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Renforcement de la stabilité économique et de la compétitivité du secteur agroalimentaire - PPL

Nous sommes conviés à l’examen d’un texte dont le titre est pour le moins énigmatique. Afin d’assurer la stabilité économique du secteur agroalimentaire, il prévoit deux mesures : la prolongation du dispositif de majoration du seuil de revente à perte de 10 % – dit SRP + 10 –, qui doit expirer le 15 avril prochain, et la suppression de l’encadrement des promotions sur les produits de droguerie, parfumerie et hygiène, dont le lien avec le secteur agroalimentaire n’est pas sans rappeler la « rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie » que décrivait Lautréamont. (Sourires.)
Pour commencer, votre texte ne tire aucun bilan critique du SRP + 10, dont l’objectif de départ était de rééquilibrer les relations commerciales entre producteurs, transformateurs et distributeurs en limitant les pratiques commerciales agressives défavorables aux premiers. Or la prolongation de ce dispositif instauré en 2019 est sujette à débat. Vous affirmez qu’il convient de le prolonger afin de prendre le recul nécessaire pour évaluer son impact, faisant ainsi vôtre la devise des Shadoks : « Plus ça rate, plus on a de chances que ça marche. » (Sourires.)
L’argumentaire déployé depuis l’origine pour justifier la marge minimale de 10 % garantie à la grande distribution repose sur une variante de la théorie du ruissellement. Or rien n’indique que les sommes prélevées sur les consommateurs aient permis une revalorisation des prix d’achat ni une amélioration, en bout de chaîne, des bénéfices des agriculteurs. Une étude récente de l’UFC-Que choisir souligne que la mesure est restée sans effet sur le revenu des agriculteurs et que ce n’est nullement à leur profit que les consommateurs ont, depuis six ans, subi une inflation supplémentaire – celle-là bien réelle – estimée entre 470 millions et 1 milliard d’euros par an, soit plusieurs milliards d’euros au total.
L’échec du SRP + 10 tient à ce qu’il demeure sans effet sur les graves déséquilibres des négociations commerciales entre les agriculteurs, les industriels et la grande distribution. Quelque 90 000 exploitations bovines et laitières doivent négocier leurs productions avec un nombre très réduit d’acheteurs : 28 laiteries collectent 76 % des volumes de lait et, pour la viande, 143 abattoirs assurent 92 % des tonnages. La concentration est encore plus marquée dans la filière porcine : en Bretagne, 90 % des abattages sont réalisés par cinq groupes seulement. En position de force, les groupes industriels peuvent ainsi s’autoriser à revenir sur des accords signés : Lactalis, après une négociation difficile sur les prix, a annoncé unilatéralement, en septembre 2024, l’arrêt de la collecte auprès de 300 exploitants d’ici à 2026.
Il faut convenir que, malgré l’échec du dispositif, nombre d’agriculteurs soutiennent, faute de mieux, le relèvement du seuil de revente à perte, craignant que sa suspension n’entraîne un durcissement des relations commerciales. Sans améliorer les revenus des agriculteurs, ce dispositif permettrait au moins d’éviter qu’ils ne s’effondrent de nouveau. Mais ses maigres vertus s’arrêtent là, faute de la mise en œuvre de dispositifs ambitieux de sécurisation de la chaîne de valeur, comme nous le proposons.
Par ailleurs, votre texte vise à revenir sur l’encadrement des promotions concernant les produits de droguerie, de parfumerie et d’hygiène de manière, précise l’exposé des motifs, « à redonner une plus grande liberté » aux distributeurs. Votre texte abordait d’ailleurs la question à la hussarde, avant que vous n’émettiez, monsieur le rapporteur, des réserves à la suite des auditions.
Des amendements ont été adoptés en commission pour repousser l’entrée en vigueur de cette mesure jusqu’à la fin de l’expérimentation, soit en avril 2026. En limitant les réductions et en restreignant le volume des produits promus, la loi Descrozaille cherchait à assurer une rémunération plus équitable aux fournisseurs et à préserver la viabilité économique des petites et moyennes entreprises du secteur. En rétablissant les promotions massives de manière automatique, vous devanceriez les conclusions de l’expérimentation et laisseriez libre cours aux comportements rapaces de la grande distribution, au détriment des PME et des TPE du secteur qui emploient en France quelque 246 600 salariés. Nous sommes naturellement hostiles à cette mesure et nous y reviendrons à l’occasion de la défense de nos amendements.
Cependant, je ne peux vous cacher notre surprise face au dépôt de cette proposition de loi qui, sous couvert de défense du pouvoir d’achat, témoigne d’une grande complaisance à l’égard de la grande distribution.
Pour terminer, si le temps ne peut suspendre son vol, madame la présidente, nous suspendons notre vote. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs des groupes SOC et EcoS. – Mme Olivia Grégoire ainsi que MM. Paul Molac et Richard Ramos applaudissent également.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)
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