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Revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles

Rapporteur de la commission des affaires sociales

Je me réjouis que nous retrouvions, une fois encore, pour trouver ensemble la voie des retraites décentes pour l’ensemble des agricultrices et des agriculteurs. « Le chemin se fait en marchant », écrivait Antonio Machado. Il y a un an, nous cheminions déjà ensemble pour adopter la loi qui va permettre aux exploitants agricoles de pouvoir accéder à une pension à hauteur de 85 % du SMIC ; pour beaucoup d’entre eux, c’est tout simplement la possibilité de vivre au-dessus du seuil de pauvreté. C’est pourquoi je me réjouis qu’en novembre prochain, le Gouvernement rendra enfin effective cette revalorisation attendue depuis tant d’années.

Monsieur le secrétaire d’État chargé des retraites et de la santé au travail, mes chers collègues, nous pouvons en être collectivement fiers. Je me souviens qu’il y a un an, sur les bancs de la majorité comme sur ceux de l’opposition, nous nous sommes tous accordés sur la nécessité de nous atteler sans tarder à la question des pensions des conjoints collaborateurs et des aides familiaux, qui sont toujours les oubliés de la protection sociale agricole.

Nous avions été toutefois contraints par les règles de recevabilité qui encadrent notre droit d’amendement. La proposition de loi que je vous présente aujourd’hui est l’occasion de traduire concrètement nos promesses exprimées collectivement.

Entre-temps, la majorité a également déposé une proposition de loi, travaillée notamment par Jacqueline Dubois dont je tiens à saluer l’investissement, dans la continuité de celui d’Olivier Damaisin sur le texte précédent. Signée par 125 députés issus des trois groupes de la majorité, cette proposition de loi – appelée dans son exposé des motifs à concrétiser la démarche en faveur des conjoints et des aides familiaux, pour répondre à un impératif de justice sociale – est « un enjeu d’actualité pour l’égalité homme-femme ».

Comment ne pas être d’accord ? Trop longtemps, les femmes agricultrices ont été les invisibles de la protection sociale. Trop longtemps, elles ont bénéficié avec retard des droits sociaux accordés aux exploitants agricoles. Qu’il s’agisse du bénéfice de la retraite complémentaire obligatoire (RCO), de l’attribution de points gratuits pour augmenter leur pension, de leur statut dans l’agriculture ou même de leur existence sociale propre, les conjointes ont toujours été placées à la périphérie et donc prises en considération avec un temps de retard.

Ces temps de retard se traduisent par de fortes inégalités entre les femmes et les hommes, dont le principe est naturellement aussi insupportable qu’ailleurs, mais dont l’ampleur est souvent encore plus grande qu’ailleurs. Certes, l’ensemble des agriculteurs souffrent de la faiblesse de leur revenu, qui se traduit mécaniquement dans le montant de leur pension future. Que dire de leurs conjointes ! Au 1er janvier 2020, 97 % des retraités ayant un statut de conjoint collaborateur et les deux tiers des retraités aides familiaux étaient des femmes. Ce sont donc avant tout des femmes qui touchent une pension moyenne de 604 euros par mois quand elles ont validé au moins 150 trimestres dans le seul régime des non-salariés agricoles, et de 307 euros par mois quand elles n’ont pas atteint cette durée d’assurance.

Ce sont en effet majoritairement des femmes qui souffrent d’un faible niveau de cotisations, en raison d’une reconnaissance tardive, d’une carrière plus heurtée que celle des hommes ou de l’inégale répartition des tâches familiales. Tous ces facteurs aboutissent à des inégalités professionnelles que l’on connaît malheureusement partout mais qui sont amplifiées dans le monde agricole. Les retraites agricoles sont déjà deux fois plus faibles que celles du régime général, et les retraites des agricultrices sont encore inférieures d’un tiers à celles des hommes. « Il y a plus inconnu que le soldat inconnu, sa femme », disait Christine Delphy, à la naissance du Mouvement de libération des femmes (MLF). Nous pourrions dire qu’il y a plus pauvre que le retraité agricole pauvre, sa femme.

Cela ne peut plus durer. Il est temps d’avancer résolument en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans l’agriculture. Nous avons posé une première pierre en commission, ou plutôt bâti le premier étage de la fusée. À la suite des auditions auxquelles j’ai tenu à associer tous les groupes, la commission a adopté, à l’article 1er, la fusion des pensions majorées de référence (PMR), de façon à faire bénéficier à tous les non-salariés agricoles du montant perçu par les chefs d’exploitation.

Cette fusion se traduira par un gain mensuel moyen de 62 euros pour les conjoints et les aides familiaux, et de 75 euros pour les femmes concernées. C’est une avancée dont on ne peut que se réjouir.

