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Discussions générales

Pt création de la Banque publique d’investissement

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Sansu.
M. Nicolas Sansu. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen du projet de loi portant création de la banque publique d’investissement dans un contexte économique et social très dégradé.
En six mois, près de 240 000 personnes supplémentaires sont venues s’inscrire à Pôle emploi. Les chiffres publiés mardi dernier sont venus aggraver cette tendance avec 46 500 inscrits supplémentaires en octobre, et même 73 600 personnes en comptant les chômeurs en activité réduite. Au-delà des chiffres immédiats, il y a surtout une tendance : 720 000 emplois industriels détruits en dix ans, des échanges de produits manufacturés accusant un déficit de plus de 40 milliards d’euros en 2010, un effondrement de l’excédent brut d’exploitation dans l’industrie ; la part de l’industrie dans le PIB est passée de 24 à 14 % en quelques décennies.
La plus grande évolution aura sans doute été le déplacement du curseur entre salaires et profits dans la valeur ajoutée, au détriment des salaires : en trente ans, ce sont neuf points de PIB qui sont passés du travail vers le capital, soit 180 milliards d’euros. Soulignons aussi que, depuis 2003, le montant des dividendes versés dépasse celui des investissements réalisés dans les entreprises, et cela malgré OSÉO, CDC Entreprises, le FSI. Ces outils ne suffisent pas car, ils ne réorientent pas l’épargne. En fait, c’est le résultat de décennies de politique néolibérale, avec son cortège de drames humains et territoriaux, de gâchis de nos capacités et de nos compétences.
Face à ce désastre, le Gouvernement et le chef de l’État ont pris l’engagement devant les Français de tout faire pour redresser l’industrie et l’emploi industriel de la France. Pour y parvenir, il faut inverser la logique. Mettre enfin la finance au service de l’économie réelle et des activités productives, et non l’inverse !
La création de la Banque publique d’investissement peut être l’un des instruments du redressement productif, du sauvetage de notre industrie et du développement de filières d’avenir dans le cadre de coopérations fructueuses qui s’affranchissent d’une compétition mortifère. Remettre la finance à sa place réclame de nouvelles régulations dont l’objectif principal doit être de favoriser l’investissement productif de long terme. C’est d’autant plus urgent, et je vous renvoie à cet égard aux chiffres figurant dans le rapport de notre collègue Guillaume Bachelay, que le risque d’assèchement du crédit pour les PME devient patent, nous le constatons tous dans nos territoires.
Contrairement à une idée reçue, l’industrie française ne s’est pas dégradée du fait d’un coût salarial trop élevé. Selon le rapport publié en octobre 2009 par le Conseil des prélèvements obligatoires, le coût du travail en France par unité de production, c’est-à-dire en tenant compte de la productivité, est l’un des plus faibles de la zone euro.
La dégradation de notre industrie tient à d’autres facteurs étroitement imbriqués, parmi lesquels la dichotomie de notre secteur industriel entre d’un côté, de grands groupes, très internationalisés, qui jouent de moins en moins de rôles moteurs pour l’économie nationale et, de l’autre, une myriade de petites et moyennes industries enfermées dans des relations de sous-traitance où la discussion sur les prix prime celle de la qualité et du contenu en innovation des produits proposés. Cette dégradation tient encore à la financiarisation croissante, que nous évoquions à l’instant, qui a fait disparaître la majeure partie des entreprises grandes et moyennes véritablement indépendantes, emportée dans le tourbillon des filialisations et des politiques de rachats systématiques dont l’unique objet était non d’assurer la croissance des entreprises, mais la recherche de la rentabilité maximale et immédiate.
La création d’un instrument tel que la BPI, destiné à soutenir les investissements des PME et à densifier le réseau inter-entreprises, va par conséquent dans la bonne direction.
À cet égard, nous ne pouvons que saluer les améliorations apportées au texte à l’initiative de notre rapporteur, Guillaume Bachelay et de tous les groupes qui composent la majorité.
Alors que, dans sa rédaction initiale, le texte du projet de loi se contentait de dire que la BPI « est un groupe public au service du financement et du développement des entreprises », les amendements adoptés en commission ont permis d’en préciser l’objet, en soulignant qu’elle agira en vue de soutenir la croissance durable, l’emploi – absent dans la première version – et la compétitivité de l’économie et apportera son soutien à la politique industrielle de l’État, notamment pour soutenir les stratégies nationales de développement des filières, en se fixant pour priorité les très petites entreprises, les PME et les ETI, en particulier celles du secteur industriel.
C’est une avancée. Mais il reste que la doctrine d’intervention de la BPI sera fixée par le conseil d’administration ; permettez-moi à ce propos de m’interroger sur la cohérence de la politique économique conduite par le Gouvernement.
