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Renforcement du dialogue social

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c’est au nom de ceux dont on a dit qu’ils ne sont rien que je me présente aujourd’hui à cette tribune, au nom des salariés qui créent les richesses de ce pays, au nom des ouvriers – qui n’ont pas disparu, en dehors des écrans de télévision –, au nom de celles et ceux qui attendent le jour où l’amiante se réveillera dans leurs poumons, au nom de celles et ceux qui ne toucheront jamais la moindre pension de retraite, au nom de celles et ceux qui attendent chaque soir le retour d’un être cher en espérant qu’il aura encore un peu d’énergie à leur consacrer, au nom de celles et de ceux qui espèrent ou qui désespèrent, en quête d’un vrai travail où s’épanouir. Je m’exprime en pensant moi aussi aux salariés de GM&S, auxquels le Gouvernement a intimé l’ordre d’attendre sagement que se noue leur destin, en pensant à cet homme fauché par un chauffard parce qu’il manifestait contre la loi Travail, à ces militants gazés, dans ma circonscription, jusque dans un local syndical, à ces centaines de milliers de femmes et d’hommes qui ont battu le pavé au printemps de l’année dernière contre la loi Travail, au nom de cette majorité qui continuait, en janvier dernier, à en demander l’abrogation. C’est depuis l’atelier, le chantier, le bureau, depuis la vie quotidienne de l’immense majorité, depuis sa dignité, depuis son appétit d’avenir, que nous devons faire la loi du monde qui vient.
Le Président a décidé d’un coup de force. Nous avons tous, mes chers collègues, été envoyés ici pour faire la loi et non pour abdiquer ce pouvoir. Renforcer le dialogue par ordonnances… Reconnaissez, madame la ministre, que c’est croquignolet ! Vous nous dites que ces ordonnances ne sont pas moins fondées que celles qui avaient conduit aux lois Auroux en 1982. Mais à l’inverse, c’était alors pour d’heureux progrès. Il s’agit aujourd’hui de l’aveu d’un esprit de revanche qui vous anime, et nul doute que vous trouverez dans les lois Auroux une cible privilégiée. Vous affirmez que les ordonnances sont légitimes puisqu’elles avaient été annoncées pendant la campagne : une menace n’a jamais rendu légitime sa mise à exécution.
Qu’est-ce qui motive cette précipitation, sinon le désir du MEDEF et de vos amis qui soi-disant réussissent, sinon la crainte que votre plan soit contesté ? Vous avez peur sans doute de la mobilisation populaire et redoutez déjà le 12 septembre prochain. Vous n’avez au cours des débats rien justifié, ni sur l’urgence ni concernant vos intentions. En fait, vous n’assumez rien au grand jour : votre verbe est flou, vous êtes dans l’artifice, vous ne voulez pas dire les vrais mots, débattre les idées ; vous espérez nous faire croire que nous sommes face à des questions techniques, des questions de bon sens, quand vous poursuivez des objectifs politiques sur un sujet qui n’est autre que la grande contradiction du monde.
Vous nous dites : « Faites confiance au dialogue social. » Mais on attend de vous que dans ce prétendu dialogue, afin qu’il ne tourne pas au monologue patronal, la puissance publique tienne son rang, du moins qu’elle affiche des intentions, car nous sommes dans une crise sociale et économique violente. Vous vous trompez de diagnostic : les responsables de cette crise ne sont pas les salariés qui auraient trop de droits ou des salaires trop élevés, mais les grands propriétaires de la finance : 46 milliards de dividendes seront versés aux actionnaires en 2017, comme l’an dernier. Madame la ministre, c’est eux qu’il faut prélever à la source !
Pourtant, si vous annoncez six chantiers de réforme tous azimuts, aucun ne s’attaque aux exactions des puissances financières, dont vous ne parlez jamais. Vous préférez situer les relations sociales et économiques dans le monde des bisounours, expliquant qu’avec un peu de bonne volonté, on arrive à s’entendre. Je me dois, hélas, de vous apprendre qu’il existe encore une immense majorité qui vit ou aimerait vivre de sa force de travail, et une infime minorité qui essaye, chaque jour qui passe, d’étendre ses profits et sa domination, piétinant au passage le tissu des petites entreprises et des sous-traitants. Vous faites abstraction de la sauvagerie induite par le capitalisme qui s’abat sur les humains. Nier cette réalité, c’est l’encourager.
Le droit doit bien sûr être mis en question par le mouvement du monde. Mais il n’est écrit nulle part qu’il doit systématiquement entériner les pratiques économiques du moment. Vous voulez plus de liberté et plus de sécurité pour l’employeur comme pour le salarié, mais ce que vous donnerez au premier, vous le prendrez au second. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.) N’écrivez pas la loi pour faciliter la vie à vos amis DRH ou actionnaires. Que l’entreprise soit un bien commun, voilà un bel objectif que je pourrais partager… Mais, en l’état actuel des choses, il s’agit d’une pétition de principe. Je note au passage que ce sont souvent les salariés qui défendent le mieux leur entreprise, comme l’ont montré mes amis de Fralib, dans les Bouches-du-Rhône. Le code du travail n’est pas n’importe quel code : il a pour l’essentiel été conquis. Le législateur doit faire la loi pour permettre d’interdire les injustices, les inégalités et les dominations car, comme l’écrivait Rousseau, « la force ne produit aucun droit ».
