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Reconnaissance sociale des aidants (Niche GDR)

La parole est à M. Pierre Dharréville, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre des solidarités et de la santé, madame la présidente de la commission des affaires sociales, chers collègues, notre pays compte sans doute autour de dix millions de personnes aidantes, dont 57 % de femmes. En silence, ces personnes aident un proche à affronter le quotidien lorsqu’il souffre de handicap, d’invalidité, de maladie, de perte d’autonomie. Ce travail est précieux pour la société, mais nous ne sommes pas ici pour nous extasier sur cette formidable générosité, cette formidable solidarité. Nous sommes là pour prendre des mesures à la hauteur de ce travail gratuit et informel qui représente entre 12 et 16 milliards d’euros chaque année.
Nous sommes là pour répondre aux attentes de ces femmes et de ces hommes sur lesquels nous faisons reposer une charge immense sans les reconnaître vraiment et sans même faire ce qu’il est possible pour leur faciliter la vie.
Chacun connaît les vertus du citron. On peut en faire des citronnades et l’utiliser en cuisine. Mais il est également recommandé pour blanchir le linge et éliminer les taches, guérir les maux de gorge, faire briller miroirs et fenêtres, désinfecter les planches à découper ou encore rafraîchir l’haleine. Il est connu pour ses effets favorables sur la santé et son rôle préventif dans la survenue de plusieurs maladies. Les personnes aidantes ont bien souvent le sentiment que la société les prend pour des citrons.
Si nombre d’entre elles assument leur tâche avec fierté, elles en subissent souvent le contrecoup dans leur vie professionnelle, sociale et familiale, sans parler des conséquences pour leur propre santé. Les témoignages de personnes aidantes souffrant d’isolement, d’épuisement et parfois d’effondrement sont multiples. Car si elles en viennent à s’oublier pour accomplir leur tâche, c’est aussi parce que le besoin d’aide de leur proche, couplé à la faiblesse de la réponse sociale et parfois à l’absence totale de solution, nourrit un phénomène de culpabilisation sur lequel on ne peut pas construire de solutions saines et durables. Ce que les personnes aidantes investissent dans des tâches qui ne devraient pas leur incomber, c’est autant en moins qu’elles peuvent donner dans une relation humaine si décisive. Aussi n’est-il pas surprenant que les personnes aidantes réclament en premier lieu de véritables droits pour les personnes aidées, ce qui supposera un régime de Sécurité sociale de haut niveau ainsi qu’un service public puissant, doté de professionnels nombreux, formés et reconnus.
Le défi de l’autonomie ne peut être abandonné aux bons soins de relations interpersonnelles et moins encore à la main invisible du marché : c’est une question sociale à laquelle il convient de consacrer les moyens nécessaires. Sur ce grand terrain où règnent les inégalités, il n’est que temps d’organiser la solidarité que la société pratique déjà à l’état brut, pour laisser place au droit, à l’égalité, à la justice, à la dignité.
Sans rien lâcher de cette ambition globale, il est devenu urgent de donner des droits aux aidants sur qui repose toute une partie de la prise en charge du handicap et de la perte d’autonomie. Leur attribuer des droits, c’est reconnaître leur dignité et leur travail. Il ressort de la mission flash que j’ai conduite au sein de la commission des affaires sociales, ces dernières semaines, que les personnes aidantes ont besoin de temps, de ressources et d’accompagnement. Il y aurait beaucoup à faire, et cette proposition de loi ne fait pas le tour de la question, mais nous devons, sans attendre, commencer à agir.
Cette proposition, qui concerne les personnes aidantes exerçant une activité professionnelle, qu’elles souhaitent dans leur immense majorité conserver, tend à ouvrir un nouveau droit, dans un geste de progrès social, en indemnisant le congé de proche aidant. Aujourd’hui, ce droit, qui ne donne lieu à aucune indemnisation, même s’il est parfois rémunéré dans quelques grandes entreprises, demeure théorique. Indemniser ce congé permettrait à celui ou celle qui cesse son travail pour s’occuper d’un proche de continuer à percevoir des revenus, sans que le plan d’aide de la personne aidée n’en soit affecté. Il pourrait, par exemple, être calqué sur l’allocation journalière de présence parentale. En tout état de cause, la fixation du montant de cette indemnisation est renvoyée à un décret, afin de prendre le temps d’évaluer avec précision le dispositif et de dégager les moyens nécessaires, quitte à organiser une montée en charge progressive.
