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Questions sur la politique fiscale du Gouvernement

Monsieur le secrétaire d’État, ma première question porte sur le traitement pénal de la fraude fiscale.
Chaque année, la fraude et l’évasion fiscales nous coûtent entre 60 et 80 milliards d’euros, ce qui équivaut peu ou prou au déficit de notre pays pour l’année 2015, qui est d’environ 75 milliards d’euros.
Les révélations récentes du Consortium international des journalistes d’investigation, permises par l’action courageuse de lanceurs d’alerte, obligent les décideurs politiques que nous sommes à la responsabilité et à l’intransigeance. Alors que les atteintes aux biens et aux personnes font l’objet d’une véritable spirale répressive, les sanctionnant de peines de plus en plus lourdes, la délinquance économique et financière reste globalement à l’abri. Ce laxisme à l’égard de la fraude « en col blanc » est devenu insupportable. À l’heure actuelle, avant qu’une irrégularité fiscale, même intentionnelle, n’arrive sur le bureau du procureur, de multiples maillons administratifs doivent le valider. Notre système de répression de la fraude fiscale fonctionne tel un entonnoir, et le nombre de dossiers que l’on retrouve in fine devant un tribunal correctionnel est infime au regard de la fraude constatée.
Par ailleurs, alors que les moyens humains de la direction générale des finances publiques, la DGFIP, se réduisent d’année en année, notre système privilégie la conciliation, l’arrangement. Les gros fraudeurs savent qu’en échange d’une amende, d’une transaction avec le fisc, l’ardoise sera effacée et aucune poursuite ne sera engagée. L’émoi suscité par les Panamaleaks montre que nos concitoyens en ont assez d’une justice à deux vitesses. C’est bel et bien d’une tolérance zéro que nous avons besoin face à cette criminalité fiscale.
Monsieur le secrétaire d’État, que comptez-vous faire encore pour mettre fin au monopole de Bercy et renforcer les moyens de la justice pénale ? Allez-vous soutenir, par exemple, l’amendement en la matière de notre collègue Éric Bocquet, adopté au Sénat ? Enfin quelle réforme allez-vous mettre en œuvre pour améliorer l’articulation entre le travail de qualité des agents de la DGFIP et la voie pénale ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Monsieur le député Gaby Charroux, vous soulevez là une question essentielle qui mériterait qu’on y passe beaucoup plus de temps. Je présume qu’elle fera l’objet d’amendements au projet de loi Sapin 2, suscitant une discussion beaucoup plus large. Je voudrais néanmoins donner ici quelques indications.
Premièrement, il n’y a pas d’arrangement ni de négociation. Les pénalités sont fixées la plupart du temps à 80 % ; elles ne sont ni discutées ni discutables et elles ne sont pas négociées. Notre administration applique la loi et rien que la loi.
Il y a des difficultés cependant. Vous le savez, deux affaires font actuellement l’objet d’une question préjudicielle devant le Conseil constitutionnel, les affaires Wildenstein et Cahuzac, au nom du principe du non bis in idem, selon lequel on ne saurait être condamné deux fois pour les mêmes faits. La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur ce sujet n’est pas tout à fait celle de la Cour de justice de l’Union européenne et je crois qu’il serait utile d’attendre la décision du Conseil avant d’aller plus loin.
Aujourd’hui, environ mille affaires sont transmises par notre administration à la justice après avis de la commission des infractions fiscales : on peut juger que c’est beaucoup ou que c’est peu. On constate en tout état de cause que la justice pénale met du temps à traiter ces questions de fraude fiscale, parce que ce sont des affaires généralement complexes, qui impliquent de grandes entreprises ayant des filiales et pratiquant des prix de transfert. On constate par ailleurs que, la plupart du temps, les sanctions pénales sont plus légère que celles que notre administration a déjà elle-même infligées de façon beaucoup plus rapide – et il ne s’agit pas là pour moi de porter un jugement sur le fonctionnement de la justice.
