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Programmation développement solidaire et lutte contre les inégalités mondiales

Nous y voilà. Une loi sur l’aide publique au développement est arrivée ! Nous avons bien cru qu’elle ne viendrait jamais. Comme l’Arlésienne : on en parlait, mais personne ne l’avait jamais vue.

Cette loi a d’ailleurs mis tellement de temps à parvenir jusqu’à nous qu’elle en porte les stigmates : une très large part du cadre de partenariat global se contente de reprendre les conclusions du comité interministériel de la coopération internationale et du développement de 2018, tandis que la programmation financière de la loi débute en 2020.

Je dis « programmation » mais, en réalité, ce n’en est pas vraiment une, puisqu’elle s’arrête en 2022. Tout cela est donc très décevant, sauf évidemment si vous votez l’amendement que vous proposent les députés communistes et qui vise à supprimer le mot « programmation » du titre. Ainsi serions-nous au moins plus honnêtes car c’est justement une vraie programmation qu’attendaient avec impatience tous les acteurs de la solidarité internationale, lesquels mènent au quotidien un formidable travail qui nécessite une capacité à se projeter.

Ces sujets de fond ne sont pas les seuls dont nous ne sommes pas satisfaits. Les députés communistes regrettent profondément que la question de la paix ne soit pas prépondérante dans ce projet de loi, alors que c’est bien le seul objectif qu’il faut se fixer pour lutter contre les inégalités mondiales et pour le développement solidaire. À cet égard, la diplomatie, le respect des droits de l’homme, la construction de services publics et l’élaboration de règles acceptées par tous sont le véritable enjeu.

Le respect de règles communes concerne aussi bien la communauté locale que la communauté internationale. Or il n’est mentionné nulle part explicitement que la France respectera toutes les résolutions votées par les Nations unies, qui forment pourtant la base du vivre-ensemble mondial, parce qu’elles énoncent des solutions négociées et acceptées, parfois difficilement, par chacun des pays du monde. J’espère que vous corrigerez cela en votant nos amendements allant dans ce sens.

Le respect du droit international est la solution prioritaire pour une paix juste et durable, elle-même préalable indispensable au développement. Imaginez un seul instant le Moyen-Orient sans le conflit israélo-palestinien. Imaginez l’Afrique du Nord sans le conflit du Sahara occidental. Certes, les vendeurs d’armes y perdraient, mais les populations, elles, pourraient se développer bien plus harmonieusement et les États ainsi reconnus pourraient mutuellement coopérer.

Dans ce combat pour la paix, la France joue un rôle particulier qu’elle ne doit pas oublier même s’il ne figure pas explicitement dans le texte : membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, elle se doit d’être exemplaire. Cette responsabilité est diplomatique et non militaire, distinction majeure qui n’est pas assez mise en évidence dans le projet de loi.

Cette confusion se retrouve dans le lien que vous établissez entre la sécurité et le développement. La partie du cadre de partenariat global intitulée « Prévenir et traiter les crises et les fragilités » – paragraphes 55 à 59 –, caractéristique de cette confusion, laisse planer le doute sur les intentions de la France.

Ainsi le paragraphe 56 indique-t-il que la France « s’efforce de mieux coordonner l’ensemble des acteurs mobilisés dans les domaines de la diplomatie, de la sécurité, du développement, de la stabilisation et de l’aide humanitaire en recentrant les actions sur les missions de chacun dans le cadre d’une approche globale ». Or il est indiqué quelques lignes plus bas que la France « met en œuvre tous les moyens de nature à permettre la bonne exécution des missions de chacun des acteurs en présence ». Cela signifie-t-il que la France mettra en œuvre tous les moyens de nature à permettre la bonne exécution de sa mission sécuritaire, et qu’elle interviendra au niveau sécuritaire partout où elle le jugera nécessaire ?

Si le besoin de déployer de manière contiguë les différents axes d’intervention – l’action humanitaire, la stabilisation ou le développement – est réel, les députés communistes sont extrêmement méfiants à l’égard de l’irruption dans ce schéma de la question de la sécurité qui, de surcroît, perturbe les principes de neutralité, d’impartialité et d’indépendance des interventions humanitaires. Ce type d’orientation laisse en outre toujours planer le doute sur les intentions de la France lorsqu’elle intervient dans une région du monde.

Car notre pays a souvent eu recours à la ruse de l’ingérence militaire, voire humanitaire, pour sécuriser ses intérêts, comme quand elle se préoccupait de l’uranium au Niger – et que penser de son action en Libye ?

