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Projet de loi de ratification des ordonnances dialogue social (MRP)

Au commencement était le travail, le travail brut, l’activité humaine, la participation de chacune et de chacun à la réponse aux besoins de toutes et tous : le travail au commencement des biens et services. Puis, sont arrivés les grands propriétaires et le monde a été structuré en deux parties inégales aux intérêts divergents : d’un côté, les grands propriétaires – il ne s’agit pas ici de ceux qui possèdent leur appartement ou leur jardin —, de l’autre, celles et ceux qui n’avaient à vendre que leur force de travail pour vivre.
Les propriétaires ont installé des machines construites grâce au travail d’ingénieurs et d’ouvriers. Il n’y avait alors pas un grand nombre de règles : tout se jouait à l’appréciation, variable, d’un seuil d’acceptabilité par le maître des lieux et des corps. Peu à peu les ouvrières et les ouvriers des usines se sont organisés pour se défendre ensemble, si bien qu’un grand mouvement de conquête de droits est né. Les salariés se sont organisés et ont revendiqué des horaires de travail, des salaires décents ou la reconnaissance de travaux de sécurité. Ils ont créé des caisses de secours et des caisses de retraite et ont parfois obtenu de certains employeurs qu’ils y contribuent : certains ont apporté leurs réponses aux questions sociales.
Si le droit s’est d’abord construit de façon empirique, par le rapport de force, il fallait, pour qu’il prenne toute sa dimension, qu’il s’inscrive dans la loi pour s’appliquer également à chacune et à chacun. Ainsi sont advenus le droit de s’organiser en syndicat, la loi des 11 heures pour les femmes et les enfants, la journée de 8 heures, le repos hebdomadaire ou encore le droit des femmes à jouir librement de leur salaire. Toutes ces avancées, qui n’étaient pourtant que justice, avaient dû être conquises et arrachées dans la sueur, par le combat et, parfois, l’histoire en témoigne, dans le sang.
Ce mouvement a constitué une relance de la Révolution, arrêtée au milieu du gué, et de la République, qu’il a consolidée au moment où elle était encore fragile, parce qu’il portait en lui les valeurs universalistes de liberté, d’égalité et de fraternité face au pouvoir absolu de l’argent. Ce fut toujours dans l’adversité, face à ceux qui voulaient conserver leur pouvoir dominant, leurs privilèges et leurs marges. Dès qu’un droit était conquis, il s’en trouvait pour expliquer qu’il fallait, déjà, l’entraver, puis le détruire, même si cela devait prendre du temps.
Ce mouvement a, partout, dans le monde, essayé de forcer les portes et les barrages pour faire respecter la dignité humaine de celles et ceux qui vendent leur force de travail. Mais tout cela, nous dit-on, c’est fini, c’était hier, et n’a plus lieu d’être. Nous ne serions plus au temps où on se tue au travail et où des forces d’argent imposent leur loi, nous ne serions plus au temps des inégalités ni des profits indécents. Et vous voulez supprimer les règles pour que tout, ou presque, devienne discutable.
Beaucoup de choses ont changé dans le travail, dans son organisation et dans la société. Le droit social, qui a été conquis, n’y est pas pour rien, car il a fait de notre pays ce qu’il est en permettant les progrès partagés. Mais cette grande contradiction, ce pouvoir dominant des grands propriétaires, cette rentabilisation toujours plus pressante du travail, cette volonté de baisser le prétendu coût du travail,…
M. Jean-Charles Taugourdeau. Et les 7 millions de chômeurs ?
M. Pierre Dharréville. …ce mouvement qui crée des travailleuses et des travailleurs sans droits, parce qu’on leur fait croire qu’ils sont leur propre patron, ces crises financières à répétition liées à la spéculation et à l’accumulation, ces scandales des polluants industriels et des burn out, ces droits des femmes toujours en souffrance, c’est le réel et c’est bien du réel que naissent nos convictions.
Il faut avoir le cœur bien accroché pour entendre le Gouvernement proclamer ici son choix de « libérer le capital » au milieu de révélations édifiantes sur l’optimisation et l’évasion fiscales, dont on ne peut pas dire qu’elles invitent à la confiance. Comment ne pas voir qu’il existe aussi de l’optimisation sociale ? C’est le travail, qu’il faut libérer, et c’est le droit qui établit la liberté.
