle de l’emploi. Des politiques de rejet ou sécuritaires stigmatisent, quant à elles, des populations, notamment les jeunes et les migrants, et mettent à mal la solidarité en contredisant la nécessaire égalité des droits.
Je préside, vous le savez, le groupe d’étude SIDA de notre assemblée. Les formes de stigmatisation et de discrimination rencontrées par les personnes vivant avec le VIH-SIDA sont dramatiques. Elles sont multiples et complexes. Ainsi en est-il de l’absence de CMU complémentaire pour ces malades qui ne disposent pas d’allocation adulte handicapé. Près de la moitié des personnes séropositives sont aujourd’hui sans emploi alors que plus des deux tiers des personnes ayant perdu leur emploi depuis la découverte de leur séropositivité souhaitent retravailler. Mais leurs démarches n’aboutissent pas.
Dans plus de la moitié des états membres de l’ONU, des mesures discriminatoires à l’encontre de la liberté de circulation des personnes séropositives sont appliquées. Dans au moins onze pays dont les États-Unis et la Russie, les séropositifs sont tout simplement interdits d’entrer sur le territoire national, même en tant que touriste. Même au sein de l’Union européenne, des pays appliquent des mesures discriminatoires aux ressortissantes et aux ressortissants de pays ne faisant pas partie de l’Union.
Alors que ces discriminations touchent les personnes séropositives, d’autres, plus insidieuses mais tout aussi réelles, bien qu’« indirectes », comme dirait le droit communautaire, continuent de toucher les femmes au travail, par le biais de leur salaire ou de la progression de leur carrière, ou les filles dans l’accès aux filières ou la maîtrise de leur corps. Or l’amendement que vous proposez, madame Vasseur, visant à l’organisation des enseignements en regroupant les élèves en fonction de leur sexe, nous inquiète : attention aux discriminations sexistes ! Les discriminations territoriales touchent, quant à elles, les jeunes dans leur accès à l’emploi, aux loisirs ou au logement. Les discriminations liées à l’orientation sexuelle demeurent. Chaque jour, de fait, des millions d’hommes et de femmes souffrent au quotidien et c’est bien parce que la vie de tous ces hommes et de toutes ces femmes est blessée que j’aurais aimé que le projet de loi fasse preuve d’un peu plus d’ambition.
La lutte en profondeur, durable, contre toutes les discriminations est une question de dignité et de justice, partie intégrante de tout combat humaniste pour l’égalité, la justice et la solidarité.
Pourquoi la lutte contre les discriminations ne serait-elle pas déclarée grande cause nationale pour toute la durée de la législature afin de lui donner l’ampleur et le temps nécessaires ? Il faut en effet une volonté politique, des projets, des actions et des luttes persévérantes pour combattre ce fléau.
Je vous soumets quelques propositions : créer une délégation interministérielle à la lutte contre toutes les discriminations ; renforcer les pouvoirs de la HALDE, la démocratiser et la décentraliser ; mettre en place un corps d’inspecteurs d’État contre les discriminations ; enfin, lutter concrètement contre les discriminations au travail en formant et en recrutant des inspecteurs du travail en bien plus grand nombre.
Ces quelques propositions nous permettraient de poser des jalons solides pour construire et inventer une société de partage et de rencontre avec une vision inédite du rapport à l’autre : une société riche de ses couleurs, de ses actes et de ses créations. Hélas, nous n’en sommes pas là ! Tant qu’un homme ou une femme sera victime de discrimination, nous ne serons pas quittes. Il faut inverser ces logiques de domination tant sociale que sociétale. Il nous faut trouver le chemin de l’action pour la dignité, la citoyenneté et la démocratie.
C’est bien pour aller dans ce sens que je souhaiterais appeler votre attention sur quelques points particulièrement importants du texte qui nous est aujourd’hui soumis.
Alors que, ces dernières années, le législateur a éliminé toute forme de hiérarchie entre les discriminations selon leur motif, l’article 2 de votre projet rétablit deux niveaux d’interdiction par le biais de deux catégories de discrimination en matière de biens et de services, de protection sociale, de santé, d’avantages sociaux et d’éducation ou en matière d’affiliation et d’engagement dans une organisation syndicale ou professionnelle. Ainsi, selon le motif de la discrimination, les personnes seront plus ou moins protégées. Cette régression n’est pas acceptable.
