Les défis que pose le changement climatique à notre société sont connus. Le premier est celui de tenir nos engagements internationaux en sortant des énergies fossiles et en atteignant la neutralité carbone d’ici 2050. Nous le savons, ces engagements requièrent des transformations économiques, sociales, territoriales et culturelles majeures, qui doivent être réalisées dans un laps de temps si court qu’elles nécessitent selon nous une planification rigoureuse qui doit mobiliser des moyens publics et privés considérables.
Or le débat que nous entamons sur ce texte est marqué du manque de volonté et de courage politiques d’un gouvernement qui s’est refusé à présenter sa feuille de route et sa stratégie énergétique pour la décennie à venir. Au lieu de cela, l’exécutif nous propose une forme de voiture-balai législative avec une proposition de loi d’origine sénatoriale, dont on nous dit aussi, « en même temps », qu’il n’en sera pas tenu compte dans la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie, dont le décret devrait paraître avant la fin de la navette parlementaire. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu’il y a de moins en moins de cohérence dans la politique énergétique de notre pays.
La loi relative à l’énergie et au climat de 2019 avait pourtant prévu expressément qu’avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, le Parlement devrait voter une loi de programmation quinquennale pour déterminer les grands objectifs de notre politique énergétique. Mais aucun des derniers gouvernements n’a présenté un tel texte.
À la place, nous avons eu droit à la juxtaposition de consultations publiques, en 2022, en 2023, en 2024, avant que le premier ministre ne confirme qu’il n’y aurait finalement pas de texte gouvernemental. En guise de lot de consolation, nous avons eu le privilège d’un débat sans vote, ici même, avant que ne soit confirmée la décision d’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée cette proposition de loi.
Une telle façon de procéder et d’appréhender les grands choix stratégiques en matière énergétique et les conséquences qu’ils impliquent pour l’avenir du pays n’est pas à la hauteur. Nous en observons les effets dans les conditions d’examen de ce texte, son contenu et ses équilibres. Tout bouge – cela a été le cas en commission –, sans que personne n’ait pu préalablement se positionner, faute d’étude d’impact et de travaux préparatoires à la hauteur sur les grandes trajectoires et prospectives énergétiques et climatiques, qui ne cessent d’évoluer – vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur.
Son examen ne viendra donc pas combler l’impression de navigation à vue que laisse la politique énergétique conduite ces dernières années par le président de la République. En 2022 et en 2023, nous avons examiné un projet de loi d’accélération des énergies renouvelables, puis un projet de loi d’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires, sans que le gouvernement adapte ou révise la trajectoire énergie-climat fixée en 2019.
Qui dit nouvelle trajectoire de référence dit anticipation, mesure des risques, marges de manœuvre à conserver, estimation du niveau des soutiens publics et budgétaires nécessaires. Or aucune garantie budgétaire n’est donnée pour cette programmation. Pire, la brutalité des arbitrages en cours et l’obsession de la baisse des dépenses publiques ont conduit à revenir sur les mesures les plus efficaces pour faire face à la précarité énergétique et faire baisser nos consommations.
Suspension de ma MaPrimeRénov’, gel du leasing pour les véhicules électriques, hausse des taxes sur l’électricité : alors que nous sommes engagés dans une course de vitesse pour faire baisser nos émissions de gaz à effet de serre et accélérer l’électrification des usages, ces décisions ne font que ralentir encore les transitions nécessaires.
Il résulte de tous ces contresens une France surcapacitaire, qui produit bien plus d’électricité qu’elle n’en consomme et se retrouve à exporter des quantités records, alors même que les deux tiers de son mix énergétique sont issus d’énergies fossiles – 37 % de pétrole et 21 % de gaz naturel.
