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Ratification ordonnance représentation des travailleurs indépendants recourant aux plateformes

Le travail transforme le réel et les sociétés ; il transforme la matière et les relations ; il transforme aussi les corps et les esprits. Il faut prendre soin du travail qui est au cœur des dynamiques humaines. Mais nul ne peut ignorer que, le travail produisant des richesses, il est instrumentalisé et maltraité par le capital. Il s’en trouvera sans doute pour juger cette vérité ringarde, et croyez bien que j’aimerais passionnément qu’elle le soit ! Mais la course aux profits est un moteur puissant qui défigure l’humanité avec créativité : une créativité sans mémoire, quand elle n’est pas sans conscience.

Voici donc venir de nouvelles machines – les plateformes – auxquelles être enchaîné par un enchaînement moderne, numérique, 4.0, qui a les apparences de l’indépendance et le goût de la désillusion. Il s’en trouvera sans doute encore pour nous les vendre comme le grand progrès social de notre temps, et croyez bien que j’aimerais qu’elles le soient ! Mais la réalité ne ressemble pas à la photo marketing sur l’emballage. Bien souvent, ils et elles sont les nouveaux galériens ; ils et elles le savent, ceux qui sillonnent ainsi les rues de nos villes ; ils ont saisi cette opportunité de gagner leur vie, mais en connaissent les limites.

Les plateformes constituent un moyen pour des entreprises – souvent financiarisées – de se dédouaner de presque toute responsabilité, de contourner les règles et notamment les obligations liées à la protection sociale, tout en demeurant prescriptrices de travail. Elles espèrent ainsi dégager des marges de profit en pariant sur le dumping social. C’est une vieille histoire, celle du travail à la tâche. La relation des travailleurs des plateformes à leur employeur est encore plus asymétrique que celle qui s’instaure dans le salariat, qui a des défauts, mais qui garantit des droits.

Le modèle des plateformes n’est pas socialement tenable et ses promoteurs reconnaissent eux-mêmes qu’il ne l’est pas non plus économiquement, pour l’heure. Mais à quel prix pourrait-il le devenir ? Je pose la question. En attendant, il tire vers le bas tout un secteur et c’est un modèle extensible qui commence déjà à essaimer. Si l’on vous suit, on verra ces plateformes s’immiscer de plus en plus entre l’offre et la demande de services, et ce ne sera pas pour la réguler.

La proposition que vous faites s’inscrit toujours dans la même optique de normalisation après une première tentative de charte sociale basée sur de vagues engagements volontaires. Vous actez cette dégradation et encouragez ce système low-cost, qui fabrique des travailleurs pauvres courant après la course. Il s’agit toujours de faire semblant ; c’est inévitable quand on ne veut pas sortir de l’ambiguïté et qu’on se complaît dans la tactique du « en même temps ».

Le système des plateformes est l’antithèse du progrès social. C’est d’ailleurs parce qu’il contrevient aux règles qu’il subit de nombreuses décisions de justice défavorables et que des procédures s’accumulent. En Espagne, sous l’impulsion de notre amie Yolanda Díaz, ministre du travail, c’est tout simplement la requalification en contrat de travail qui a été actée dans la loi, par le biais de la présomption de salariat.
Vous venez de surcroît de nous demander une énième fois de vous autoriser à légiférer par ordonnance, ce que rien ne justifie. C’est déjà ainsi, je le rappelle, que la majorité a haché menu le code du travail dès 2017. Mais avec à chaque fois un peu plus de colère, j’ai envie de vous dire tout simplement : « ça suffit ! ». Bien sûr, je ne saurais rien vous confier en matière sociale au regard du passif, mais c’est par principe que notre assemblée devrait refuser de jouer ainsi ce rôle. Si vous voulez faire une réforme, préparez-la, discutez-la et présentez-la pour de vrai. Respectez le Parlement !

Le système que vous voulez conforter pousse encore plus loin ce que l’ergologue Yves Schwartz appelle « le blanchiment des résultats de l’activité ». Chacun, chacune, est rendu seul responsable de son résultat et l’on se désintéresse des moyens qu’il doit mobiliser pour y parvenir. Les plateformes sont bien un système sophistiqué de blanchiment de richesses produites par du travail mal reconnu, mal protégé et mal rémunéré.

Il n’est qu’à relire Aragon dans Les cloches de Bâle pour comprendre que nous revenons sur nos pas, vers le travail à la tâche, une voie sans issue. S’il s’avère que s’inventent là de nouveaux métiers, il n’y a aucune raison que cela se fasse au rabais. On a tellement raconté, pendant le confinement, qu’il fallait reconnaître tous les métiers… Vous nous direz qu’il existe des personnes à qui ce statut convient et nous vous répondrons qu’il faut refuser de les enfermer dans un tiers statut qui n’aura que des inconvénients.
Les sondages patronaux n’en disent rien : de plus en plus, les chauffeurs-livreurs se mobilisent justement pour exiger une autre condition. Ils ont trimé, ils triment et ils sont maintenant de plus en plus nombreux et nombreuses à estimer que leur travail et leur personne doivent être autrement considérés. Les uns comme les autres cherchent à élargir leur espace, à inventer le cadre de leur équilibre, de leur santé, de leur épanouissement dans le travail. Votre loi va limiter ce cadre ; elle vole au secours non pas des travailleurs, mais des plateformes. Nous ne soutiendrons pas l’ubérisation de l’économie. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et FI.)

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Pierre
Dharreville

Député des Bouches-du-Rhône (13ème circonscription)

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