Hélas ! Votre projet de loi vise à élargir la brèche ouverte par la loi El Khomri lorsque notre président était ministre de l’économie. Votre projet va d’abord, quoi que vous en disiez, renverser la hiérarchie des normes et instituer le principe de défaveur puisque la loi pourra ainsi être contournée par des accords d’entreprise. Chacune aura le droit d’établir ses propres règles – des règles au rabais. Et vous continuez de nous dire que vous voulez lutter contre la complexité du droit pour le rendre effectif, alors que vous allez démultiplier le dumping social au sein même de notre pays et à l’intérieur de chaque branche. Quelle force restera-t-il à la loi ?
Votre projet va fusionner et rabougrir les instances représentatives du personnel, faisant au passage disparaître le CHSCT, pourtant si décisif sur les enjeux de santé et de sécurité.
Votre projet va créer encore de meilleures conditions pour les chantages à l’emploi dont nous avons eu moult exemples dans la période passée. Quels outils restera-t-il aux salariés ?
Votre projet va sanctuariser un nouveau concept, le CDI précaire, et élargir les possibilités de modification unilatérale du contrat de travail. Ainsi, vous souhaitez augmenter la latitude des employeurs tandis que vous limiteriez le pouvoir des juges.
Vos ordonnances ressemblent à celles des docteurs de Molière. La représentation nationale doit savoir que les organisations syndicales représentatives des salariés n’ont quasiment émis que des inquiétudes, tant sur la forme que sur le fond. Si le Président de la République a expliqué aux salariés qu’il n’était pas le Père Noël, il distribue en revanche déjà des étrennes au MEDEF, qui en serait presque gêné. Sa gêne, je vous rassure, madame la ministre, ne dure jamais longtemps ; il continue à vouloir faire baisser le prétendu coût du travail et n’a même pas besoin de promettre d’hypothétiques créations d’emploi – que vos mesures ne provoqueront d’ailleurs pas – puisque tout lui est donné sans effort, comme on l’a vu encore ces derniers jours sur la question de la pénibilité. Je rappelle que la droite a donné en commission son blanc-seing à votre projet.
M. Thibault Bazin. Non, on n’a pas donné de blanc-seing !
M. Pierre Dharréville. C’est un signal éloquent, et pour nous pas une surprise.
Quant à ceux qui sont ici la majorité, je leur demande : « Qu’allez-vous faire de votre pouvoir ? Au nom de qui, au nom de quoi allez-vous faire la loi ? » Ce texte constituera l’acte de naissance de votre majorité et de votre force politique. Cet acte vous nomme. Il dira qui vous êtes. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.) Il va s’agir d’un grave bouleversement dans l’ordre public social, d’un changement de philosophie majeur. Longtemps encore, vous devrez alors expliquer que vous n’êtes pas le Père Noël pour justifier l’impuissance publique et la régression sociale imposée par une finance dont le journal Le Monde dénonçait hier encore les excès.
Ce choix politique nous conduit dans le mur. Il va encore aggraver les conditions de travail et faire des salariés les variables d’ajustement. Au lieu d’enclencher de nouvelles dynamiques sociales et économiques, il va alimenter la spirale de la crise. Il n’y a pas de majorité dans ce pays pour votre entreprise de démolition sociale, ne vous en déplaise. Nous ferons des propositions pour un véritable code du travail du XXIe siècle, en pointant les défis du temps qui vient : la lutte contre la financiarisation de l’économie et la domination de la finance, l’obtention de nouveaux pouvoirs pour les salariés dans la gestion afin de relever les défis économiques, sociaux et écologiques, la sécurisation des parcours professionnels à travers l’emploi et la formation, l’encadrement du recours à la précarité et celui de l’échelle des salaires, une protection sociale de haut niveau, etc. Tous les gestes que nous poserons viseront à empêcher, ou tout au moins à limiter, non pas le champ de la concertation mais la portée de votre habilitation.
Voilà ce que vous voulez faire du code du travail ! (M. Dharréville déchire ses notes.) Mais nombreux sont celles et ceux qui veulent en écrire des pages d’avenir. Et vous ne pourrez longtemps les ignorer ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)

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Pierre
Dharreville

Député des Bouches-du-Rhône (13ème circonscription)

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