Sur cette question centrale, nous devons d’abord nous demander si la reconnaissance du travail des aidants est indispensable. Si la réponse est oui, nous aurons d’autant moins de mal à trouver les ressources nécessaires qu’il ne s’agit pas d’un coût mais d’un investissement permettant de mieux préserver la santé des aidants et des aidés. Selon la même logique, l’absence d’indemnisation est aujourd’hui un facteur de coûts, autrement plus élevés, pour la Sécurité sociale et les départements. Sans vouloir polémiquer, j’ajouterai que le Gouvernement a su décréter l’urgence sur d’autres sujets : pourquoi celui-ci ne le mériterait-il pas ?
L’article 2 de la proposition de loi accorde aujourd’hui un droit à congé, d’un an au total en tout et pour tout, à la personne aidante, pour chaque personne qu’elle aura à soutenir au cours de sa vie active. Cette durée demeure insuffisante en l’état mais il s’agit déjà de proposer un progrès difficile à remettre en cause.
L’article 3, quant à lui, tend à faciliter le recours au congé sous forme de temps partiel ou son fractionnement en supprimant l’autorisation de l’employeur, ce qui est une raison supplémentaire pour limiter le temps partiel imposé et injustifié par ailleurs. En effet, faciliter l’accès au temps partiel choisi pour les femmes et pour les hommes, de surcroît avec une indemnisation, permettra de mieux adapter la présence de la personne aidante aux besoins de la personne aidée et de mieux l’accompagner.
Enfin, l’article 4 prévoit que la reconnaissance du statut d’aidant permanent puisse donner droit à une majoration des droits à retraite à hauteur d’un trimestre par période de trente mois, dans la limite de huit trimestres. Ce dispositif existe déjà pour les aidants de personnes en situation de handicap. Une proposition de loi, initiée par notre collègue Paul Christophe, a été déposée voici quelques mois, cosignée par des parlementaires issus de l’ensemble des groupes représentés dans notre hémicycle. Prendre son temps pour aider un proche qui en a besoin et le payer une fois la retraite venue, c’est la double peine !
Aux personnes aidantes, si nombreuses dans notre pays, nous voulons envoyer le signal de la solidarité nationale et de la reconnaissance sociale. Nous voulons saluer le geste d’exception qu’ils, qu’elles accomplissent, et les aider à assumer cette tâche parce qu’ils, elles l’acceptent aussi en notre nom à toutes et à tous. Cette proposition de loi se veut n’être qu’un début mais elle pare à l’urgence.
Chers collègues, je n’ai entendu à ce jour aucun argument pour ne pas renforcer la reconnaissance sociale des aidants, et rejeter les mesures qu’attendent les personnes aidantes, mais aussi les associations qui se sont prononcées ces derniers jours, publiquement et sans ambiguïté, et dont je veux saluer l’action : l’Association française des aidants, la Fédération nationale des aidants et accueillants familiaux, l’Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales – UNAPEI –, la Fédération nationale des accidentés de la vie – FNATH –, l’Association des paralysés de France, l’association France Alzheimer, l’Union nationale des associations familiales, les Mutuelles de France, la Ligue des droits de l’homme…
Alors que notre société prend de plus en plus conscience du défi à relever, non contents d’être en retard sur le réel, nous choisirions de l’être également sur la conscience sociale ? Je n’ose pas l’imaginer. Cette proposition de loi n’a pas pour objet de se livrer à quelque démonstration que ce soit, mais bien de répondre à un enjeu que la commission des affaires sociales elle-même a identifié dans la diversité de sa composition. Et si elle devait y revenir, ce serait contre notre volonté et nos efforts.
M. Pierre Cordier. Il n’a pas tort.
M. Pierre Dharréville, rapporteur. Je vous encourage à ne pas faire de cette journée une journée du dédain, de la procrastination – ce sera le 25 mars –, du « oui mais non », du bottage en touche, du « j’voudrais bien mais j’peux point » car je sais que nombre d’entre nous savent ces mesures nécessaires. Nous sommes ici pour faire la loi, c’est notre rôle en commun. Nous n’avons, pour la faire, à attendre l’autorisation de personne. Rares, trop rares, sont les espaces que la représentation nationale peut investir pour prendre l’initiative législative. Donnons à ces propositions le champ du débat et la chance de poursuivre leur cheminement législatif. Faisons preuve, ensemble, de cette modeste audace, ouvrons la porte à une avancée sociale attendue. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, FI et NG.)

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Pierre
Dharreville

Député des Bouches-du-Rhône (13ème circonscription)
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