Déposée le 30 janvier, la proposition dont nous débattons a le mérite d’ouvrir un débat sur la régulation de la fast fashion en France. Voilà des années que les ONG alertent sur les dégâts sociaux et environnementaux qu’occasionne l’essor démesuré de la mode jetable. Au total, selon l’association En mode climat, qui réunit des marques, des usines et d’autres acteurs économiques du secteur, 70 % des vêtements vendus aujourd’hui en France sont issus de la fast fashion et 40 % sont vendus par dix enseignes seulement. Il n’y a donc pas que quelques sites, dont Shein et ses 7 200 nouveaux modèles de vêtements par jour, qui posent problème : ce qui est en cause, c’est tout un modèle économique qui repose sur la largeur de gamme et de faibles prix. Un si vaste choix et des prix si bas incitent à la surconsommation, au risque de dommages irréparables.
Ce modèle ne peut fonctionner sans briser des vies, par le travail forcé, l’emploi des enfants, les violences sexuelles et sexistes, les salaires dérisoires, etc. Ainsi, au Bangladesh, les travailleurs de l’industrie de la mode sont payés 83 euros par mois en moyenne, alors que le salaire minimum vital est estimé à 497 euros – sans parler des conditions imposées aux ouvriers, dont le temps de travail peut atteindre dix-huit heures par jour et qui sont exposés à des produits chimiques dangereux, voire mortels.
Sur le plan environnemental, l’industrie textile est responsable de 10 % des émissions mondiales de CO2 – soit davantage que l’ensemble des vols et des trajets liés au transport maritime international –, sans compter ses impacts multiples sur l’environnement en matière de pollution des sols et des eaux. Un rapport de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable a récemment dressé le constat alarmant de l’ampleur de la pollution par les microparticules plastiques issues du textile. Cette pollution durable est dopée par la mode jetable, qui utilise massivement les fibres synthétiques.
Mettre un coup d’arrêt à ce modèle mortifère impose des mesures fortes visant à plafonner et réduire les mises sur le marché, à interdire la commercialisation de produits qui ne répondent pas à nos standards sociaux et environnementaux, et à réguler une concurrence toxique qui met à mal le secteur de l’habillement français.
Je regrette que la proposition de loi ne soit pas aussi ambitieuse. Dans son article 1er, elle définit les contours de la mode éphémère. C’est un point essentiel. Le texte renvoie cependant à un futur décret la fixation des seuils à partir desquels on peut parler de « mode jetable », au risque que l’exécutif subisse des pressions de tout ordre et qu’en soit retenue une définition trop limitative. Alors que la coalition d’associations Stop fast-fashion suggère l’adoption d’un seuil de 5 000 modèles par an, nous proposerons par voie d’amendement de le fixer à 10 000 nouvelles références chaque année, de façon à ne pas nous limiter aux enseignes les plus nocives, comme celle précédemment citées, et à étendre la portée du texte à de grandes chaînes commerciales.
Votre texte s’applique ensuite à renforcer la filière de responsabilité élargie du producteur du secteur des textiles d’habillement. Vous proposez en particulier de porter le bonus et le malus de contribution financière aux éco-organismes à 50 % du prix de vente des produits, contre 20 % actuellement, dans la limite d’un plafond de 10 euros à l’horizon 2030. Nous sommes évidemment en accord avec le principe. Rappelons toutefois que Refashion, l’éco-organisme de la filière des textiles d’habillement, du linge de maison et des chaussures, n’a jusqu’ici jamais appliqué de pénalités. Seules des écomodulations positives ont été versées, sous forme de primes aux producteurs de textiles durables, labellisés ou incorporant de la matière recyclée. Pour dissuader d’acheter certains produits, il faudrait que le malus soit mis en œuvre de façon efficace. À cet égard, nous ne sommes pas pleinement convaincus par votre dispositif.
Vous proposez enfin d’interdire la publicité pour la mode jetable, afin de réduire de manière drastique la visibilité des enseignes concernées. Nous approuvons pleinement cette mesure. Comme je l’ai dit en commission, le texte que vous proposez constitue un premier pas utile en faveur de la régulation. Il reçoit donc notre adhésion. À nos yeux, il reste néanmoins un peu trop timide étant donné l’urgence à agir efficacement. La loi devra cibler beaucoup plus précisément les profiteurs de misère, ceux qui épuisent en même temps la terre et les travailleurs, et tendre vers l’interdiction de mise sur le marché des produits issus des formes contemporaines de la traite d’êtres humains. À ce titre, nous plaiderons pour une meilleure prise en compte des critères sociaux et sanitaires, en plus de celle de la gabegie écocidaire de ces pratiques.
Discussions générales
Réduire l’impact environnemental de l’industrie textile
Publié le 14 mars 2024
Edouard
Benard
Député
de
Seine-Maritime (3ème circonscription)