Il a fallu dix-sept ans de travail législatif pour édifier le code du travail. Un siècle plus tard, il vous a fallu dix-sept semaines pour en faire une passoire ! La lenteur des conquêtes sociales n’a d’égale que la rapidité de leurs remises en cause. La justification n’a pas changé : trop de droits, trop de règles, trop de contraintes. Vous faites disparaître, par votre seule volonté, les contradictions qui traversent le réel, les conflits d’intérêts et les rapports de force qui structurent les relations sociales. C’est presque émouvant, et tellement invraisemblable ! Le conflit entre le capital et le travail est une réalité que la puissance publique ne doit pas ignorer. S’il y a un code du travail, c’est pour faire pièce au pouvoir de la propriété. De ce débat ancien, mais toujours contemporain, vous ne sauriez vous extraire. Quels intérêts voulez-vous satisfaire ? Vous devez choisir, vous avez choisi. C’est la raison pour laquelle la droite vous soutient. Elle aurait eu du mal à faire mieux, compte tenu de votre créativité, adossée à celle du MEDEF et de son club de DRH.
Vous ne pourrez pas vous cacher derrière un amoncellement de mesures techniques, présentées comme autant d’aménagements neutres ou d’options ajoutées à un véhicule standard. C’est une réforme majeure, dramatiquement majeure. Dans cette histoire que j’ai rapidement évoquée, elle prend sens : constituer une remise en cause radicale de la philosophie du droit du travail en ouvrant la porte à de vastes régressions. Or, par l’ampleur que vous avez donnée à cette réforme dans la précipitation insouciante de votre élection, vous vous êtes mis en contradiction avec des principes fondamentaux. Voilà ce qui fonde cette motion de rejet préalable.
Premièrement, vous contrevenez à l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen selon lequel « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Vos ordonnances sont fondées sur le principe de la variabilité des droits en fonction de l’endroit dans lequel on travaille. Des droits, antérieurement inscrits dans la loi commune, sont déclassés pour faire l’objet de négociations au cas par cas et au coup par coup dans les branches ou les entreprises. Le même article de la Déclaration stipule que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Vous n’avez pas démontré cette utilité commune. Et pour cause ! Elle serait introuvable. Les bénéfices de vos ordonnances n’iront pas au pot commun. La France sera demain moins qu’hier une République sociale si vos ordonnances doivent perdurer. Je le dis en pensant à ces salariés d’entreprises sous-traitantes du golfe de Fos-sur-Mer et d’ailleurs.
Deuxièmement, en rétrécissant le périmètre d’appréciation des difficultés économiques au territoire national, vous affaiblissez notre pays et notre économie en laissant des multinationales ne pas assumer leurs responsabilités. Combien de régimes se sont fracassés sur le mur de l’argent et sont tombés pour n’avoir pas su imposer leur volonté générale aux grands propriétaires et décideurs économiques ? Cette disposition constitue un permis de licenciement boursier et un encouragement à fermer des sites dans notre pays, même si des investissements pourraient y être réalisés pour relancer une activité viable. Elle nous affaiblira face à ces forces. Ce rétrécissement ouvre la porte à des mises en cause de l’indépendance et de l’intégrité nationales. Je le dis en pensant aux salariés de Castorama et de Brico Dépôt. Je le dis aussi en pensant à tous les salariés licenciés et tous les chômeurs.
Troisièmement, vous contrevenez à l’article 64 de la Constitution relatif à l’indépendance de la justice, laquelle se traduit notamment par la liberté du juge dans la fixation de la peine. Or votre barème baroque, qui plafonne les indemnités prud’homales, limite cette liberté et met en cause l’individualisation de la peine en fonction des circonstances et du préjudice. De surcroît, en arguant de la nécessité d’une prévisibilité, vous prévoyez la possibilité, certes en contrepartie d’une certaine somme à acquitter, de déroger à la loi et de ne pas respecter les règles qui prévalent pour un licenciement, ce qui constitue un encouragement à l’infraction qui ne saurait être conforme à l’esprit des lois.
Le plafonnement paraît également non conforme à l’article 24 de la Charte sociale européenne. Une décision du Comité européen des droits sociaux du 8 septembre 2016 a condamné la législation finlandaise pour un dispositif similaire. Notre législation court désormais le risque de connaître le même sort. Je le dis en pensant aux salariés victimes de licenciements abusifs.
