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Ratification de l’accord modifiant le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité

Jean-Louis Bourlanges m’a rajeuni en remettant au goût du jour une formule de ma chère grand-mère, qui disait : « C’est moins pire que si c’était mieux. » Ce faisant, il a défendu de façon bien peu enthousiaste ce qui constitue une vision libérale de l’Europe – mais j’y reviendrai. En une phrase, Jean-Paul Lecoq a résumé notre pensée en évoquant un mécanisme de stabilité d’une brutalité inouïe contre les peuples et d’une souplesse sans pareil envers le système financier. Le texte qui est soumis renforce encore cette logique, celle d’une institution non pas au service des peuples, du progrès et de la solidarité, mais au service du système financier et du système bancaire.

La plupart des nombreuses mesures prévues constituent des réformettes du mécanisme, qui ont été présentées dans le cadre de la motion de rejet et sur lesquelles je ne reviens pas. La principale nouveauté du MES porte sur la mise en place d’un volet bancaire au service du mécanisme, avec un fonds de soutien aux banques doté de 68 milliards d’euros.

Au-delà de l’aspect quelque peu indécent de cette proposition dans la période actuelle, il faut revenir sur la genèse de la régulation bancaire européenne pour saisir toute l’ingéniosité de cette réforme. En 2008, à la suite de la crise des subprimes, les États renflouent la plupart des banques européennes à coups de milliards d’argent public pour éviter un effondrement du système bancaire. Un débat s’ouvre alors : le sauvetage du système bancaire, aussi nécessaire soit-il pour préserver l’épargne des citoyens, doit-il être effectué sur des deniers publics, alors même que la crise a été provoquée par l’appétit vorace de ceux qui font de l’argent en dormant ? Face à l’indignation des peuples, l’Union européenne crée alors le fonds de résolution unique, abondé par les banques elles-mêmes pour se parer d’un éventuel problème de solvabilité bancaire.

Pour le coup, il s’agissait d’une bonne idée, que nous avons saluée : les banques s’assuraient elles-mêmes des risques qu’elles prenaient. Le dispositif pouvait même les inciter à adopter une conduite plus responsable – quand on est son propre assureur, on a tendance à faire moins de bêtises. Le problème, c’est que le fond n’est doté que de 75 milliards d’euros, soit 1 % des dépôts couverts, et s’avère donc nettement insuffisant en cas de crise systémique. Plutôt que d’enjoindre aux banques d’augmenter leur contribution et ainsi d’accroître le FRU, l’Union européenne imagine un nouveau dispositif consistant, si le FRU est insuffisant, à faire financer le sauvetage des banques directement par le mécanisme européen de stabilité, c’est-à-dire par les fonds publics – c’est-à-dire in fine par le contribuable, comme l’a dit Jean-Paul Lecoq. Pour faire simple, la présente réforme propose de créer un fonds public qui viendrait soutenir un fonds privé, qui avait lui-même été créé pour éviter à des fonds publics de devoir renflouer les banques… on dirait un sketch de Raymond Devos !

Quelle trouvaille ! On peut penser que, dans quelques années, vous nous inventerez le fonds privé qui viendra soutenir le fonds public, qui lui-même soutiendra le fonds privé… Enfin, ce n’est pas sûr, parce qu’avec vous, quand il faut assumer des pertes, c’est toujours le public qui doit s’en charger : on privatise les profits, mais on mutualise les pertes. Comme d’habitude, cette question est traitée à l’envers. La sauvegarde du système bancaire est un sujet essentiel, non parce qu’il constitue un moyen pour certains banquiers de s’enrichir fortement, mais bien parce qu’il implique l’épargne des Français et des moyens de paiement : il est donc du devoir de la puissance publique d’agir dans ce domaine. Pour autant, elle ne doit pas le faire à la façon d’un assureur venant assurer les pertes une fois celles-ci constatées, mais en intervenant en amont pour réguler, réglementer, contrôler, prévenir, accroître la solvabilité des banques.

Or, où en est-on de la régulation bancaire en Europe ? On a finalement très peu progressé depuis la crise de 2008. Les accords de Bâle III, déjà largement insuffisants puisqu’ils se cantonnaient à des mesures dites microprudentielles, c’est-à-dire axées sur le contrôle individuel des banques, semblent être au point mort. Toute mesure macroéconomique visant à contrôler le secteur bancaire d’une manière empirique, ou même à limiter la taille des banques, est déjà exclue. En complément, notre assemblée n’a rien trouvé de mieux que de voter, à l’initiative de la droite, absente aujourd’hui, et de la majorité, elle présente, une résolution appelant à une application minimale de cet accord pour préserver l’intérêt des banques et des lobbies, ce qui constitue pour nous une honte absolue.

Je conclurai en disant qu’avec cette réforme, on en revient à la situation antérieure à 2008, c’est-à-dire au même niveau de régulation, avec la puissance publique comme assureur en dernier ressort. Vous nous répondrez que la réforme est la concrétisation de l’union bancaire, mais cela ne change rien à l’affaire : on a simplement remplacé les deniers publics nationaux par des deniers publics européens. Dans ces conditions, vous comprendrez que nous votions contre ce texte, comme l’a très bien dit mon ami Jean-Paul Lecoq. (M. Jean-Paul Lecoq applaudit.)

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Sébastien
Jumel

Député de Seine-Maritime (6ème circonscription)

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