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Discussions générales

Société : bioéthique

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le note très justement le comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé dans son avis du 9 octobre 2008 : « La recherche de la connaissance est une valeur fondamentale et la science, malgré des erreurs et des dérives, a contribué et contribue toujours à l’amélioration du bien-être de l’homme. Quelle influence peut avoir aujourd’hui la science sur les valeurs de notre société pluraliste et laïque ? »
Ce n’est effectivement pas la recherche en soi qui pose problème, mais ses applications lorsqu’elles contrarient les valeurs spécifiquement humaines qu’elles devraient pourtant servir.
Il faut donc rappeler que toutes les applications possibles de la recherche scientifique ne sauraient être nécessairement et systématiquement autorisées. Le rôle du législateur est de dégager un cadre qui concilie la libre pensée scientifique et le respect de la dignité des personnes et du bien commun.
Consentement, anonymat, gratuité et indisponibilité du corps humain, tels sont les principes qui ont constitué et constituent aujourd’hui encore le socle de notre législation relative à l’éthique biomédicale
Plus de quinze ans après les premières lois bioéthiques, nous sommes depuis plusieurs mois mobilisés pour remettre l’ouvrage sur le métier, pour nous demander si les équilibres prévalant sont toujours d’actualité compte tenu des évolutions scientifiques, médicales et juridiques intervenues depuis lors et des revendications qui se sont ça et là exprimées ces cinq dernières années.
En dehors même de l’obligation légale de révision, l’intervention du législateur se justifie donc au seul regard de ces évolutions.
L’un des enjeux de cette révision législative est de trouver, lorsque cela est possible, le meilleur équilibre entre les oppositions qui se sont fait jour autour des principales questions qui se posent en ce domaine : remise en cause de l’anonymat des dons de gamètes, autorisation de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, élargissement de l’accès à l’assistance médicale à la procréation à d’autres indications que celles strictement médicales et gestation pour autrui.
Je reviendrai successivement sur ces questions à la fois délicates, complexes et passionnelles.
La levée de l’anonymat du don de gamètes pour les cas d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur soulève de nombreuses questions. Le professeur David écrivait déjà en 1984 : « La procréation demeure le refuge de l’intimité et du naturel. L’irruption, dans ce domaine, de la médecine posera peut-être plus encore qu’ailleurs des problèmes difficiles d’interférence du social et du médical. » C’est bien, me semble-t-il, ce à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui.
Les enfants nés d’un don de gamètes représentent environ 6 % de l’ensemble de ceux conçus par AMP. L’un des principes fondamentaux sur lequel repose ce don, l’anonymat, est aujourd’hui contesté.
Face à cette contestation, il convient, tout d’abord, de constater que toutes les personnes issues de ce don n’éprouvent pas de difficultés liées aux questionnements sur leur origine. Alors que certaines souffrent, d’autres vivent parfaitement heureuses, sans que leur mode de conception ni l’anonymat de leur donneur ne les préoccupent. On peut donc, heureusement, a priori pleinement s’épanouir sans s’interroger sur les éventuels bienfaits ou méfaits du principe d’anonymat. De ce constat une première évidence s’impose : on ne peut en aucun cas généraliser le besoin de lever de l’anonymat des personnes conçues par ce don.
Dans la vie, chacun doit se construire avec ce qui est et qui n’est pas forcément ce qu’il aurait souhaité. Chacun doit s’adapter aux épreuves de la vie : séparation, deuil, handicap ou maladie. Il n’en va pas différemment pour ce qui est de la construction de sa filiation. Il me semble évident que cette filiation appartient à ceux qui ont la responsabilité effective de l’enfant, de son éducation, de ses relations affectives et que, dans ces conditions, pour reprendre l’appréciation du pédopsychiatre Lévy-Soussan, toute société, toute loi qui valoriserait le pilier biologique le ferait toujours au détriment de la certitude de la filiation psychique.
Comme le dit très justement M. Jean-Marie Kunstmann, vice-président de la Fédération des CECOS, praticien hospitalier à l’hôpital Cochin : « L’anonymat permet de dépersonnaliser les gamètes, ce qui facilite leur réinvestissement et leur humanisation par le couple receveur ».
