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Ratification de la convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs

La convention no 155 de l’Organisation internationale du travail, classée comme convention fondamentale depuis la Conférence internationale du travail de 2022, est censée s’appliquer universellement. Tous les États membres ont donc l’obligation de la respecter même sans l’avoir formellement ratifiée. En droit interne, cela signifie qu’elle est déjà opposable : un justiciable peut l’invoquer devant le juge, même en l’absence de ratification.
À première vue, une ratification n’aurait donc pas dû poser de difficulté. Elle apparaissait presque symbolique. Les obligations posées par la convention, vieille de plus de quarante ans, sont déjà largement satisfaites dans notre droit national. Selon les propres mots de M. le ministre, la ratification s’opère à droit constant : aucune réforme, aucun ajustement réglementaire ne serait nécessaire. Dès lors, cette démarche aurait pu être une simple reconnaissance, certes tardive mais bienvenue, de l’importance de la sécurité et de la santé au travail, dans un contexte marqué par une crise profonde du monde du travail.
Or, comme souvent, le macronisme se cache dans les détails. Le deuxième alinéa de l’article 1er et surtout le deuxième alinéa de l’article 2 de la convention autorisent les États à formuler des exclusions et à écarter certaines catégories de travailleurs de son champ d’application. Le gouvernement n’a pas tardé à user de cette faculté et a décidé d’exclure de nombreuses professions : le personnel navigant de l’aéronautique civile, les travailleurs des branches de la navigation maritime et de la pêche mais aussi certains agents publics, notamment les militaires, comme l’indique l’étude d’impact.
Pire encore : ces exclusions ne figurent pas dans le projet de loi. Elles échapperont donc à tout débat parlementaire, à tout vote démocratique. Ce procédé rappelle le précédent de 1988, lorsque le Conseil d’État avait déjà rejeté une première tentative de ratification pour les mêmes raisons.
Les syndicats concernés ont alerté le gouvernement sur les conséquences de ces exclusions. À titre d’exemple, dans le secteur de la navigation aérienne, l’impossibilité d’exercer son droit de retrait « dès lors que la mission de l’équipage a débuté » suscite de vives inquiétudes. L’usage du terme « mission », dans le secteur aérien, recouvre à la fois le temps de vol, les phases de préparation, les arrêts au sol et les escales, ce qui pourrait conduire à des interprétations restrictives, donc à des reculs en matière de protection. Sans surprise, ces mises en garde sont restées lettre morte.
Ces choix politiques opérés par le gouvernement ne sont pas étonnants. Que pouvait-on attendre de ceux qui, depuis 2017, n’ont cessé de détricoter le droit du travail ? Les ordonnances Macron, parmi nombre de régressions, ont entraîné la fusion des instances représentatives du personnel. En 2017, 75 % des salariés étaient couverts par un CHSCT ; aujourd’hui, ils ne sont que 46 %.
Ces régressions du droit du travail ne sont pas sans conséquences sur la vie des travailleuses et des travailleurs. Ces dernières semaines, la question des accidents du travail a d’ailleurs resurgi avec force. La mort de plusieurs jeunes en formation a bouleversé l’opinion : un apprenti de 15 ans –⁠ en avril –, un lycéen de 17 ans en bac professionnel, puis un élève de 16 ans en stage d’observation. Ces tragédies ne sont que la partie émergée de l’iceberg. En 2023, 759 personnes sont mortes au travail, soit 21 de plus qu’en 2022. Depuis 2020, ce chiffre augmente chaque année, témoignant d’une véritable crise de la sécurité au travail. En vingt ans, on dénombre 21 000 morts et 13,5 millions de blessés.
De tels drames ne sont pas le fruit du hasard mais d’une volonté politique : celle de privilégier la rentabilité économique au détriment de la santé et de la vie des travailleurs.
La France est aujourd’hui l’un des pays les plus dangereux d’Europe pour les salariés. En 2021, elle occupait le quatrième rang européen s’agissant du nombre d’accidents mortels pour 100 000 habitants, derrière la Lettonie, la Lituanie et Malte.
Dans ce contexte, le texte qui nous est présenté est à contre-courant des besoins du monde du travail. Non seulement il ne crée aucun nouveau droit pour les salariés mais il en supprime pour certains.
Face à cette mascarade, les députés du groupe GDR refusent de cautionner cette ratification. Une telle opération de communication ne répond en rien aux urgences sociales et humaines qu’affronte le monde du travail. Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas ce texte, sauf si le gouvernement s’engage à ne pas exclure certains travailleurs du droit de retrait.

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