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Projet loi de finances rectificative pour 2021

MOTION DE REJET PREALABLE

Ce collectif budgétaire de fin de gestion, traditionnel, vient clôturer l’année 2021, marquée d’un point de vue budgétaire à la fois par le prolongement des mesures de soutien massives permettant de faire face au maintien des restrictions durant la première moitié de l’année et par le fameux plan de relance et ses prétendus 100 milliards d’euros.

Il s’inscrit également dans une période charnière, marquée, certes par une amélioration des principaux indicateurs économiques, mais aussi une reprise importante de l’inflation, nourrie essentiellement par une explosion des prix de l’énergie qui affecte particulièrement les ménages populaires.

Dans ces conditions, cette motion de rejet marque une opposition nette à la politique économique menée par le Gouvernement, tout simplement parce que les mesures de relance et les dispositions prises ne répondent pas à la première préoccupation des Français : le pouvoir d’achat.

Cette année 2021 devait marquer un tournant après les appels à se réinventer suite à une crise sanitaire, économique et sociale qui a profondément remis en cause les bases de nos modèles de développement. À la faveur d’un plan de relance annoncé en grande pompe, le budget pour 2022 devait tracer un nouveau chemin ; il devait permettre d’enclencher la transformation de notre économie, autour d’une souveraineté enfin retrouvée, d’assumer une transition écologique ambitieuse, pour plus de solidarité et pour une véritable reconnaissance de tous ces admirables premiers de corvées qui tiennent notre pays à bout de bras depuis le premier confinement.

Mais la réalité est tout autre. On pourrait résumer votre politique par la maxime « chasser le naturel, il revient au galop » : fidèles à vos convictions et à vos dogmes économiques, vous avez adopté un plan de relance fondé sur des baisses d’impôts massives et des subventions aux entreprises, sans aucune condition. Vous poursuivez ainsi une politique de l’offre naïve et éculée depuis des années, qui consiste à déverser des dizaines de milliards sur les entreprises, sans aucun contrôle de leur utilisation.

es baisses de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de cotisation foncière des entreprises (CFE), qui figurent dans le budget 2021 et que nous proposerons de supprimer par voie d’amendement, font la part belle aux grandes entreprises. Ainsi, 3 % des entreprises, essentiellement financières, captent les deux tiers de la baisse de la CVAE. Quant aux effets sur la réindustrialisation, l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, a récemment expliqué qu’ils étaient nuls.
Le programme Cohésion de la mission Relance illustre lui aussi cette politique. On pourrait croire qu’il vient tirer les conséquences de la situation sociale à l’issue de la crise sanitaire et y répondre par des transferts aux ménages, mesures qui, au-delà de leur nécessité sociale, permettraient de relancer l’économie. Il n’en est rien : ce programme s’attache à verser des subventions aux entreprises qui embauchent des jeunes.

C’est le fameux plan « 1 jeune, 1 solution ». Les effets d’aubaine de cette politique, du fait de l’absence de ciblage, sont énormes pour des entreprises qui n’en ont parfois pas besoin.

Ce plan de relance ne répond pas aux enjeux, tant du point de vue des montants alloués que de la manière dont il les dépense. Ce dont notre pays a besoin, c’est d’un grand plan d’investissement qui alloue sur au moins dix ans les sommes annuelles prévues par votre plan. Ces crédits ne doivent pas être déversés, mais investis et pilotés directement par l’État et les collectivités, dans une logique de planification, loin du énième plan d’investissement annoncé par le Président de la République.

Cette année 2021 a aussi été une nouvelle occasion manquée d’adopter les mesures de justice fiscale, ou du moins de solidarité, même exceptionnelle, que les Français demandent dans leur très grande majorité.

Nous y sommes même invités par des institutions internationales plus proches de vos dogmes que des nôtres, comme le Fonds monétaire international, le FMI. Son chef économiste déclarait ainsi en juin que les « pays pouvaient envisager de prélever des contributions temporaires en complément des taux les plus élevés de l’impôt sur le revenu des particuliers. »

Nous avons été nombreux à faire des propositions sur ces sujets, lors de l’examen du PLF mais aussi lors de l’examen en commission de ce projet de loi de finances rectificative. Vous êtes, à chaque fois, restés figés dans vos certitudes, refusant toutes les propositions, même les plus limitées et les plus ciblées.