Quatrièmement, votre référendum d’entreprise a pour conséquence de permettre à l’employeur de contourner les organisations syndicales. De vos ordonnances, c’est d’ailleurs une des lignes de force : décrétant l’insuffisance des organisations syndicales, vous mettez en place les moyens de s’en passer. Il s’agit d’un mécanisme bien connu d’individualisation des rapports sociaux, lequel conduit à abîmer les liens de solidarité et à laisser le salarié seul dans son rapport asymétrique avec son employeur. Or l’article 6 du Préambule de la Constitution de 1946 dispose que « tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix », et l’article 8 que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».
Ces dispositions viennent également percuter l’article 5 de la convention no 135 de l’Organisation internationale du travail – OIT –, qui accorde des garanties aux délégués syndicaux dans le cadre de la négociation.
Regardons également le paragraphe 57 de la déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale : « Dans les entreprises tant multinationales que nationales, des systèmes élaborés d’un commun accord par les employeurs, les travailleurs et leurs représentants devraient prévoir, conformément à la législation et à la pratique nationales, des consultations régulières sur les questions d’intérêt mutuel. Ces consultations ne devraient pas se substituer aux négociations collectives. » De même, dans sa déclaration de 1998 relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi, l’OIT réaffirme, parmi quatre objectifs principaux, son attachement à « la reconnaissance effective du droit de négociation collective ».
L’instauration d’un rapport vertical sans intermédiation vise toujours à installer un pouvoir et son emprise. L’article 2 de la convention no 98 de l’OIT prévient contre les actes d’ingérence des employeurs dans les organisations de salariés. En permettant le contournement de ces dernières, vous ouvrez le champ à de tels actes. Or, dans l’entreprise, le pouvoir des propriétaires est déjà suffisamment établi pour qu’on n’en rajoute pas. Je dis cela en pensant aux salariés de Smart.
Mon cinquième point porte sur la création d’une instance unique de représentation du personnel. Dans les entreprises de plus de 300 salariés, vous ouvrez la voie à l’intégration des délégués syndicaux dans cette instance ; ainsi, vous mettez directement en cause le rôle particulier des organisations syndicales et leurs prérogatives en matière de négociation. Telle que vous la présentez, l’instance unique contrevient à une disposition prévue à l’article 5 de la convention no 135 de l’OIT, selon lequel il convient de « garantir que la présence de représentants élus ne puisse servir à affaiblir la situation des syndicats intéressés ou de leurs représentants ».
Par un mécanisme pervers, vous affaiblissez les dispositifs existants de protection de la santé des travailleurs et des travailleuses, puisque vous demandez à la nouvelle instance de choisir entre la réalisation d’une étude sur l’hygiène, la sécurité et les conditions de travail, à laquelle elle devra contribuer à hauteur de 20 %, et l’organisation d’activités sociales et culturelles en direction des salariés. La convention no 148 de l’OIT prévoit que « les travailleurs ou leurs représentants auront le droit de présenter des propositions, d’obtenir des informations et une formation et de recourir à l’instance appropriée pour assurer la protection contre les risques professionnels dus à la pollution de l’air, au bruit et aux vibrations sur les lieux de travail ». Avec la mise en place de votre instance unique, ce droit est désormais placé sous conditions ; il deviendra plus difficile à faire valoir. Je dis cela en pensant notamment aux victimes de l’amiante.
Le sixième manquement que je souhaite souligner concerne votre choix de faire primer le contrat d’entreprise sur le contrat de travail, créant ainsi un nouveau motif de licenciement. Vous n’avez pas vraiment tenu compte de l’avis du Conseil d’État, qui vous a alertés et vous a demandé de veiller « à ce que les dispositions […] respectent les principes de valeur constitutionnelle et les conventions internationales, notamment la convention no 158 de l’OIT ». Or l’article 4 de cette dernière dispose : « Un travailleur ne devra pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service. » La modification d’un contrat de travail sans l’accord du premier concerné, alors même qu’il engage les deux parties signataires, ne saurait constituer un motif valable de licenciement. Je dis cela en pensant aux cadres et aux employés qui connaissent déjà les avenants signés sous la contrainte.
J’en viens à mon septième point. Monsieur le rapporteur, vous avez dit tout à l’heure que vous vouliez « sécuriser la rupture du contrat de travail ». Je crains qu’à l’arrivée, vous ne finissiez par rompre la sécurité !