Monsieur le ministre, des signaux d’alerte vous ont pourtant été envoyés par les autorités indépendantes qui ont eu à donner leur avis sur cette politique erratique. Il y a quelques semaines, le Haut Conseil pour le climat s’alarmait du « manque de clarté » du projet de PPE, qui ne constitue pas une « planification robuste détaillant des mesures quantifiées, déclinées temporellement, pilotées et évaluées en termes de potentiel et d’efficacité ». Le HCC s’inquiétait aussi de l’insuffisante prise en compte de l’accompagnement nécessaire des ménages modestes.
Nous le répétons : il n’y aura pas de transition juste et efficace sans un soutien massif à ceux qui n’ont pas d’autre choix que de vivre dans des passoires énergétiques et de prendre leur véhicule thermique pour aller au travail ou se déplacer au quotidien. Plutôt que de raboter ou de supprimer à la va-vite les aides à la rénovation des logements ou à l’électrification des véhicules, nous devons faire le choix de les soutenir massivement, tout comme l’ensemble des transports publics et collectifs. Monsieur le ministre, le budget 2026 ne doit pas renforcer les inégalités sociales et territoriales, mais il doit marquer un tournant en faveur des classes populaires, de ces millions de ménages modestes condamnés à la précarité, que cela concerne leur consommation d’énergie ou leurs moyens de mobilité.
Le haut-commissariat à l’énergie atomique, autre autorité indépendante qui a eu à donner son avis, insiste, lui aussi, sur le besoin urgent de planifier les investissements et de reprendre la main sur la recherche nucléaire. Il s’agit notamment de ne pas laisser à d’autres le déploiement industriel des réacteurs de quatrième génération et des petits réacteurs modulaires.
Le haut-commissariat nous alerte surtout sur le fait que la complémentarité entre énergies renouvelables et nucléaire, qui caractérise la stratégie de l’offre énergétique, repose sur un équilibre pour le moins précaire. Cela risque de se solder par un sous-emploi du nucléaire et par des surcoûts pour les consommateurs et les industriels.
Bien sûr, la situation vient de ce que la volte-face stratégique, après la fermeture de la centrale de Fessenheim et l’arrêt calamiteux du programme de recherche Astrid, s’est produite trop tardivement. Mais il n’est pas trop tard pour agir. Et si ce texte peut être utile, c’est de retrouver une ambition dans ce domaine.
La même absence de vision affecte malheureusement le développement des filières industrielles. Nous nous interrogeons toujours sur l’absence de véritables plans de filière et de formation pour produire sur notre sol les panneaux solaires, les éoliennes, les pompes à chaleur, les batteries et les infrastructures électriques dont nous aurons tant besoin dans les années à venir.
À quoi bon sortir de notre dépendance aux importations de combustibles fossiles si nous continuons à importer massivement de Chine, des États-Unis ou d’Europe du Nord les productions essentielles à la transition ?
Au-delà de ces critiques de fond sur la politique conduite par le gouvernement, nous nous réjouissons que le texte ait permis, notamment grâce aux travaux en commission, d’enregistrer des évolutions majeures.
Je pense, d’abord, à l’affirmation du monopole public d’EDF sur la construction et l’exploitation des réacteurs électronucléaires, y compris sur les petits réacteurs modulaires, qui ne doivent pas être confiés à des acteurs privés.
Je pense aussi à la révision du mode de calcul des tarifs réglementés de vente d’électricité, afin qu’ils reflètent les coûts de production, à l’introduction du principe de la transformation d’EDF en Epic, qui est pour nous une avancée majeure, ainsi qu’au rétablissement des tarifs réglementés du gaz. Nous défendrons bien sûr ces avancées, qui doivent être conservées.
Par ailleurs, le texte redonne la main au Parlement pour fixer les objectifs de politique énergétique liés aux réseaux électriques et à l’hydrogène ainsi qu’au développement des capacités d’énergie éolienne, hydrolienne et photovoltaïque, avec toutes les limites que ces chiffrages impliquent. En effet, ils dépendent prioritairement de notre capacité à électrifier massivement les usages, d’une part, et à anticiper les besoins en énergie liés à la nécessaire réindustrialisation du territoire et à la réduction des émissions importées, d’autre part.
