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Responsabilité pénale et sécurité intérieure - CMP

Cette réforme, initialement proposée pour restreindre les cas d’irresponsabilité pénale, notamment en réponse au drame qu’a représenté l’assassinat de Sarah Halimi, est en réalité très large. Elle comporte des dispositions disparates, peu lisibles, sans lien entre elles et pour certaines issues de la loi « sécurité globale », censurée par le Conseil constitutionnel. Nous déplorons ce mélange de sujets très variés qui aboutit à une réforme dépourvue de cohérence d’ensemble.

S’agissant de la question de l’irresponsabilité pénale, l’introduction d’un dispositif d’exception couplée à la création de nouvelles infractions pénales dites intentionnelles nous semble inutile, difficilement applicable et dangereuse.

L’exception prévue à l’irresponsabilité pénale est très limitée. Elle part du principe qu’il existe une intention lucide de l’auteur au moment de son intoxication volontaire, voire une forme de préméditation, dans le but de commettre ou de faciliter une infraction. Le problème principal résidera évidemment dans la preuve de cette intention. Comme l’a souligné le Conseil d’État à cet égard, la réunion des conditions de l’exclusion de l’irresponsabilité pénale paraît « très théorique et la preuve de l’élément intentionnel extrêmement difficile à apporter en pratique. »

L’opportunité même d’une telle disposition dérogatoire apparaît douteuse. Il s’agirait de reconnaître un concept flou de folie volontaire. Or nous considérons, comme l’a souligné le rapport de MM. Houillon et Raimbourg de février 2021, que « l’abolition du discernement au moment de l’acte est exclusive de l’intention au sens du droit pénal […] et qu’il ne peut pas être transigé avec ce principe sans remettre en cause notre édifice pénal. » L’intention initiale ne saurait en effet se substituer à l’abolition ultérieure, au moment des faits. Il paraît impraticable de fixer une exception univoque simple à l’irresponsabilité pénale.

L’individualisation de la peine doit prendre en considération les particularités cliniques de chaque situation.

Nous sommes donc toujours opposés au dispositif dérogatoire proposé qui fragilisera l’élément intentionnel de l’infraction, principe fondamental de droit pénal.

Je souhaite également réaffirmer ici que la prison n’est pas un lieu de soins, même si des soins peuvent y être prodigués, et rappeler que de nombreuses études mettent en exergue les insuffisances et l’inadaptation du cadre carcéral à la prise en charge de la maladie mentale. Nous pensons donc que la réorganisation structurelle et la revalorisation budgétaire de la psychiatrie constitueraient une réponse plus appropriée et plus respectueuse des principes fondamentaux de notre droit, mais aussi plus efficace.
En ce qui concerne le volet relatif à la sécurité intérieure, plusieurs dispositions reprennent des articles de la loi « sécurité globale » censurés par le Conseil constitutionnel. Les articles 8 et 8 bis , en particulier, visent à autoriser les dispositifs aéroportés de captation d’images en prétendant tirer les conséquences des remarques formulées par le Conseil constitutionnel. Cet entêtement du Gouvernement dans la mise en place de dispositifs de surveillance de plus en plus nombreux et de plus en plus intrusifs interpelle.

L’utilisation des caméras aéroportées a même été élargie aux polices municipales et autorisée pour des finalités judiciaires, par amendement du Gouvernement au Sénat, sans avis du Conseil d’État ni de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), sans étude d’impact et sans que notre assemblée ait pu en débattre. Nous réitérons notre opposition à l’instauration de systèmes de drones et de caméras aéroportées tant dans le cadre de missions de police administrative générale intéressant la sécurité publique que pour des finalités judiciaires, au regard du risque réel pour le respect des libertés fondamentales.

Enfin, je voudrais déplorer l’adoption conforme par le Sénat de l’article 16 qui stigmatise encore un peu plus les mineurs non accompagnés en permettant de procéder, malgré leur refus, à un relevé de leurs empreintes digitales ou palmaires ou à une prise de photographie lorsqu’ils sont suspectés d’avoir commis un crime ou un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement, cinq ans pour les mineurs. (M. Ugo Bernalicis applaudit.) Cet article s’inscrit dans le climat de suspicion permanente pesant sur la parole des jeunes migrants, considérés d’abord comme des migrants et non comme des enfants – ces deux caractéristiques devraient du reste nous inciter à les protéger –, qui entrave considérablement leur accès au droit. Nous rappelons que l’intérêt supérieur des enfants doit toujours primer sur toute autre considération et déplorons que le Gouvernement préfère ficher les mineurs isolés plutôt que de remédier aux défaillances de leur prise en charge sur notre territoire.

Telles sont quelques-unes des raisons qui nous invitent à voter contre ce texte. (M. Ugo Bernalicis et Mmes Lamia El Aaraje et Danièle Obono applaudissent.)

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