La facilitation des procédures de licenciement, notamment à travers la rupture conventionnelle collective, contrevient à l’article 13 de la convention no 158 de l’OIT, qui dispose : « L’employeur qui envisage des licenciements pour des motifs de nature économique, technologique, structurelle ou similaire devra fournir en temps utile aux représentants des travailleurs intéressés les informations pertinentes, y compris les motifs des licenciements envisagés, le nombre et les catégories de travailleurs qu’ils sont susceptibles d’affecter et la période au cours de laquelle il est prévu d’y procéder ; donner, conformément à la législation et à la pratique nationales, aussi longtemps à l’avance que possible, l’occasion aux représentants des travailleurs intéressés d’être consultés sur les mesures à prendre pour prévenir ou limiter les licenciements et les mesures visant à atténuer les effets défavorables de tout licenciement pour les travailleurs intéressés […]. » L’article 14 de cette même convention ajoute que l’employeur devra notifier ces licenciements « à l’autorité compétente aussi longtemps à l’avance que possible, en lui donnant les informations pertinentes, y compris un exposé écrit des motifs de ces licenciements, du nombre et des catégories de travailleurs qu’ils sont susceptibles d’affecter […] ». Je dis cela en pensant aux seniors en errance et parfois en déshérence sur le marché du travail.
Votre huitième écart, toujours par rapport à la convention no 158 de l’OIT, porte sur la simplification de la procédure de licenciement. Vous offrez à l’employeur le droit de préciser son motif après coup, ce qui empêche évidemment le salarié de se défendre. Or la convention no 158 de l’OIT ne prévoit que deux possibilités : soit « la charge de prouver l’existence d’un motif valable de licenciement […] devra incomber à l’employeur », soit un organisme impartial devra se prononcer « au vu des éléments de preuve fournis par les parties ». Je dis cela en pensant à tous ceux et celles qui ont réussi à se faire réintégrer dans leur entreprise parce qu’ils ont eu les moyens de se défendre.
Neuvièmement, vos ordonnances s’écartent d’une disposition que l’on peut considérer comme un principe fondamental, inscrite à l’article L. 1 du code du travail, qui dispose : « Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel […]. » En vous exonérant de préciser dans la loi ce qui relève de ces relations individuelles et collectives de travail, vous mettez à l’écart les organisations représentatives au plan national sur des questions majeures au sujet desquels vous aviez jusqu’à présent l’obligation de les consulter. Je dis cela en pensant aux salariés qui n’ont pas la chance de pouvoir compter sur une organisation syndicale sur leur lieu de travail.
Dixièmement, vous assouplissez les conditions du travail de nuit, en contradiction avec la convention no 171 de l’OIT, selon laquelle « les compensations accordées aux travailleurs de nuit en matière de durée du travail, de salaire ou d’avantages similaires doivent reconnaître la nature du travail de nuit ». Cette même convention dispose : « Avant d’introduire des horaires de travail exigeant les services de travailleurs de nuit, l’employeur doit consulter les représentants des travailleurs intéressés sur les détails de ces horaires, sur les formes d’organisation du travail de nuit les mieux adaptées à l’établissement et à son personnel ainsi que sur les mesures requises en matière de santé au travail et de services sociaux. » Je dis cela en pensant à celles et ceux qui doivent prendre leur quart, auxquels on demande d’être encore un peu plus malléables.
J’en viens à mon onzième point. En attaquant la hiérarchie des normes et le principe de faveur, vous ouvrez la voie à une régression sociale dans notre pays. On pourra ainsi déroger à la baisse. Or le préambule de la constitution de l’OIT dénonce le fait qu’« il existe des conditions de travail impliquant pour un grand nombre de personnes l’injustice, la misère et les privations, ce qui engendre un tel mécontentement que la paix et l’harmonie universelles sont mises en danger ». C’est pourquoi cette constitution prône l’instauration de nombreux droits, de la fixation d’une durée maximale de la journée et de la semaine de travail à la protection des travailleurs contre les maladies générales ou professionnelles et les accidents résultant du travail. Elle souligne que « la non-adoption par une nation quelconque d’un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d’améliorer le sort des travailleurs dans leurs propres pays ».
La déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale, révisée en mars 2017 par l’OIT, souligne le rôle positif que pourraient jouer les multinationales pour tirer vers le haut l’ensemble des droits. Cette déclaration vise à « encourager le progrès social et le travail décent ». À notre sens, vous faites ici œuvre contraire en ne jouant pas tout le rôle que nous devons jouer pour un progrès social partagé.
Dans tous les pays du monde, des salariés se mobilisent pour gagner des droits. En réduisant ceux des salariés de notre pays, nous affaiblissons leur cause. On remarque dans le monde une plus grande réceptivité aux recommandations de l’Organisation mondiale du commerce – OMC – et du Fonds monétaire international – FMI – qu’à celles de l’OIT, auxquelles on n’accorde pas la même force juridique, ce qui est injustifiable mais tellement révélateur. Je dis cela en pensant aux travailleurs précaires, pauvres et exploités de tous âges du monde entier. Lors des questions au Gouvernement, nous avons évoqué la situation profondément révoltante de ces femmes et de ces hommes livrés, aujourd’hui encore, en esclavage.
Mon douzième et dernier argument porte sur la méthode. Avant de légiférer, il convient d’évaluer les effets des mesures précédentes. Vous ne l’avez pas fait. Vous avez supprimé des dispositions récentes en prétendant qu’elles n’avaient pas fonctionné – je pense au mandatement syndical permettant de favoriser la négociation dans les petites entreprises.
Vous avez prétendu avoir engagé une grande concertation dont vous affichez le « compteur temps » – pas plus de 300 heures, avez-vous dit, madame la ministre. Si l’on regarde le « compteur satisfaction », on est beaucoup moins impressionné ! Lors de ces concertations uniquement bilatérales, vous n’avez pas fourni de document écrit aux organisations syndicales ; vous avez testé un certain nombre d’idées avant de faire votre propre choix sans permettre d’échanges entre les organisations et avec les salariés de ce pays. En allant vite, en pressant le Parlement, en agissant l’été, vous avez cherché à empêcher la tenue d’un vrai débat public alors même que cette question avait déjà fait l’objet de mesures très sensibles un an plus tôt.
Rien ne justifie l’urgence que vous avez invoquée ni la faiblesse des moyens démocratiques que vous avez déployés au regard de l’ampleur du champ embrassé par ces ordonnances. En effet, la loi d’habilitation que vous avez soumise au Parlement était extrêmement large. Nous avons vu apparaître des dispositions dont personne n’avait entendu parler et qui, de ce fait, méritent d’être censurées. Je pense en particulier à la rupture conventionnelle collective, qui constitue un plan social au rabais et une trappe à l’emploi des seniors.
Votre précipitation affecte la qualité de la loi et se traduit par l’annonce d’une ordonnance-balai qui viendra corriger les erreurs et approximations commises et dont nous n’avons même pas encore connaissance.
En juillet, nous n’avons débattu que d’intentions. Cette semaine, nous allons débattre du fond mais, au lieu de faire la loi, nous allons valider ou invalider le travail que le Gouvernement a fait à notre place. Chacune de ces mesures ne pourra être vraiment examinée et éclairée par le débat parlementaire que dans la mesure où elle fera l’objet d’amendements. Le travail et le code du travail méritent un autre traitement, une autre délicatesse, un autre sérieux.
Le mandat donné a-t-il été respecté ? La question peut se poser. Je voudrais d’abord souligner un manque de clarté. Vous nous aviez dit que vous vouliez vous attaquer au chômage ; or, à l’ouverture de la conférence de presse du 31 août, M. le Premier ministre a annoncé que ces ordonnances n’étaient pas faites pour cela. Sagesse, sans doute, puisque l’absence de corrélation entre les mesures d’abaissement des droits sociaux et la courbe du chômage a été démontrée. Mais cet argument a fini par revenir, et on le comprend : si cette réforme ne vise pas à lutter contre le chômage, alors pour quelle raison la faites-vous ?
Pour renforcer le dialogue social, vraiment ? Nous avons reçu les organisations de salariés. Leur avis est quasi unanime : elles ne valident pas cette réforme, elles ne l’ont pas demandée et elles ne sont, pour l’essentiel, pas d’accord avec sa philosophie et son contenu. Le MEDEF n’ose même pas se féliciter trop bruyamment, de peur de vous nuire et de nuire à ces ordonnances si excellentes à ses yeux. En guise de renforcement du dialogue social, on a fait mieux. Et ce n’est pas fini, car vous allez ouvrir les appétits de régression sociale et nourrir de nouveaux conflits sociaux qui étaient jusqu’ici sans objet, en faisant comme s’il n’existait, jusqu’alors, aucun dialogue dans les entreprises sur le travail et son organisation.
