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« Il faut entendre, lire, voir et donner accès à ce cri du peuple »

Je vous remercie, madame Pochon, d’avoir défendu cette proposition de résolution relative à la publicisation des doléances du grand débat national. C’est une nécessité pour l’histoire du pays, pour notre mémoire collective et, plus encore, pour signifier le respect et l’attachement que porte notre assemblée à l’expression du peuple dont nous sommes les représentants – respect et dignité.
Dans son Histoire socialiste de la Révolution française, Jean Jaurès observait, à propos des cahiers de doléances des États généraux de 1789, qu’il ne connaissait rien « de plus solide, de plus substantiel que ces cahiers du Tiers État qui sont comme l’expression suprême de la littérature française du XVIIIe siècle », les qualifiant même de « plus grande littérature nationale que possède aucun peuple ».
De cette littérature nationale, issue du peuple au cours de l’hiver 2018-2019 et appartenant au peuple, nous sommes aujourd’hui privés. Sans rougir, la start-up nation nous a longtemps opposé des obstacles techniques qui rendraient impossible la publicisation des cahiers de doléances issus du grand débat national à la suite de la crise des gilets jaunes.
Permettez-moi de vous mettre en garde, monsieur le ministre, contre la tentation qui est la vôtre de livrer à un cabinet de conseil et à l’intelligence artificielle le soin de déchiffrer et de défricher ce formidable terreau.

Nous devons faire mieux pour ces centaines de milliers de pages noircies, ces 19 247 cahiers citoyens ouverts dans 16 337 communes, afin qu’ils ne soient pas perdus pour le grand public. Les cahiers numérisés, conservés aux Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine, ne sont consultables que par quelques chercheurs ; pour les citoyens non autorisés, ils ne sont disponibles que partiellement, et de manière éparpillée, aux archives départementales.
Souvenons-nous de la crise des gilets jaunes. Maire de Vierzon à l’époque, je suis allé très rapidement et régulièrement rencontrer et soutenir celles et ceux qui avaient pris la parole, une parole trop souvent confisquée par une caste. Rappelons-nous ces six dernières années et demie, ponctuées par la révolte des gilets jaunes à laquelle n’ont été opposés que mépris et répression et par celle sur la retraite à points, mise sous le boisseau par la pandémie. Ensuite, dès 2023, ce furent les grandes mobilisations contre l’inique réforme des retraites. Et même après trois défaites électorales, la Macronie persiste dans sa volonté de faire taire le peuple par des accents martiaux et guerriers (Mme Marie Pochon et M. Arnaud Le Gall applaudissent), utilisant, comme l’écrit si bien Corey Robin dans La peur : Histoire d’une idée politique, « la menace externe […] comme prétexte afin de réprimer la menace interne ».
Aussi bien enrobé soit-il, le grand débat a d’abord été un instrument imaginé pour sortir de la crise, étouffer le mouvement et neutraliser la critique radicale de sa politique. Car c’est bien l’ensemble de l’œuvre du président de la République et des gouvernements successifs qu’il faut regarder : quelques exemples suffisent à convaincre que les revendications et les expressions du peuple n’ont pas seulement été ignorées, mais piétinées.
En effet, que demandaient les gilets jaunes et les millions de Français qui les soutenaient ? Plus de pouvoir d’achat, une meilleure répartition des richesses, plus de services publics et plus de démocratie. Sur ces quatre points, ils se sont heurtés à une fin de non-recevoir ! Que demandaient les membres de la Convention citoyenne pour le climat ? Des mesures courageuses pour lutter contre le réchauffement climatique. Leurs conclusions ont été jetées une à une aux oubliettes ! Qu’ont voulu dire les millions de salariés, de chômeurs, de retraités qui se sont élevés contre la réforme Borne de recul de l’âge de départ à la retraite ? Ils ont été méprisés ! Il suffit de cette caste qui se croit autorisée, coûte que coûte, à faire fi du choix du peuple !
L’histoire est souvent écrite par les vainqueurs, tandis que les peuples sont relégués dans l’oubli. La publicisation des cahiers de doléances, rédigés avec espoir par tant d’invisibles dans chacune des communes de France et des pays dits d’outre-mer, permettra non seulement d’arracher leurs souffrances à l’oubli, mais aussi et surtout de mettre en exergue les multiples propositions qu’ils ont formulées en leur redonnant respect et dignité.
« Ce ne sont pas les révolutions victorieuses, mais les révolutions étouffées et réprimées, les révolutions trahies et reniées, qui rendent un peuple malade » écrivait Sebastian Haffner dans son ouvrage Allemagne 1918, une révolution trahie.
Malheureusement, cette proposition de résolution ne suffira pas à soigner le peuple de sa défiance envers le monde politique. Toutefois, elle pourrait y contribuer, modestement. C’est pourquoi le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, qui rassemble des députés communistes et des députés ultramarins, votera cette proposition de résolution, car il faut entendre, lire, voir et donner accès à ce cri du peuple. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR et EcoS, ainsi que sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)

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