Il y a là une vraie question qui méritera d’être débattue, et chacun y est prêt. Les jugements qui devraient être rendus sur les deux dossiers évoqués à l’instant nous éclaireront probablement sur les possibilités de revenir sur ce qu’on appelle communément quoique de façon souvent impropre le « verrou de Bercy ».
M. le président. La parole est à M. Gaby Charroux.
M. Gaby Charroux. Ma seconde question, qui fait écho à la précédente, porte sur les sanctions à l’égard de la fraude et de l’évasion fiscales.
Ainsi que je l’évoquais à l’instant, les Panamaleaks révèlent, après tant d’autres scandales financiers, les carences des moyens mis en œuvre. C’est une évidence, les fraudeurs ont systématiquement un temps d’avance. Ce fait ne doit pas pour autant nous réduire à l’impuissance ; cela nous oblige au contraire à être extrêmement offensifs et à utiliser tous les moyens possibles pour prévenir la fraude fiscale et la sanctionner plus durement.
Prévenir la fraude fiscale à l’échelle internationale, c’est d’abord être intransigeant à l’égard des États non coopératifs, bien sûr. C’est également définir une vraie liste commune, selon de vrais critères et sans faux-semblants. C’est aussi prendre l’engagement fort de travailler à accroître la transparence de l’activité des entreprises elles-mêmes. Cela a bien fonctionné avec l’obligation de reporting pays par pays, qui s’applique aux banques. Il faut étendre cette obligation à toutes les grandes entreprises, avec ou sans l’aval de nos partenaires européens. Les choses doivent bouger car toute l’Europe est salie par ces scandales.
Enfin, il nous faut des sanctions effectives. La fraude des particuliers ne saurait effacer la fraude des entreprises qui, elle, est colossale. Nous proposons d’agrémenter les sanctions pénales de sanctions financières fortes et dissuasives, comme le remboursement des aides publiques en cas d’utilisation des paradis fiscaux, la majoration de l’impôt sur les sociétés, ou encore le remboursement du CICE. Voilà des pistes très concrètes et qui nous semblent efficaces, monsieur le secrétaire d’État. Que comptez-vous faire pour aller dans ce sens ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Il ne faudrait pas donner le sentiment qu’en matière de lutte contre la fraude fiscale et de redressements fiscaux il n’y a ni pénalité, ni amende, ni sanction. En 2015, le contrôle fiscal a permis d’infliger 21,2 milliards d’euros de droits et pénalités, dont 5,1 milliards de pénalités, soit 25 % du total environ. J’aurai certainement l’occasion de revenir sur la répartition des différents impôts concernés par ce type de redressements.
Concernant les entreprises multinationales, j’appelle votre attention sur un chiffre, car il ne faudrait pas, là non plus, accréditer l’idée, certes insupportable – je vous rejoins sur ce point –, que de grandes entreprises habiles, bien conseillées, pourraient échapper à l’impôt sans être sanctionnées. L’an dernier, les cinq plus gros dossiers de redressements fiscaux d’entreprises ont donné lieu à des pénalités d’un montant de 3,3 milliards d’euros. Ce sont donc des volumes très importants qui sont en jeu. Le secret fiscal m’interdit bien évidemment de vous donner des noms, mais je vois dans les journaux… Je ne peux pas en dire plus.
Des pratiques telles que les prix de transferts, les établissements secondaires ou les doubles irlandais avec sandwich hollandais sont aujourd’hui beaucoup plus faciles à déceler pour nos contrôleurs. La transmission automatique des ruling, par exemple, permet à l’administration de vérifier les prix de transfert et de redresser. Malheureusement, ces procédures donnent lieu à de nombreuses contestations et procédures contradictoires – c’est la loi dans notre pays – qui peuvent donner le sentiment que tout ceci dure trop longtemps. Je ne suis pas sûr qu’une sanction par la voie pénale permettrait d’aller plus vite et plus loin. Nous en revenons au débat que nous avions à l’instant.
Tout n’est pas parfait, bien entendu, mais des progrès gigantesques ont été accomplis ces dernières années sur ces questions, qui demeurent évidemment choquantes pour le Gouvernement, pour le Parlement et pour nos concitoyens.

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Gaby
Charroux

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