Gardons toujours à l’esprit que la procréation par don de gamètes résulte avant tout et principalement du désir d’un homme et d’une femme de marquer leur union en se perpétuant dans une descendance, malgré les problèmes médicaux qui les ont contraints à recourir à un tiers donneur. L’origine de l’enfant né de ce don, c’est bien la concrétisation de la volonté de ces deux personnes de devenir parents. Le principe de l’anonymat favorise cette conception du rôle irremplaçable de la filiation psychique.
L’anonymat a toujours pour corollaire de garantir la gratuité, principes qui ont, dès 1994, consacré un principe de niveau plus essentiel encore, celui de non-patrimonialité du corps humain : si mon corps est moi, par contre, il n’est pas à moi.
Les règles de l’anonymat et de la gratuité du don marquent clairement que nous refusons de faire la moindre concession à ceux qui, d’une façon ou d’une autre, nous presseraient un jour de nous situer sur le terrain de l’échange calculé quand nous avons délibérément pris le parti de nous installer sur celui de la solidarité désintéressée. Avec le don anonyme et gratuit, les éléments et les produits de mon corps ne sont pas hors usage, mais ils doivent être assurément hors commerce et plus généralement hors contrat.
En écornant si peu que ce soit le principe de l’anonymat, je suis convaincu que, tôt ou tard, et malgré nous, nous nous retrouverions confrontés à l’échange contractuel et, du même coup, à la mise à mal du principe de non-patrimonialité du corps humain.
Au-delà de notre attachement aux principes de gratuité et d’anonymat, c’est bien le principe de non-patrimonialité du corps humain et de primat du psychique, du relationnel, sur le biologique qui fonde notre rejet de la gestation pour autrui, comme il a, du reste, fondé notre attachement au droit du sol et non à celui du sang.
Si l’on peut entendre la détresse de certaines femmes, la question est de savoir si l’on est prêt à prendre les risques importants de dérives inhérents à la GPA pour satisfaire la demande d’avoir un enfant génétiquement issu de soi, ainsi que l’a dit le professeur René Frydman en commission.
Comme le développe très bien le rapport de la mission d’information, la gestation pour autrui soulève de lourdes interrogations éthiques à plusieurs titres, au regard tant des risques, physiques ou psychologiques qu’elle implique de faire prendre à des tiers que de l’aliénation et de la marchandisation du corps humain, à travers l’exploitation des femmes les plus vulnérables, auxquelles elle serait susceptible de conduire. Il est impossible de définir un encadrement apte à garantir l’absence de toute dérive. Enfin, la légalisation de la gestation pour autrui entraînerait d’importantes répercussions sociales, juridiques mais aussi anthropologiques
En ne garantissant ni l’anonymat ni la gratuité et, moins encore, la non-patrimonialité du corps humain, la GPA consacrerait, de mon point de vue, un véritable recul de civilisation, et ce n’est pas parce que des États n’ont pas su résister aux pressions de certains groupes qu’il faudrait à notre tour y succomber. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)
Depuis le siècle des lumières notamment, la France a su porter des valeurs profondément humaines en de nombreux champs de la vie sociale. Si, depuis, certaines ont souffert de reculs majeurs, n’en rajoutons pas un autre en matière d’éthique biomédicale. Ne livrons pas la médecine à une instrumentalisation qui en pervertirait la finalité.
J’en viens maintenant à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.
Si l’embryon doit être regardé avec le respect dû à la potentialité de personne vers laquelle il peut évoluer, une des conditions impérativement nécessaire à cette évolution reste que l’embryon soit implanté dans l’utérus de la femme. S’il n’est pas implanté, il ne sera jamais la promesse d’un enfant à naître et, par conséquent, jamais une personne réelle à venir. Dès lors, je ne pense pas que l’on puisse refuser qu’il fasse l’objet de recherches dont les avancées peuvent servir à une meilleure connaissance des conditions de son développement, de sa « qualité », et par conséquent viser l’intérêt de l’embryon lui-même.