Vous ôtez de sa force à la loi. Le Gouvernement a annoncé vouloir « libérer les énergies et offrir de véritables protections aux salariés », mais vous libérez les forces de la finance et vous n’offrez aucune protection aux salariés. C’était prévisible. En matière de sécurité comme en matière de richesses, ce que vous donnez aux employeurs, vous le prenez aux salariés. Vous vantez la nécessaire rémunération du risque, mais il n’y aura bientôt plus grand risque à rémunérer.
Vous avez annoncé vous situer « dans la droite ligne de l’héritage social du pays ». On nous permettra d’en douter. Que vous soyez dans la droite, avec cette réforme, c’est un fait, mais cela s’arrête là. (Sourires sur les bancs des groupes GDR et NG.)
M. Sébastien Jumel. Pas mal !
M. Pierre Dharréville. Vous avez annoncé apporter des solutions pragmatiques aux TPE et PME, mais les principales dispositions de ces ordonnances vont profiter aux grandes multinationales, et le dumpingsocial sans précédent auquel vous ouvrez les vannes va plonger les TPE et PME dans la difficulté.
Vous êtes partis du postulat que c’étaient les obligations liées aux institutions représentatives du personnel et aux relations sociales qui pesaient sur les PME, alors que leurs problèmes résident dans la faiblesse des carnets de commandes, dans le coût du crédit et les difficultés pour y accéder, dans la différence de traitement fiscal entre les PME et les multinationales ou encore dans la situation faite aux sous-traitants. La simplification que vous avez évoquée ne sera pas au rendez-vous. Enfin, on cherchera en vain les nouvelles garanties que vous annonciez pour les délégués syndicaux et les élus du personnel.
Le décalage entre les intentions et les dispositions est énorme, ce qui pourrait confiner à l’insincérité. Les représentants des organisations syndicales, dans leur diversité, parlent de « marque de défiance à l’égard des syndicats » et de « contournement des organisations syndicales », déclarant que « la majorité des entreprises sort du champ du dialogue social ». Ils disent encore qu’il s’agit de « flexibilisation à outrance » et d’« amplification du dumping social », que « favoriser les licenciements n’a jamais créé d’emplois », que « les entreprises vertueuses n’auront rien gagné dans ces ordonnances », et ainsi de suite.
Votre diagnostic est erroné. Vous pensez que les salariés sont responsables du chômage parce qu’ils ont trop de droits. Nous pensons, quant à nous, que ce sont les grands propriétaires qui ont trop de droits. Il y a tant à faire pour qui voudrait écrire un code du travail du XXIe siècle, capable de donner des outils aux salariés pour faire face à la financiarisation galopante du monde. Nous ferons à nouveau des propositions en ce sens dans ce débat.
Le travail joue un rôle structurant dans l’existence de chacun comme dans la vie sociale et dans le mouvement du monde. Vous nous proposez, avec ces ordonnances, un grand bond dans le passé. Nous nous y opposons de toute notre énergie, parce que nous savons les drames que prépare cette politique.
Votre principal argument est connu : c’est que vous l’aviez dit pendant la campagne ! Mais la démocratie veut que la politique se construise dans le creuset du débat public et vous aurez, à chaque réforme, à apporter la preuve qu’elle est voulue par notre peuple. Pour celle-ci, chacun sait que ce n’est pas le cas. Vous n’avez pas convaincu grand-monde depuis que vous l’avez déposée sur la table. Vous n’avez pas de majorité dans le pays pour vos ordonnances, qui prescrivent toujours les mêmes remèdes et qu’on pourrait, en relisant Molière et en se cachant un peu derrière lui, qualifier d’ordonnances « diafoireuses ». Les maintenir ne relève pas du courage, mais de l’entêtement et du passage en force.
Chères et chers collègues, je crois pouvoir conclure ce réquisitoire, sans trop vous surprendre, en disant que le vote de cette motion de rejet serait bienvenu. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, NG et FI.)

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Pierre
Dharreville

Député des Bouches-du-Rhône (13ème circonscription)

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