Cependant, je regrette – et c’est ce qui a motivé mon abstention au moment du vote en commission – que l’amendement déposé par la majorité ait supprimé les autres dispositions que je proposais, notamment la neutralisation dans le calcul du montant de la PMR de la majoration pour conjoint à charge, ou de la pension de réversion. Cependant, force est de reconnaître que cette revalorisation contribuera à atténuer le fossé qui sépare les pensions des conjoints collaborateurs et aides familiaux des autres pensions.

Devons-nous en rester là ? Je ne le crois pas, tant la boussole qui nous anime tous est celle d’une égalité réelle entre l’ensemble des non-salariés agricoles, quel que soit leur statut. C’est en ce sens que j’ai travaillé en commission avec le Gouvernement – en bonne intelligence, dirais-je –, ce qui justifie les amendements que nous avons déposés. Le premier d’entre eux vise à appliquer l’augmentation de la PMR à tous les retraités et non pas seulement à ceux qui vont le devenir. Il n’est jamais trop tard pour reconnaître la vie de labeur des centaines de milliers de travailleurs de la terre déjà retraités, qui ont pâti d’une protection sociale à éclipses.

Le deuxième amendement permet d’aligner le plafond d’écrêtement de la PMR – pension contributive – sur le montant de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) – prestation de solidarité. En arrimant les deux montants, cet alignement permet de rehausser le plafond de la PMR de près de 30 euros, ce qui permet à la fois une revalorisation supplémentaire et une augmentation du nombre de bénéficiaires de ce minimum contributif.

Compte tenu des échanges en audition, j’ai aussi souhaité limiter dans le temps le bénéfice du statut de conjoint collaborateur, pas seulement pour les personnes qui intègrent ce statut mais aussi pour tous les actifs concernés. Je propose de le limiter à cinq ans, comme c’est le cas actuellement pour les aides familiaux. Les conjoints pourront ainsi évoluer vers un statut plus protecteur de leurs droits sociaux. C’est le deuxième étage de la fusée.

Il me reste pourtant à exprimer une forte déception concernant nos débats en commission : l’article 2, qui prévoyait une extension aux conjoints collaborateurs et aides familiaux du complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire (CDRCO) à hauteur de 85 % du SMIC, a été rejeté alors qu’il correspondait à ce que nous avions appelé ensemble de nos vœux. Je vous propose donc le rétablissement de cet article ainsi que les différentes versions de repli.

Si j’entends bien que la marche budgétaire est haute, je note cependant qu’elle a été fortement abaissée par le mécanisme d’écrêtement introduit au cours de nos débats l’année dernière. C’est pourquoi je propose que cette extension puisse être progressive et suivre un chemin que vous devriez trouver compatible avec l’impact budgétaire de la mesure. Je propose aussi, en ultime repli, de n’appliquer cette mesure dans un premier temps qu’aux personnes nouvellement retraitées pour un coût de 14 millions d’euros, encore davantage compatible avec vos objections sur l’impact financier.

C’est aussi l’objectif de justice sociale qui anime les demandes de rapport que j’ai déposées. S’agissant du premier, je souhaite que le montant de la PMR soit aligné sur celui du minimum contributif majoré, dit MICO majoré, du régime général. Il s’agit d’une augmentation de 5 euros par mois pour les personnes concernées, ce qui n’est pas rien pour celles qui bénéficient des pensions de retraites les plus modestes. Monsieur le secrétaire d’État, allez-vous engager une revalorisation par décret de la PMR pour l’aligner sur le montant du MICO majoré, dans une visée d’égalité entre les deux régimes – général et agricole ?

Ma deuxième demande de rapport porte sur l’attribution de points gratuits de retraite de base ou complémentaire. Une telle attribution, déjà effectuée dans le passé, est le plus sûr moyen d’augmenter les plus petites retraites sans condition exclusives, tout en évitant le recours à des dispositifs de solidarité qui ne sont actuellement pas privilégiés par les agriculteurs. Monsieur le secrétaire d’État, avez-vous engagé une réflexion en faveur d’un tel dispositif ?

Le troisième et dernier étage de la fusée consiste à assurer l’égalité des pensions entre les exploitants agricoles, les conjoints collaborateurs et les aides familiaux, bref l’égalité entre tous les travailleurs des exploitations agricoles. Comme le disait un grand poète dont l’esprit m’accompagne souvent : « il pourra, par les nuits étoilées, / courir le monde, / ou consoler les yeux rougis. / Mais pas renoncer. » (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI. – Mme Jeanine Dubié applaudit également.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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