C’est l’interprétation que je fais de l’opinion du philosophe Lucien Sève lorsqu’il dit : « Il s’agit de mettre en œuvre une démarche s’efforçant de bien saisir la logique du problème concret pour faire vivre au singulier l’exigence d’universalité. Une telle bioéthique travaille au cas par cas dans l’attention vigilante à ce que chaque cas a d’inédit, mais chaque cas est en même temps le lieu de l’universelle exigence du respect humain. Faire valoir cette exigence d’ensemble en chaque situation prise à part requiert non la conformité toujours trop sommaire à une règle mais la pertinence toujours renouvelée à une visée. »
En d’autres termes : « L’universalité de l’obligation au respect, c’est celle non d’une norme passe-partout mais d’un cap omniprésent qui peut nous conseiller des orientations bien différentes. À l’opposé de la norme, prescription concrète prétendant valoir pour la généralité des cas, le cap est expressément formel c’est-à-dire que son universalité ne prend corps qu’au singulier. »
C’est, me semble-t-il, ce type de considération qui démasque les théories de « l’animation immédiate » que portent certaines voix ou qu’illustre, d’une certaine façon et a contrario, l’appréciation que je partage avec Anne Fagot-Largeault lorsqu’elle affirme que le génome n’est pas sacré et que ce qui est sacré ce sont les valeurs liées à l’idée que nous nous faisons de l’humanité.
Du point de vue juridique, le Conseil d’État estime qu’il n’y a pas d’argument à opposer à l’introduction d’un régime d’autorisation. Rappelant la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994, le Conseil d’État estime que : « Sous réserve que les atteintes portées à l’embryon soient justifiées par des motifs majeurs tenant à la protection de la santé, des recherches sur les cellules embryonnaires peuvent donner lieu à autorisation sans que le principe constitutionnel de protection de la dignité humaine puisse leur être opposé. »
Si le principe constitutionnel cité par le Conseil d’État porte précisément sur la sauvegarde de la dignité de la personne humaine et pourrait difficilement être invoqué dans les cas des embryons non pourvus de personnalité juridique, il apparaît clairement que l’introduction d’un régime d’autorisation n’entrerait en contradiction avec aucune norme supérieure dès le moment où le législateur peut légitimement considérer, selon le juge constitutionnel, que les embryons surnuméraires sans projet parental sortent du champ couvert par l’article 16 du code civil qui énonce le principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie.
Sur la procédure, le Conseil d’État reconnaît que la méthode d’interprétation des textes pourrait différer dans le cas où une situation donnée serait incertaine mais souligne que l’instauration d’un dispositif d’autorisation sous conditions strictes ou d’un régime d’interdiction avec dérogation n’emportent pas de différences importantes dans les modalités pratiques des contrôles administratifs qui pèseront sur ces recherches. Juridiquement, la différence entre ces deux formules n’est pas fondamentale : l’un ou l’autre de ces schémas peut être indifféremment employé pour encadrer la recherche par des conditions en réalité identiques. Dans les deux cas, ce seraient les mêmes recherches qui seraient interdites, et toute recherche non expressément validée serait interdite, sous peine de sanctions pénales.
Pour ces raisons de fond, je reste favorable à la possibilité de soumettre la recherche sur l’embryon à un régime d’autorisation sous conditions, en l’encadrant rigoureusement, ce que l’agence de la biomédecine sait très bien faire
Si l’aide médicale à la procréation est aujourd’hui considérée comme un acte médical ayant principalement pour objectif de suppléer l’altération de processus naturels de la reproduction humaine, plusieurs personnes auditionnées par la mission d’information ont suggéré d’assouplir les conditions d’accès à ces techniques, jugées trop strictes.
Ces demandes portent sur les dispositions de la loi relative à la stabilité du couple et l’âge de procréer ainsi que sur la possibilité d’autoriser la procréation post mortem ou l’accès à l’AMP pour les femmes seules et les couples de même sexe.
