L’ordonnance du 2 février 1945 reconnaît deux principes qui sont au fondement de notre système de justice des mineurs : la spécificité de l’enfance et la primauté de l’éducatif sur le répressif. Le texte dont nous terminons l’examen bafoue l’un et l’autre de ces principes. Sous couvert d’autorité, il s’inscrit dans la continuité d’une dérive réactionnaire. Pour vous, quand on parle d’éducatif, c’est comme si on parlait d’excuse ou de laxisme, alors même que la primauté donnée à l’éducatif a fait ses preuves pour lutter contre une criminalité qui était particulièrement élevée en 1945. Je ne dis pas que celle-ci n’existe plus, mais que malheureusement, les effets du détricotage des principes de l’ordonnance de 1945 contribuent à la faire de nouveau augmenter.
Alors que la justice des mineurs devrait accompagner, réparer et réhabiliter, vous érigez la répression comme son principe cardinal. L’unique finalité est de punir, le plus vite et le plus durement possible, indépendamment de la pertinence. Nos débats ont été émaillés de références à des faits divers visant à justifier ce texte – ses articles ne traitent pourtant ni de leurs causes ni de leurs effets. Alors que le principe de primauté de l’éducatif sur le punitif a été piétiné ces dernières années, la moitié des mineurs condamnés récidive dans les deux ans. Le constat, certes alarmant, n’est donc pas celui d’un manque de sévérité, mais bien d’un manque d’accompagnement socio-éducatif et de moyens d’accompagnement.
Nous aimerions qu’il porte sur l’éducatif, monsieur le président. Dernier épisode en date : l’auteur même de ce texte, M. Attal, alors qu’il était premier ministre d’un gouvernement démissionnaire, entendait supprimer des postes au sein de la protection judiciaire de la jeunesse, dont les éducateurs sont des piliers de la réinsertion et de la lutte contre la récidive.
Mais ce n’est pas tout : avec ce texte, vous faites de l’adolescent un adulte miniature, ce qui révèle votre profonde méconnaissance de la spécificité de la jeunesse et du développement affectif et psychologique des jeunes. Si cette proposition de loi est adoptée, les juridictions devront justifier l’usage de l’atténuation de responsabilité pour les adolescents de 16 à 18 ans. Il sera désormais nécessaire de prouver la pertinence du respect d’un principe constitutionnel – j’espère que le Conseil constitutionnel interviendra.
Et puis il y a la fameuse comparution immédiate pour les mineurs. Nous connaissons les conséquences dramatiques de la comparution immédiate : c’est une mesure répressive d’exception – qui n’en est d’ailleurs plus une. Elle multiplie par huit la probabilité d’un emprisonnement ferme par rapport à une audience classique de jugement et 70 % des peines prononcées dans ce cadre sont des peines de prison ferme. Nous allons donc envoyer plus de jeunes en prison pour des faits qui ne les y conduisaient pas jusqu’alors – ou moins. Alors que le système pénitentiaire actuel est en crise, il est ici question d’y envoyer à la chaîne des adolescents qui, au contraire, auraient besoin de davantage d’accompagnement.
Vous dites également vouloir responsabiliser les parents. En réalité, vous allez seulement enfoncer les familles dans plus de précarité, sans jamais regarder comment les difficultés sociales et économiques auxquelles elles sont confrontées pourraient être elles aussi accompagnées.
Si vous souhaitez à ce point forcer le trait de l’autoritarisme, ayez au moins les moyens de vos ambitions ! Les prisons françaises sont déjà surpeuplées, insalubres et parfois inhumaines. Où souhaitez-vous incarcérer ces jeunes ? Avec quels moyens ? Avec quels personnels ? Un mineur est resté isolé dans un quartier pour majeurs pendant plusieurs semaines !
À défaut de réforme du système pénitentiaire, ou du moins d’une hausse considérable et nécessaire des moyens, vous vous obstinez à faire passer des mesures toutes plus réactionnaires les unes que les autres – les professionnels de la justice sont vent debout depuis des semaines contre ce texte, qui ne traduit en aucun cas la volonté de répondre efficacement aux enjeux de la justice des mineurs. Il n’est pas une réforme, mais une abdication, un abandon de nos jeunes au profit d’une logique de stigmatisation, de punition et de peur. Cette loi se fiche et de la justice, et des mineurs. Elle est celle d’un agenda politique égoïste. Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et EcoS.)
Discussions générales
Restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents (CMP)
Publié le 13 mai 2025
Elsa
Faucillon
Députée
des
Hauts-de-Seine (1ère circonscription)