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Rétablissement du délit de séjour irrégulier

Pour une niche du Rassemblement national, la recette est connue : une dose d’Organisation de l’armée secrète (OAS), une louchée de haine antimigrants, saupoudrez de textes volés à d’autres. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP et EcoS.) Chaque année, c’est la même tambouille ; l’extrême droite recycle ses obsessions, ses insultes aux étrangers, mais aussi à la République et à sa promesse de fraternité. (Mme Gabrielle Cathala applaudit.)
Le texte que nous examinons vise à rétablir le délit de séjour irrégulier, c’est-à-dire à pénaliser la simple présence sur le territoire français d’une personne étrangère sans titre de séjour –⁠ non un acte répréhensible, mais une existence. Il prévoit jusqu’à 3 750 euros d’amende et trois ans d’interdiction du territoire français, autrement dit une double peine jusqu’ici réservée à des infractions graves. S’il venait à passer, il s’attaquerait à des femmes, des hommes, que nous connaissons tous, à des habitants qui poussent la porte de nos permanences, comme dans ma circonscription ce monsieur, salarié depuis plusieurs années, qui attend le renouvellement de son titre –⁠ les récépissés expirent, les délais s’allongent, il en est à sa troisième suspension d’emploi –⁠ ; cette dame, élevant seule ses enfants, à qui l’expiration de son titre a coûté l’attribution du logement social qu’elle attendait depuis six ans et menace aujourd’hui son travail ; cette autre, dont la naturalisation, en vue de laquelle elle devait être convoquée, a été repoussée faute de titre en cours de validité.
Je pense aussi et surtout à Mme K., accueillie hier à ma permanence par ma collaboratrice. Elle vit en France depuis onze ans ; sa fille de 8 ans doit subir une greffe et une chimiothérapie. Son travail est suspendu, car la préfecture n’a pas renouvelé son titre à temps. Ce sont eux, ce sont elles que ce texte viendrait frapper : des travailleurs, des parents, des citoyens en devenir, attendant leur régularisation ou le renouvellement de leur titre, victimes de la lenteur et des défaillances de l’administration. Les services préfectoraux sont saturés : rendez-vous impossibles, délais interminables, absence de réponse malgré des démarches régulières. Dans ce contexte, le RN propose non de réparer l’État, mais de punir les victimes !
Les lenteurs ou entraves administratives ont de graves conséquences en matière d’emploi, de droits sociaux ; l’adoption du texte ajouterait à ces handicaps la précarisation résultant d’une amende importante et l’interdiction du territoire. En commission, la rapporteure nous a expliqué que les personnes touchées par cette amende pourraient former un recours : c’est ignorer ou mépriser l’immense inquiétude dans laquelle sont déjà plongés les intéressés, alors même qu’ils ont fait à temps toutes les démarches. C’est également incohérent : vous ne cessez de dénoncer le contentieux autour du droit des étrangers. J’ajouterai que des milliers de travailleuses et travailleurs sans papiers contribuent à la richesse du pays ; notre système profite de cet apport sans leur reconnaître les droits afférents. Il y a là une totale hypocrisie, un cynisme sans nom : parmi vous, un député qui s’oppose à l’immigration emploie dans son vignoble une main-d’œuvre immigrée ! (Protestations sur quelques bancs du groupe RN.)
Vous ne voudriez surtout pas avouer, à l’exemple de Meloni en Italie, que l’immigration peut être un atout ! L’objectif affiché de la proposition de loi réside dans la lutte contre l’immigration irrégulière ; mais à ce jour, aucune étude, aucun chiffre n’a jamais montré que la suppression du délit de séjour irrégulier aurait entraîné une hausse de cette forme d’immigration. En outre, le rétablissement de ce délit serait contraire au droit européen –⁠ il a été jugé incompatible avec la directive « retour » de 2008.
Cette mesure serait à la fois inutile, illégale et indigne : inutile parce qu’elle n’apporterait rien aux procédures existantes, illégale parce qu’elle contreviendrait à nos engagements européens, indigne parce qu’elle s’attaquerait à des familles intégrées, qui travaillent et espèrent simplement pouvoir régulariser leur situation. La proposition de loi du Rassemblement national criminaliserait la précarité, transformerait en faute de l’administré la lenteur de l’administration, en culpabilité un papier manquant. Ce ne sont là ni la France et son hospitalité, ni la République et sa fraternité. La fille de Mme K. sera soignée dans un hôpital français, dans le pays où elle vit depuis sa naissance, récépissé ou non ; voilà notre fierté. Au contraire, votre liste mortifère est une honte : interdiction aux étrangers de travailler, de se soigner, d’étudier, d’emprunter les transports en commun, de se déplacer tout court, d’aimer, de se marier –⁠ ça suffit ! Nous voterons contre votre proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS.)

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Elsa
Faucillon

Députée des Hauts-de-Seine (1ère circonscription)
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