S’il convient de maintenir l’interdiction de l’insémination post mortem, comme l’a décidé notre commission, en revanche le transfert post mortem d’embryons pourrait être autorisé sous certaines conditions précises, comme l’a prévu la commission spéciale. Le transfert post mortem d’embryons pourrait ainsi intervenir à titre exceptionnel lorsque le projet parental a été engagé mais a été interrompu par le décès du conjoint. Le transfert d’embryons serait autorisé par l’ABM, dès lors que le père y aurait consenti. Ce transfert ne pourra avoir lieu qu’entre le sixième et le dix-huitième mois suivant le décès de ce dernier. Dans ces conditions, la filiation paternelle légitime ou naturelle, selon que le couple était marié ou non, sera établie et l’enfant sera appelé à la succession de son père. Je partage cette opinion qui a été adoptée par la commission.
S’agissant de la question de l’accès des couples homosexuels à l’AMP, je considère qu’il n’appartient pas à la médecine de répondre à cette demande. L’homosexualité n’étant pas une pathologie et l’infertilité qui en découle n’étant pas une maladie, la réponse ne peut être médicale.
D’ailleurs, ce ne serait plus dans ce cas d’abord une assistance médicale à la procréation mais une assistance sociétale à la procréation.
Indépendamment du fait qu’elle se pose différemment pour les couples féminins et masculins, lesquels pour être satisfaits devraient recourir à la gestation pour autrui que personnellement je réprouve car elle conduit dans tous les cas à une marchandisation ou une contractualisation du corps humain, elle soulève des interrogations sur les conséquences du glissement de la réponse médicale à la réponse sociétale, conséquences qui vont bien au-delà de la seule question de l’assistance à la procréation.
Cette ouverture conduirait, en effet, au-delà d’une nouvelle approche de la gestation pour autrui, à celles de motivations sociétales au diagnostic préimplantatoire et par voie de conséquence à des risques d’eugénisme aux fins de convenance personnelle ou, pire, « d’amélioration » de l’espèce humaine.
Elle conduirait sûrement aussi à celles de prélèvements et de banque de produits humains à des fins autologues donc, encore, à la remise en cause des principes de l’anonymat et de la non patrimonialité du corps humain.
Si je ne vois pas d’inconvénient à ouvrir plus tard ce débat avec la mise en place d’une mission d’information de l’Assemblée, il me paraît aujourd’hui extrêmement risqué voire dangereux d’accéder à la demande des couples homosexuels de bénéficier de l’aide médicale à la procréation. Autre chose est pour eux la possibilité d’adopter, pour laquelle je ne vois aucun inconvénient.
Il faut en effet bien avoir conscience que, dans cette hypothèse, nous changerions fondamentalement le cadre de notre réflexion puisqu’il ne s’agirait plus de considérer l’évolution médicale dans son rapport à la santé publique mais dans son rapport à des choix sociétaux engageant notre civilisation.
Le questionnement bioéthique, parallèlement aux développements rapides de la science et des techniques médicales, apparaît de plus en plus indispensable. Il convient d’encadrer ces développements en préservant les valeurs fondamentales que sont la dignité de l’être humain, le respect dû au corps, la protection de l’embryon humain et l’intérêt de l’enfant.
Il convient aussi de s’assurer que les innovations médicales apportent des solutions aux problèmes médicaux et non aux évolutions sociétales, sauf si la représentation nationale, relayant la volonté majoritaire d’une opinion publique parfaitement éclairée, en décidait autrement. Le moment n’est cependant pas venu. Il me semble, à cet égard, que le présent texte permet un équilibre entre la libre pensée scientifique et le respect de la dignité des personnes et du bien commun.
Les députés communistes se détermineront, ce qui est bien normal, à l’issue du débat. En l’état actuel, ce texte entraînerait mon adhésion et celle d’une majorité des députés de mon groupe. Personnellement je le voterai en espérant toutefois que nos échanges permettent d’avancer en matière de recherche sur l’embryon qui n’est plus lié à un projet parental.
Il s’agit d’une question importante car elle traduira notre volonté de ne pas céder à d’autres considérations que celles rappelées par le président de la commission spéciale dans son intervention liminaire et que je partage tout à fait. Je souhaite donc que la discussion nous permette de traiter cette question à fond et avec courage, et de la trancher avec bon sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR, sur divers bancs du groupe SRC et sur quelques bancs des groupes UMP et NC.)
 

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