Monsieur le ministre, que vous indiquiez dans le projet de loi que la France se réserve le droit d’intervenir partout ou que vous disiez, comme vous l’avez fait mardi lors de la séance de questions au Gouvernement, que l’aide publique au développement est un outil de puissance au service de la France, tout cela nous inquiète beaucoup au regard du rôle que se donne notre pays, celui d’un État pourvoyeur d’aide publique au développement.

En effet, qui dit instrument de puissance au service de la France dit forcément instrument au service des intérêts de la France. C’est ainsi que nous avons compris les notions d’« exigence accrue vis-à-vis des pays partenaires » et de « logique de réciprocité » mentionnées au paragraphe 26 du cadre de partenariat global.

Par conséquent, pas question pour les députés communistes de voter un projet de loi qui tord l’aide publique au développement pour en faire un instrument de plus au service de notre puissance. Nous ne pouvons utiliser ainsi l’APD pour établir notre puissance sur le dos d’États plus pauvres. À nos yeux, cette aide ne peut se résumer à une projection des égoïsmes nationaux ; elle doit être une péréquation internationale indispensable qui corrige les inégalités mondiales.

La croissance économique, le productivisme et l’extractivisme ont permis aux pays du Nord de s’enrichir considérablement durant près d’un siècle, mais au détriment des pays les plus pauvres de la planète. Aujourd’hui, ce culte de la croissance empêche les pays riches d’avancer vers une société post-capitaliste dont le profit ne serait plus l’alpha et l’oméga. Pourtant, au vu des signaux environnementaux et sociaux, il serait grand temps de le faire.

La croissance économique a eu des effets positifs, c’est certain, mais les effets négatifs deviennent insoutenables. Les limites de la planète ont été atteintes, on ne peut plus continuer ainsi. Il faut désormais travailler à la construction d’un autre avenir. L’aide publique au développement devrait être un outil permettant d’aller collectivement de l’avant pour que toute l’humanité vive correctement sur notre planète.
Pour atteindre cet objectif, il faut tout d’abord que notre conception de ce qu’est la richesse change. Il faut en finir avec la mesure du produit intérieur brut.

Cette religion nous mène droit à la catastrophe. Il faut changer nos indicateurs pour prendre en compte d’autres critères que la seule production de valeur ajoutée. Des statistiques comme l’indice de développement humain devraient être utilisées en priorité pour sortir de cette impasse. Bien d’autres pistes de réflexion et indicateurs existent.

Le projet de loi n’en parle pas alors que la France pourrait utiliser ces indicateurs alternatifs pour mesurer la réussite de ses projets. Ayant ainsi dépassé concrètement le PIB, nous pourrions aider les pays les plus pauvres à se développer autrement, peut-être même en sautant l’étape productiviste et extractiviste dans laquelle nous sommes empêtrés.

Un développement à la fois humain, économique et écologique : c’est ce que nous proposons aussi avec nos amendements sur le commerce équitable ou sur la limitation du poids du libre-échange dans le projet de loi. Les valeurs du texte, au-delà des références aux « objectifs de développement durable », ne devraient pas être économiques ou sécuritaires. Elles devraient être celles de notre devise républicaine, tout simplement.

Si tous ces problèmes nous empêchent de voter le texte tel qu’il nous est présenté ici, certains dispositifs et thèmes abordés dans le cadre de partenariat global restent tout de même très intéressants : la création d’une commission d’évaluation de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités ; la publication d’un rapport annuel sur l’aide publique au développement remis au Parlement par le Gouvernement, rapport qui, même perfectible, aura du moins le mérite d’exister ; une organisation clarifiée du volontariat international ; enfin le dispositif permettant aux autorités organisatrices de la mobilité d’utiliser 1 % de leurs ressources pour mener des projets de coopération dans ce secteur. Cette dernière proposition est une initiative louable, même si vous avez oublié de prendre en compte les autorités organisatrices qui ont instauré la gratuité des transports en commun sur leur territoire – mais il n’est jamais trop tard pour bien faire.

Les députés communistes ne voteront donc pas contre ce projet de loi. Toutefois, en raison de tout ce qui n’y figure pas et en raison de toutes les idées qui y sont présentes et que nous considérons comme nocives, nous ne pouvons pas non plus le voter en l’état. Il vous reste, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, à consentir les efforts nécessaires pour qu’il évolue au cours de la discussion.

Votre propos, monsieur le ministre, montre du moins que vous avez entendu les membres de la commission des affaires étrangères. Vous avez en effet restitué une part des idées que les uns et les autres ont défendues sur tous les bancs.

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, il ne vous reste plus qu’à passer du discours aux actes. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.– M. Bruno Fuchs applaudit aussi.)

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

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