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Retraites agricoles (Niche GDR)

La parole est à M. André Chassaigne, rapporteur de la commission des affaires sociales.
M. André Chassaigne, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, l’occasion nous est donnée ce matin de saisir à bras-le-corps une réalité que nul ne peut plus feindre d’ignorer : l’indécente faiblesse de nos retraites agricoles. Derrière cette réalité, il y a des femmes et des hommes qui ont travaillé dur toute leur vie, trop souvent dans l’angoisse du lendemain, pour assurer la si noble mission de nourrir leurs concitoyens.
Je tiens au préalable à saluer la qualité de nos débats en commission des affaires sociales, réunie mercredi dernier. Ils nous ont permis d’améliorer la rédaction du texte et se sont achevés par son adoption à l’unanimité.
Depuis sa création par la loi du 10 juillet 1952, le régime d’assurance vieillesse des exploitants agricoles est confronté à des difficultés structurelles. Certes des réformes ont permis d’étendre progressivement ce régime, au travers de la reconnaissance du statut de conjoint collaborateur en 1999, de la création d’un régime de retraite complémentaire obligatoire en 2002 et de son extension à l’ensemble des non-salariés agricoles en 2011. Ces avancées n’ont toutefois pas permis de garantir un niveau de vie décent au million et demi d’exploitants à la retraite.
Je souhaiterais aborder ce débat par un simple constat de la réalité. On peut la résumer en trois chiffres, que chacun d’entre nous doit garder à l’esprit.
La retraite moyenne d’un non-salarié agricole, tous bénéficiaires confondus, s’élève aujourd’hui à 766 euros par mois, soit un niveau inférieur à la fois au seuil de pauvreté et à l’allocation de solidarité aux personnes âgées – ASPA.
Deuxième chiffre, un non-salarié agricole sur trois perçoit une retraite inférieure à 350 euros par mois ! Enfin dans les départements d’outre-mer, un non-salarié agricole sur deux perçoit une retraite inférieure à 330 euros par mois.
Ce sont les faits, rien que les faits, dans leur brutalité.
Ce constat alarmant justifie que nous apportions une réponse forte et urgente au travers de cette proposition de loi. Il ne s’agit en aucun cas de méconnaître les avancées réalisées avant 2002, puis – monsieur le ministre – depuis 2012 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)…
M. Christophe Premat. Tant mieux !
M. Michel Issindou. Quand même !
M. André Chassaigne, rapporteur. …. qui témoignent d’une politique volontariste dans ce domaine. Neuf cents millions d’euros ont ainsi été consacrés à la revalorisation des retraites agricoles depuis 2012 dans un cadre budgétaire pourtant contraint. (Mêmes mouvements.) Ces mesures ont bénéficié à près de la moitié des retraités de droit direct.
Je voudrais plus particulièrement saluer l’action déterminée menée par notre collègue Germinal Peiro pour obtenir ces avancées. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) Mon cher collègue, les retraités agricoles en sont conscients et apprécient votre pugnacité à sa juste mesure.
Je citerai en particulier la mise en œuvre d’un complément différentiel de points de retraite pour les chefs d’exploitation, qui a permis d’atteindre le seuil de 75 % du SMIC net en 2017, et l’attribution de droits gratuits aux conjoints et aux aides familiaux pour les années antérieures à leur affiliation au régime complémentaire en 2011.
Ces réponses, nous le savons tous, ne constituent toutefois qu’une étape intermédiaire et en aucun cas un aboutissement. Elles doivent s’accompagner de mesures complémentaires qui permettent de garantir un niveau de vie décent aux agriculteurs à la retraite et corriger – enfin ! – les véritables inégalités de droit et de fait.
Le premier volet de la proposition de loi vise à élever le niveau minimum de pension agricole et à rétablir l’équilibre financier du régime de retraite complémentaire obligatoire, dit RCO.
L’article 1er pose le principe, pour les chefs d’exploitation justifiant d’une carrière complète, d’une garantie de retraite de 85 % du SMIC net, au lieu des 75 % prévus par le droit en vigueur. Cette mesure répond à une attente essentielle des exploitants à la retraite et à une revendication forte de l’ensemble des syndicats agricoles, notamment de l’ANRAF, l’Association nationale des retraités agricoles de France.