Par ailleurs, la Commission européenne reproche à la France des limitations à l’action des associations auprès des victimes. En effet, alors que les associations de lutte contre les discriminations peuvent agir auprès des victimes au pénal et aux prud’hommes, elles ne le peuvent pas devant le tribunal administratif. Les associations ne peuvent donc ester en justice aux côtés des fonctionnaires victimes de discrimination. Le projet de loi a omis de rectifier cette non-transposition du droit européen, ce qui est un comble, vu son objet.
Enfin le texte, tout simplement en raison d’une rédaction trop rapide, ne précise pas certaines notions juridiques dans les différents codes auxquels il renvoie et oublie d’intégrer certaines avancées de la directive dans le code pénal.
Ce texte donne le sentiment d’avoir avant tout été écrit pour satisfaire aux exigences de la Commission européenne et non dans l’objectif de définir un droit accessible et lisible par tous et toutes.
Un certain nombre d’amendements ont été déposés par le groupe de la gauche démocrate et républicaine et par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche sur chacun de ces points. Nous les soutiendrons, car il est de notre responsabilité, à nous, législateurs, de refuser clairement que des hommes ou des femmes aient dans notre pays moins de droits que les autres.
Madame la secrétaire d’État, chers collègues, j’insisterai sur un dernier point. Je n’aimerais pas que les mesures que nous votons aujourd’hui soient dépecées dès demain. Je n’aimerais pas que les grands discours qui résonnent aujourd’hui dans notre hémicycle contre les discriminations soient balayés dès demain. Je n’aimerais pas qu’au moment où nous donnons plus de moyens juridiques à la justice pour combattre les discriminations, le Parlement lui en retire de bien plus grands !
Vous n’ignorez pas en effet que le Sénat vient de voter une proposition de loi, présentée par le sénateur Hyest, portant réforme de la prescription en matière civile. Et vous ne pouvez ignorer que derrière une présentation apparemment anodine, au motif de simplifier le droit de prescription civile, ce texte réduit de trente à cinq ans la durée du délai de droit commun de la prescription extinctive !
Or, parmi les faits visés qui ne pourraient plus donner affaire à contentieux civil au-delà de cinq ans, on trouve évidemment les poursuites engagées en matière de lutte contre les discriminations dans le domaine de l’emploi, fondées sur le sexe, l’origine, l’appartenance syndicale, ou encore sur l’âge ou l’orientation sexuelle. La réforme proposée va heurter de plein fouet les actions en dommages et intérêts contre ces discriminations, alors que l’expérience démontre que seule la prescription trentenaire a permis de créer un rapport de forces favorisant l’action juridique par la négociation ou l’action en justice.
Un délai de cinq ans n’est pas suffisant pour établir les faits et les conséquences d’une discrimination par nature opaque. Un délai de cinq ans n’est pas suffisant pour permettre une réparation intégrale des dommages occasionnés par de telles discriminations. Aussi cette proposition de loi, si elle devait être adoptée par l’Assemblée, constituerait-elle un terrible recul des luttes contre les discriminations.
Cette coïncidence entre ces textes mais aussi la condamnation dont les discriminations font l’objet dans l’opinion, plaident pour que le texte adopté par le Sénat ne soit pas inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée, à moins que ce ne soit pour le modifier très sensiblement. J’attends évidemment, madame la ministre, une réponse claire du Gouvernement sur ce point.
Je peux résumer mon point de vue en indiquant que la réduction de la prescription à cinq ans rendrait inopérante la lutte pour l’égalité de traitement et contre les discriminations, et inutile ce débat dans l’hémicycle sur la loi de transposition des textes communautaires. C’est bien évidemment au regard de l’engagement de votre gouvernement à cet égard et des avancées réelles sur le texte que les députés communistes et républicains détermineront leur vote. Or en l’état, ils ne peuvent le voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
 

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Marie-George
Buffet

Députée de Seine-Saint-Denis (4ème circonscription)
Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale

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