Il y a un an et demi, en juin 2023, notre assemblée avait adopté une proposition de résolution relative à l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur. Ce texte demandait au gouvernement de réaffirmer auprès de la Commission européenne l’opposition de la France à l’adoption de cet accord. En dépit de l’hostilité d’une large majorité de notre parlement, réaffirmée lors d’un débat organisé en novembre 2024, la présidente de la Commission européenne a signé le 6 décembre dernier l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur.
Ce coup de force d’Ursula von der Leyen témoigne du fossé grandissant entre les intérêts nationaux et du délitement de la coopération européenne en matière agricole. Elle illustre une forme d’obstination à refuser aux peuples la possibilité d’agir pour construire leur destin commun sur d’autres bases que la compétition économique et financière. Lors d’une audition récente au Sénat, le président de Michelin, Florent Menegaux a exprimé en quelques mots ce qui constitue aujourd’hui le nœud du problème : « Les règles de la concurrence en Europe ont été bâties sur l’idée qu’il faut que le consommateur puisse acheter le moins cher possible, même au détriment des industries locales. »
Ce qui vaut pour l’industrie vaut a fortiori pour l’agriculture : autoriser l’entrée sur le marché européen de 99 000 tonnes de viande bovine produite à 11 000 kilomètres, de 180 000 tonnes de volaille en franchise de droits, de 16 millions de tonnes de sucre, de 60 000 tonnes de riz n’a aucun sens, sinon de favoriser la fuite en avant dans le moins-disant social et environnemental.
Comme nous le soulignions en novembre dernier, l’accord avec le Mercosur est une imposture agricole et alimentaire qui méprise nos agriculteurs et nos éleveurs. Il vide de sens leur travail puisque sa seule justification est un troc avantageux pour d’autres secteurs, comme celui de l’automobile. C’est l’accord qu’on appelle dans les couloirs de Bruxelles – vous l’avez probablement entendu vous-même, monsieur le ministre – « viande contre bagnoles » – bagnoles allemandes, si possible – et qui fait de l’agriculture une simple variable d’ajustement.
M. Arnaud Le Gall
Eh oui ! Les moteurs, ça ne se mange pas !
Que pèsent aujourd’hui, dans les orientations de la politique européenne, la juste rémunération de nos agriculteurs, les millions de tonnes de CO2 et les millions d’hectares supplémentaires sur lesquels s’étend la déforestation ? Les accords de libre-échange négociés au fil des ans traduisent tous, sans exception, le mépris cynique des tenants du libre-échange à l’égard des défis humains et environnementaux vitaux qui nous attendent. Ils traduisent encore plus un mépris effarant des peuples et de la démocratie.
La Commission a non seulement renié de longue date, sous la pression des multinationales et de certains États, sa promesse d’une nouvelle génération d’accords qui incluraient des engagements sociaux et environnementaux, mais elle a aussi tout fait pour tenir les citoyens et leurs représentants élus le plus éloignés possible du contenu des négociations. Cacher, avancer et faire adopter de force : voilà le triptyque sur lequel s’appuie la Commission européenne.
Certes, la signature intervenue en décembre dernier ne vaut pas ratification. Mais en coulisse, on s’avance tranquillement vers le vote du Conseil à la majorité qualifiée, puis au Parlement européen à la majorité simple. En novembre dernier, le gouvernement nous assurait que la France était prête non seulement à faire usage de son droit de veto au Conseil européen, mais aussi qu’elle refusait tout découpage de l’accord en deux parties – l’une politique et l’autre commerciale –, qui ouvrirait la possibilité d’une adoption sans le vote des parlements nationaux. Où en sommes-nous dans la construction du rapport de force européen avec les États prêts à réunir une minorité de blocage au Conseil ? Comment entendez-vous agir pour empêcher la présidente de la Commission de poursuivre son agenda en méprisant les agriculteurs européens et français ?
Nous attendons du chef de l’État et de votre gouvernement qu’il lève toute ambiguïté sur la position française quant à un rejet ferme et définitif de l’accord et qu’il obtienne un vote à l’unanimité des États membres au Conseil, puis un vote au Parlement européen et une ratification par l’ensemble des parlements des États membres avant l’entrée en vigueur de l’accord : nous ne nous souvenons que trop que l’Accord économique et commercial global – le Ceta – est déjà appliqué, alors même qu’il n’a pas encore été ratifié.
Dites-nous clairement que la France n’acceptera jamais l’application de l’accord avec le Mercosur avant sa ratification. C’est le sens de la proposition de résolution présentée par nos collègues, à laquelle le groupe GDR s’associe. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS. – Mme la rapporteure applaudit également.)