L’économiste Christian Chavagneux parle à juste titre de « politique de l’écartèlement ». Comment ne pas souscrire à ce constat lorsque, d’un côté, l’on s’efforce de préciser par voie d’amendement les missions d’intérêt général de la BPI et que, de l’autre, le Gouvernement propose une réduction massive de 20 milliards d’euros des charges aux entreprises sans la moindre contrepartie tangible ? Ce choix est d’autant plus incohérent que la BPI va préfinancer le crédit d’impôt aux entreprises qui le demandent, là aussi sans contrepartie. Est-ce de bonne politique que de détourner immédiatement la BPI de son rôle initial ?
Nous sommes, pour notre part, favorables, vous le savez, à la constitution d’un grand pôle financier public. Nous défendons en effet depuis des années la mise en réseau des établissements financiers publics et semi-publics, avec une déclinaison territoriale, afin de développer les moyens d’une maîtrise nouvelle du crédit bancaire, d’une réorientation du crédit visant à imposer le respect de critères sociaux et environnementaux – développement et la sécurisation de l’emploi, développement de la formation et de la recherche, financement de la transition écologique. Chacun s’accorde à dire que notre pays recèle de talents qui ne demandent qu’à s’exprimer.
Le projet de loi que vous nous proposez ne va pas jusque-là, même si l’architecture de la BPI n’est pas arrêtée et pourrait permettre éventuellement à celle-ci d’exercer une activité bancaire. En l’état, l’instrument présenté recèle une fragilité majeure : ce n’est pas une banque de plein exercice.
Pour commencer, la Banque publique d’investissement est tout d’abord très insuffisamment dotée. Au regard de l’enjeu du redressement productif et économique, la dotation de 42 milliards d’euros paraît trop faible, surtout qu’il n’y aurait que trois à quatre milliards non engagés. Il suffit de la comparer aux quelque 815 milliards d’euros de crédits alloués aux entreprises par le secteur financier, dont 213 milliards pour les seules PME.
Pour jouer pleinement le rôle contra-cyclique déjà dévolu aux acteurs existants du financement public appelés à être réunis sous l’enseigne BPI, il faudrait que celle-ci puisse jouir du statut d’établissement public de crédit et disposer ainsi de la possibilité de se refinancer auprès de la BCE. L’enjeu est double : permettre à la BPI d’exercer un rôle de catalyseur et de mobiliser les établissements privés sur les projets qu’elle soutient. La Banque publique d’investissement ne saurait en effet assurer seule la totalité du financement des projets qui lui seront soumis ni a fortiori prendre en charge les moins rentables pour laisser les autres au secteur privé. J’ai apprécié la position prise par le Gouvernement et par la commission des finances sur ce point : c’est ainsi que nous pourrons éviter de socialiser les pertes et privatiser les profits. La capacité à se refinancer auprès de la BCE permettrait surtout à la BPI d’éviter de faire systématiquement appel aux marchés financiers, au risque de voir ses opérations conditionnées par la rentabilité financière. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous estimons que la BPI devrait pouvoir réaliser des prêts aux entreprises sur fonds d’épargne, à l’instar de ceux dont bénéficient le logement social ou la rénovation urbaine.
Depuis la modification des règles de centralisation de l’épargne réglementée, les banques commerciales sont autorisées à détenir 35 % des dépôts collectés au titre du livret A et du livret de développement durable, ce qui représente près de 120 milliards d’euros. Or les banques n’ont fourni aucun élément permettant de conclure au respect de leurs obligations en matière de financement des petites et moyennes entreprises. En conséquence, nous estimons légitime qu’une part de cette épargne non centralisée vienne renforcer les moyens d’intervention de la Banque publique d’investissement – et j’ai bien compris que le débat pourrait être ouvert d’ici à quelques semaines.
Nous reviendrons au cours de la discussion sur les questions touchant à la gouvernance de l’institution. Des progrès ont là aussi été enregistrés en commission. Nous regrettons néanmoins que la composition du conseil d’administration de ce nouveau groupe, dont l’État et la Caisse des dépôts et consignations seront actionnaires à parité, comporte deux fois moins de représentants des salariés que le conseil d’administration d’OSÉO. Nous sommes en outre favorables à ce que les fonctions de directeur général soient exercées par un représentant de l’État et nous souhaitons que la BPI, même avec des comités régionaux d’orientation ou d’engagement, soit un établissement national et non une juxtaposition d’établissements régionaux. C’est la force de l’État qui doit prévaloir en la matière.
En conclusion, la BPI doit se garder d’un double écueil : d’une part, n’être qu’un simple palliatif qui exonère les banques de leurs responsabilités ; d’autre part, ne pas délaisser les entreprises en difficulté qui, loin d’être toutes des « canards boiteux », ont besoin le plus souvent d’être accompagnées dans leurs mutations.
La BPI peut être l’instrument d’une nouvelle ambition pour le redressement productif que les députés du Front de gauche appellent de leurs vœux. À cet égard, nous serons extrêmement attentifs aux projets qui concerneront la réforme bancaire et l’orientation de l’épargne, attentifs et constructifs car la France et l’Europe ont tant d’atouts à faire valoir. C’est donc dans cet esprit de construction et de reconquête que nous soutiendrons ce projet de loi.

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Nicolas
Sansu

Député de Cher (2ème circonscription)

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