Le coût de cette mesure est évalué à 266 millions d’euros par la Mutualité sociale agricole. Elle bénéficierait à 85 000 exploitants supplémentaires, portant ainsi le nombre total de bénéficiaires à 334 000.
Elle serait financée par une nouvelle recette prévue à l’article 2. Dans sa rédaction initiale, la proposition de loi prévoyait une taxation des revenus financiers des banques et des industries liées au secteur agricole et agroalimentaire mais nous avons réalisé que cette rédaction entraînait des difficultés, notamment du fait que la matière imposable était difficilement identifiable. Elle pouvait conduire en outre à une rupture d’égalité puisqu’elle se serait appliquée au seul secteur agricole et agroalimentaire.
Les travaux en commission et les différentes auditions ont abouti à une nouvelle rédaction de l’article 2, qui prévoit désormais l’instauration d’une taxe additionnelle à la taxe sur les transactions financières. Le rendement d’une telle taxe, d’un taux de 0,1 %, est évalué à 500 millions d’euros.
Outre le financement de la garantie « 85 % du SMIC », elle permettrait donc d’assurer également le retour à l’équilibre du régime RCO. Selon les prévisions de la MSA, le déficit du régime, qui a atteint quatre-vingt-dix millions d’euros en 2015, ne cessera de se creuser au cours des quatre prochaines années. Or, contrairement au régime de base de la MSA, le RCO ne peut pas recourir à l’emprunt et est donc contraint de puiser dans ses réserves, qui fondent comme neige au soleil. La nouvelle recette sera donc décisive pour le redressement financier du régime.
Le second volet de la proposition de loi est consacré à la revalorisation des pensions de retraite dans les outre-mer. Je tiens à souligner la forte implication de notre collègue Huguette Bello, députée de la Réunion, dans l’élaboration de ce volet particulièrement important et attendu du fait de l’extrême faiblesse des pensions ultramarines.
L’article 3 concerne les non-salariés agricoles d’outre-mer. La situation alarmante que l’on constate aujourd’hui dans ces territoires résulte à la fois de la mise en place tardive des régimes d’assurance vieillesse outre-mer, de la spécificité des profils de carrière et de la particularité des paramètres de cotisations. Les justifications historiques ou sociales ne suffisent toutefois pas à légitimer une telle faiblesse des retraites agricoles. Nous appuyant sur le cadre ouvert par l’article 73 de la Constitution, nous proposons de faciliter l’accès des chefs d’exploitation agricole à la garantie « 75 % du SMIC » en supprimant la condition de durée d’assurance en tant que chef d’exploitation.
Quant à l’article 4, il vise à corriger une inégalité fondamentale d’accès à la retraite complémentaire entre salariés agricoles selon les territoires.
L’extension, en 1972, des régimes AGIRC – Association générale des institutions de retraite des cadres – et ARRCO – Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés – aux territoires outre-mer a laissé de côté les professions agricoles, en renvoyant l’extension des accords à une négociation entre partenaires sociaux. Ces négociations n’ont jamais abouti, en dehors de la Guyane en 1999 et de la Martinique en 2014. L’inégalité initiale entre les salariés agricoles de l’hexagone et ceux des outre-mer se double donc désormais d’une inégalité entre salariés ultramarins selon leur lieu de résidence.
La dernière réforme des retraites a renvoyé cet enjeu central à la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement. Trois ans sont passés et nous attendons toujours ce rapport.
Ces inégalités ne sont plus acceptables. C’est pourquoi nous proposons d’inscrire explicitement cet enjeu dans la loi en rappelant la responsabilité des partenaires sociaux dans l’extension du régime. À défaut de l’obtention d’un accord dans un délai déterminé, il reviendrait à l’État d’engager cette extension par voie d’arrêté.
Tels sont, mes chers collègues, les termes de notre débat. Bien sûr, d’autres enjeux fondamentaux resteraient à aborder – il ne s’agit là que d’une étape, comme toujours. Je pense notamment à l’exigence de parité. L’égalité entre les hommes et les femmes demeure une fiction en matière de retraites agricoles. Sachant ce que représente le travail d’une femme dans une exploitation agricole, il nous faudra un jour faire de nouveaux pas dans ce domaine.
