Interventions

Discussions générales

Renforcement de la peine d’interdiction du territoire et répression des délinquants réitérants

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Gosnat.
M. Pierre Gosnat. Monsieur le président, mes chers collègues, le ministre se demandait tout à l’heure pourquoi cette proposition de loi était déposée maintenant. Bonne question, pour une majorité au pouvoir depuis dix ans et en fin de mandat ! En réalité, cette proposition de loi instaurant l’expulsion des personnes étrangères condamnées à au moins cinq ans de prison est un hameçon lancé aux électeurs du Front national (Protestations sur les bancs du groupe UMP) pour les conduire à voter pour Nicolas Sarkozy.
M. Franck Gilard. C’est un chalut !
M. Pierre Gosnat. Faites attention en ce moment avec les bateaux !
Comme l’a rappelé M. Raimbourg, compte tenu de la fin prochaine des travaux de notre assemblée, cette proposition de loi ne pourra pas aller au bout de son parcours parlementaire.
Il y a même quelque chose de méprisant envers le Parlement à nous faire débattre en urgence d’un texte dont chacun sait pertinemment qu’il n’a pas vocation à être appliqué. À une poignée de semaines des élections, nous assistons, il faut bien le dire, à une manœuvre grotesque.
Vous vous targuez d’ailleurs, mesdames, messieurs de l’UMP, du fait que cette proposition ait été signée par plus de 140 députés de votre groupe, mais cela veut dire qu’il en manque beaucoup. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean-Paul Garraud, rapporteur. Vous êtes seul de votre groupe, et quatre en tout de l’opposition !
M. Pierre Gosnat. Cette proposition de loi répond, semble-t-il, à une demande de M. Guéant, qui avait souhaité fin 2011 des mesures spécifiques contre la délinquance étrangère.
Celle-ci serait en constante augmentation, a-t-il été répété. À en croire l’exposé des motifs, le nombre des ressortissants étrangers mis en cause pour des cambriolages ou des vols avec violence aurait fortement augmenté, mais, comme le souligne l’Union syndicale des magistrats, syndicat majoritaire, ces statistiques sont mensongères. Il convient de rétablir la vérité : le nombre d’étrangers mis en cause pour des crimes et délits hors infraction à la législation des étrangers a augmenté de 4,07 % entre 2005 et 2010, quand le nombre de Français augmentait de 8,40 %.
Selon l’Union syndicale des magistrats, la hausse de la part des étrangers au sein des mis en cause depuis deux ans est due principalement aux variations du nombre d’étrangers mis en cause pour vols sans violence et, en tout état de cause, la part de la délinquance des étrangers dans la délinquance générale reste stable.
Force est de constater que le diagnostic posé est erroné. Il reprend la propagande agitée par l’extrême droite selon laquelle il existerait un péril étranger, une délinquance spécifique aux non-Français. Vous jouez sur certains préjugés au mépris de la réalité, alors même que nous disposons des outils statistiques nécessaires à la connaissance impartiale de la situation.
Vous faites un usage étonnant des statistiques. Tantôt elles vous servent à vous tresser des lauriers en matière de sécurité, et dans ce cas vous n’hésitez pas à brandir des pourcentages de baisse de tel ou tel délit. Tantôt, elles vous servent à stigmatiser et à légitimer une nouvelle accentuation de la répression, et ce sont dès lors des augmentations vertigineuses qui nous sont présentées. Où est la vérité, monsieur le ministre ?
Par ailleurs, l’USM note qu’avant de renforcer la législation sur les interdictions judiciaires du territoire, il faudrait rechercher si les juridictions en ont prononcé davantage dans la période récente. Or ces chiffres n’existent pas.
Diagnostic erroné, chiffres tronqués, absence d’étude d’impact, procédure d’urgence, calendrier non validé, cela fait beaucoup de malfaçons pour un seul texte de loi.
Sur le strict plan de la forme, l’ensemble des griefs que je viens de soulever suffiraient amplement à justifier un vote négatif.
Sur le fond, cette proposition de loi vise à étendre le recours à la procédure d’expulsion du territoire aux auteurs non français de faits passibles de cinq ans d’emprisonnement ou plus.
Tout d’abord, redisons-le, la double peine existe toujours, contrairement à ce que prétend Nicolas Sarkozy depuis dix ans. L’actuel Président se fait fort de l’avoir supprimée lorsqu’il était ministre de l’intérieur. C’est un mensonge, un mensonge de plus. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