À ce stade de l’examen du texte, nous avons cependant plusieurs regrets. Le premier tient à la suppression de l’article 3, qui visait à définir les objectifs de politique énergétique liés à l’énergie nucléaire. La réponse aux besoins d’énergie décarbonée au-delà de 2050 nécessitera de maintenir des capacités nucléaires importantes et d’éviter tout effet falaise dans la capacité de production. Nous devons donc réintroduire nos grandes ambitions dans ce domaine.
En outre, parce qu’ils répondent en partie au problème d’épuisement des ressources auquel devra faire face l’humanité dans les prochaines décennies et qu’ils permettent le traitement des combustibles usés actuels, nous devons renforcer, comme le proposait cet article, l’effort de recherche et d’innovation publiques sur les réacteurs nucléaires de quatrième génération.
Nous soutiendrons l’inscription, dès à présent, d’une perspective de déploiement industriel des réacteurs à neutrons rapides. Ne laissons pas à d’autres – Américains, Chinois ou Russes – la capacité de concevoir et de nous vendre ces réacteurs dans les prochaines décennies.
Nous proposerons donc le rétablissement de l’article 3, convaincus que nous ne pouvons risquer une perte de souveraineté énergétique et industrielle dans ce secteur clef pour notre avenir, comme nous le sommes de la nécessité de construire de véritables filières dans les énergies renouvelables.
Notre second regret porte sur l’insuffisante prise en compte des enjeux liés à la réduction de notre empreinte carbone. Vous avez évoqué ce problème, monsieur le rapporteur Fiévet.
Selon un rapport conjoint de Carbone 4 et du Stockholm Environment Institute, entre 1995 et 2022, l’empreinte carbone totale de la France a diminué de 7 %, mais cette baisse relative cache deux tendances totalement opposées : d’une part, une réduction de 33 % des émissions émises sur le territoire et, d’autre part, une augmentation de 32 % des émissions importées.
Environ la moitié de l’empreinte carbone de la France est ainsi liée aux importations. La Chine est la plus grande source d’émissions importées, suivie de l’Allemagne, des États-Unis et de l’Italie.
Ce constat impose une politique volontariste de réduction des émissions importées. Elle passe, en particulier, par la réindustrialisation de notre pays, en ciblant les secteurs clés et les technologies les moins émettrices. Elle suppose d’anticiper les besoins en énergie et doit être articulée à une politique de planification industrielle rigoureuse. Seulement, celle-ci fait cruellement défaut, ce qui nous interdit de connaître avec précision les besoins énergétiques de notre pays à l’horizon 2050. J’espère que nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet.
Nous défendrons également par amendement la définition d’une stratégie nationale équilibrée de mobilisation de la biomasse. Comme le soulignait le HCC dans son dernier avis, une hiérarchisation stricte des usages de la biomasse est indispensable. Il va falloir arbitrer entre les usages agricoles en faveur du maintien de la fertilité des sols et de leur teneur en carbone, la production de chaleur et de biocarburant, et la production résiduelle d’électricité. Sans stratégie nationale, nous naviguons à vue, sans pouvoir prendre en compte les réalités scientifiques et la dégradation de nos puits de carbone forestiers et agricoles. Ce n’est pas tenable.
Si nous abordons cette discussion sans illusions excessives sur les effets concrets des mesures et leur traduction finale dans la PPE, nous chercherons quand même à améliorer ce texte, afin de définir l’équilibre et l’ambition qui lui manquent.
Espérons que, dans l’attente d’un projet plus construit et assorti de moyens budgétaires clairement identifiés, cette proposition de loi permettra au Parlement de donner plus de corps à la programmation tant attendue de notre politique énergétique.
Discussions générales
Programmation nationale énergie et climat pour les années 2025 à 2035 (PPL)
Publié le 16 juin 2025
Julien
Brugerolles
Député
du
Puy-de-Dôme (5ème circonscription)