Les 358 000 familles les plus riches détiennent un patrimoine qui s’élève à 1 028 milliards, soit la moitié de ce que produit la France en un an. Les travaux des économistes spécialisés réaffirment avec force que pour faire face aux inégalités, qui se creusent depuis votre arrivée au pouvoir en 2017 et qui se sont renforcées durant la crise, il est essentiel de procéder à une redistribution encore accrue, et que celle-ci passe inévitablement par des impôts progressifs qui ciblent les plus riches. En effet, la concentration des richesses dans les mains de quelques-uns ne nuit pas seulement à la cohésion sociale, elle ne contrarie pas seulement les valeurs de solidarité et de coopération qui nous sont chères et qui fondent notre pacte républicain ; elle est aussi un contresens économique et social. C’est encore le FMI qui déclarait il y a un an que la France avait atteint un niveau d’inégalité tel qu’il nuisait à la croissance économique.

Une nouvelle répartition des richesses est aujourd’hui essentielle, répartition que le ministre Le Maire a plusieurs fois appelée de ses vœux mais pour laquelle rien n’a été fait puisque toute mesure fiscale frappant les plus riches était refusée.

Dans le même temps, malgré la stabilité apparente du nombre de pauvres, le directeur de l’INSEE invitait à ne pas confondre « l’aggravation de situations de pauvreté et l’accroissement du nombre de pauvres. » Une enquête de l’INSEE sur les comptes bancaires, publiée le 3 novembre, montre que les plus précaires ont de grandes difficultés à boucler leurs fins de mois. D’autres indicateurs, comme le recours à l’aide alimentaire, qui a augmenté de 11 % en 2020, démontrent une intensification de la pauvreté.

Face à ces enjeux, les mesures d’urgence ont été plus qu’insuffisantes, et même inexistantes dans le plan de relance. À quelques mois de la présidentielle, vous essayez aujourd’hui, avec ce PLFR, de vous raccrocher aux branches en déployant une indemnité inflation de 100 euros pour les individus présentant un revenu inférieur au salaire médian. En l’état, la disposition, présentée comme centrale par le gouvernement et la majorité, ne nous satisfait pas et suffirait à justifier à elle seule le renvoi de ce texte.

Alors que la quasi-totalité des conditions sera fixée par décret sans que le Parlement puisse intervenir, les quelques éléments figurant dans ce PLF posent de nombreuses questions. La prise en compte des revenus individuels, et non du ménage, excluant de fait les enfants des critères retenus, pose un certain nombre de problèmes de définition du champ des bénéficiaires. En quoi un célibataire gagnant 1 900 euros a plus le droit à l’indemnité inflation qu’une mère isolée avec trois enfants à charge gagnant 2 100 euros ? Cette question n’a pour l’heure trouvé aucune réponse dans les rangs de la majorité ni au Gouvernement.

Outre les aspects techniques, cette indemnité ponctuelle et exceptionnelle ne saurait répondre aux défis actuels : le risque d’un décrochage durable des salaires par rapport aux prix à la consommation n’est pas à exclure et constitue une source de réelle inquiétude pour nos concitoyens. Pour être durable, la réponse ne pourra consister en indemnisations, certes louables mais temporaires ; elle ne résidera que dans une nouvelle répartition des richesses et une augmentation des salaires. Le ministre Le Maire l’a d’ailleurs appelée de ses vœux mais, comme d’habitude, les actes ne suivent pas les paroles. Il existe pourtant de nombreux outils – hausse du SMIC et revalorisation du point d’indice des fonctionnaires, par exemple.

Face à cette politique qui continue de s’accoutumer à la hausse des inégalités et de la pauvreté, qui refuse de mettre en cause la répartition des richesses, qui répond comme toujours, lorsqu’il s’agit des gens, par une petite aide ponctuelle et mal fichue sur laquelle le Parlement n’aura pas la main, nous proposons le rejet préalable de ce projet de loi de finances rectificative pour 2021. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SOC.)

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Alain
Bruneel

Député du Nord (16ème circonscription)

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