J’ai néanmoins la certitude que les avancées contenues dans cette proposition de loi sont à la fois décisives, urgentes et attendues. Nous ne pouvons plus nous en tenir aux logiques du laisser-aller et du report à une éventuelle concertation ultérieure. Il ne nous reste que le temps d’agir avec détermination en rappelant notre solidarité la plus totale avec les travailleurs agricoles.
Pour conclure, et comme notre proposition de loi a été votée à l’unanimité de la commission des affaires sociales, je m’adresserai plus particulièrement à vous, monsieur le ministre. En 2014, à l’issue des débats sur la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, j’avais salué votre texte par ce beau vers de René Char : « L’inaccompli bourdonne d’essentiel. »
M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Magnifique !
M. André Chassaigne, rapporteur. C’était une invitation à suivre le chemin, que vous ouvriez si opportunément, vers l’agroécologie. Peut-être nous direz-vous dans quelques minutes que notre proposition de loi est impossible à mettre en œuvre, à plus forte raison en cette fin de législature. Aussi terminerai-je en citant de nouveau René Char : « L’impossible, nous ne l’atteignons pas mais il nous sert de lanterne. » (Sourires et approbations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
Je ne doute pas que le cœur et la raison, stimulés par la poésie, nous réuniront aujourd’hui pour que soit adoptée par le plus grand nombre cette proposition de loi déposée par le groupe GDR, qui deviendra ainsi notre proposition de loi à tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
Conclusion du rapporteur André Chassaigne :
Je ferai trois observations. Premièrement, je remercie tous les intervenants, de tous les groupes politiques, pour avoir marqué leur attachement à la revalorisation des pensions agricoles, en dépit des divergences réelles quant au financement de cette revalorisation. Ce matin, des propositions ont été faites à cet égard : je laisserai M. le ministre s’exprimer sur ce point, car je ne peux me faire le porte-voix de la politique gouvernementale.
Je remercie plus particulièrement, parmi tous les députés qui ont suivi ce texte, les membres de la commission des affaires sociales. Il y a eu une bonne mobilisation, un véritable intérêt. Je remercie en outre les services de l’Assemblée nationale, qui ont accompli un excellent travail à mes côtés, en particulier pour la rédaction du rapport. Je tenais à le dire : toute cette mobilisation montre que ce texte répond à une véritable attente.
Deuxièmement, en dépit du renouvellement de l’Assemblée nationale, qui aura lieu au mois de juin prochain – je crois que cela n’a échappé à personne –, et du renouvellement pour moitié du Sénat au mois de septembre prochain, le texte que nous adopterons aujourd’hui continuera son itinéraire parlementaire. Il pourrait très bien être étudié au Sénat dès la reprise des travaux, et revenir à l’Assemblée nationale pour y être de nouveau examiné, dans le cas où le Sénat ne l’aurait pas adopté conforme.
Ce n’est donc pas un texte pour rien : il prend place dans un processus qui restera en mouvement. J’espère aussi, comme certains l’ont dit, qu’il sera pris en compte dans les différentes campagnes électorales, qu’il sera défendu par l’ensemble des candidats aux élections législatives, et même par les candidats à l’élection présidentielle. Tel est le sens de la métaphore que j’ai employée en parlant de « lanterne ». Pour employer une image plus rurale, je citerai un proverbe connu : « Si tu veux tracer ton sillon droit, accroche ta charrue à une étoile. » Si nous accrochons tous notre charrue à la même étoile, il nous sera plus facile d’aller au bout.
Troisièmement, je voudrais donner quelques précisions quant au taux actuel de la taxe sur les transactions financières, car je ne l’ai pas fait lors de mon intervention liminaire. Le taux de cette taxe a été porté de 0,2 % à 0,3 % par l’article 25 de la loi de finances de 2017. Le taux de la taxe additionnelle que nous proposons d’instituer par l’article 2 de cette proposition de loi serait quant à lui fixé à 0,1 % ; de sorte que la taxation des transactions financières passerait de 0,3 % à 0,4 %.
Je vous remercie tous pour votre engagement en faveur de ce texte.

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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