À ce jour, l’interdiction du territoire français peut être prononcée pour près de 300 crimes et délits. Quant à l’expulsion, elle peut toujours être prononcée comme conséquence indirecte d’une condamnation pénale.
Pourquoi les députés du Front de gauche, que je représente, se battent-ils contre la double peine ? Parce qu’il s’agit d’une peine infâme, où le condamné, s’il n’a pas la nationalité française, est envoyé dans un pays où il ne vit pas, ne travaille pas et n’a, bien souvent, aucune attache. Contraire au principe élémentaire de réinsertion des condamnés, la double peine est archaïque, criminogène et inégalitaire.
Du reste, le caractère grossier de ce dispositif n’a pas échappé à grand monde, puisque même un certain nombre de nos collègues de l’UMP, je le relevais à l’instant, ont déposé des amendements contre son extension. Voici ce qu’ils affirment : « N’oublions jamais que, derrière un acte de délinquance, il y a un homme, que derrière chaque homme il y a une famille qu’il s’agit de ne pas séparer en éloignant du territoire français l’un des siens, quand bien même ce dernier a été condamné. »
J’ajoute que la mesure est manifestement contraire à la Constitution. En conférant à la peine d’interdiction du territoire français un caractère automatique et en lui fixant une durée minimale, le texte contrevient aux principes constitutionnels d’individualisation et de nécessité de la peine.
Cette proposition de loi comporte un deuxième volet tout aussi outrancier que le premier. Il s’agit d’une extension des peines plancher aux actes commis non seulement en situation de récidive légale mais aussi en situation de simple réitération. Cela signifie qu’une deuxième condamnation, même si elle porte sur des faits n’ayant rien à voir avec la première, entraîne automatiquement une peine artificiellement alourdie.
Parce que votre proposition fait l’unanimité contre elle, permettez-moi de citer l’autre organisation représentative des personnels judiciaires, à savoir le Syndicat de la magistrature.
M. Jean-Paul Garraud, rapporteur. Oh la la…
M. Pierre Gosnat. Vous êtes bien méprisant.
« Le dispositif confine ici à la négation de la loi pénale par la loi pénale elle-même puisqu’elle ignore la hiérarchie légale des infractions pour faire de la répétition de l’acte de délinquance quel qu’il soit, et quelle que soit la personnalité de son auteur, l’alpha et l’oméga de la punition », écrit le Syndicat de la magistrature.
Le Conseil constitutionnel n’avait validé les peines plancher que dans la mesure où elles ne concernaient que certaines infractions d’une particulière gravité, spécialement désignées.
Dans la proposition de loi que nous examinons, ce sont, au contraire, tous les crimes passibles de cinq ans ou plus d’emprisonnement qui sont visés, sans même qu’il soit besoin de caractériser l’état de récidive légale ni la moindre circonstance aggravante. Le critère fixé par les « Sages » n’est donc pas respecté.
L’unique réponse que vous vous proposez d’apporter à la délinquance, c’est l’augmentation des quantums à travers le distributeur automatique que sont les peines plancher.
Ce leitmotiv appelle plusieurs remarques de notre part. D’une part, aucun bilan n’a été tiré de l’instauration des peines plancher en 2007. Pourtant, sur le plan statistique, on constate qu’elles n’ont en rien fait chuter la récidive, ce qui était pourtant leur objectif. D’autre part, les études récentes montrent que l’augmentation de la durée des peines de prison n’a pas l’effet dissuasif que vous lui imputez.
Nous pensons, pour notre part, que la réponse à la délinquance est à chercher ailleurs que dans l’incarcération criminogène. Plutôt que de continuer à surcharger notre justice, alors même que les budgets s’effondrent, il faut augmenter les effectifs et allouer les moyens techniques, humains et financiers nécessaires à l’accomplissement de ses missions.
Cette ambition, qui fait si cruellement défaut à droite, est portée par le Front de gauche. Loin des plans de rigueur et de l’appauvrissement organisé du service public de la justice, nous défendons une justice indépendante de l’exécutif et capable d’exercer enfin ses missions.
Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche voteront contre ce texte.

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Pierre
Gosnat

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