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Préparation au retrait du Royaume-Uni de l’UE

La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq. C’est avec gravité que nous devons examiner ce projet de loi visant à habiliter le Gouvernement à prendre les ordonnances destinées à organiser le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.
Cet acte de désunion entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne marque l’aboutissement d’une avalanche d’échecs à deux niveaux : celui, européen, de la politique menée par l’Union et dont l’une des conséquences est le Brexit ; et celui, français, de la préparation du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, car nous examinons ce texte avec la désagréable sensation que nous sommes dans l’improvisation, sous pression de l’urgence, alors que cette décision est connue depuis 2016 – comme si cette expression majoritaire du peuple britannique relevait alors d’une saute d’humeur que la raison finirait par emporter.
D’aucuns voulaient peut-être, comme pour le référendum français de 2005, utiliser ces deux ans pour chercher le moyen de détourner et de mépriser l’expression d’un peuple souverain.
D’ailleurs, la Commission européenne a été si intransigeante avec le Royaume-Uni lors des négociations, que certains pourraient presque la soupçonner d’avoir tenté de les faire échouer pour aboutir à un Brexit sans accord. Car un Brexit sans accord, punitif, serait l’occasion d’envoyer un message fort aux peuples d’Europe, opprimés par un néolibéralisme érigé en pensée unique par les dirigeants de l’Union européenne. Réfléchissez-y.
Au fond, qu’est-ce qui a amené 52 % des citoyens britanniques à vouloir quitter l’Union européenne ? Personne n’a intérêt à se détourner des causes réelles du divorce, à l’heure où le rejet des politiques libérales conduit le peuple de France à se dresser et à se mobiliser, en gilets jaunes, en gilets rouges, en blouses blanches ou en robes noires. Ne pas tirer les enseignements des expressions et des exigences populaires conduira l’Europe droit dans le mur.
En Europe, le pouvoir politique est concentré dans la Commission, qui regroupe des technocrates non élus, gouvernant sans aucun contre-pouvoir réel, et dont l’ambition est d’appuyer les multinationales, venues se servir sur le dos des peuples européens. L’Europe représente le cadenas de l’austérité budgétaire à vie, dont les critères, tels les fameux 3 % de déficit public maximal imposé par l’Union européenne ont été « inventés en une heure un soir de juin 1981, sur un coin de table », comme l’a expliqué un conseiller du ministère des finances sous l’ère François Mitterrand, et « ne reposaient sur aucune théorie économique ». D’importants conseillers trouvent aujourd’hui que ces 3 % sont une aberration.
Et si l’on veut s’endetter pour préparer la transition écologique, ou pour replacer les services publics au cœur de notre pays, on ne le peut pas : ce carcan à la fois idéologique et budgétaire nous en empêche.
Personne ne peut prétendre aujourd’hui que l’Europe permet aux peuples de mieux vivre. Elle représente la mise en concurrence des peuples entre eux. Le travail détaché en est le phénomène le plus marquant.
Les salariés qui partent travailler pour moins cher dans d’autres pays ont nourri le ressentiment des habitants des pays comme l’Angleterre ou la France, où ils se sont installés. Ma région du Havre en est un exemple. Le populisme a pu faire son beurre de cette directive sur le travail détaché : extrême droite et néolibéralisme seraient-ils les deux faces d’une même pièce ? Auraient-ils des intérêts communs à être l’une face à l’autre ?
Le président Macron passe son temps à créer un clivage entre son camp prétendument progressiste et celui des nationalistes. En réalité, ils se nourrissent des mêmes phénomènes, sans jamais remettre en cause les véritables racines du mal : le capitalisme libéral. Il faut donc rompre avec cette Europe-là, dont nous avons dit dès 2005 que nous la rejetions.
Notre vote et celui des Néerlandais ont été bafoués et, depuis lors, la confiance, rompue, est impossible à restaurer avec l’Union et la Commission européennes – et avec d’autres encore.
Qu’a fait la Commission contre cela ? Elle n’a rien compris, rien entendu, rien appris. Au contraire, elle a poursuivi, en les amplifiant, ses politiques au service des privilégiés et de la finance. Elle a maltraité le peuple grec, et vient aujourd’hui donner des leçons à un gouvernement italien qui n’attend d’ailleurs que cela pour asseoir sa popularité.
Avec les traités qui bâillonnent les peuples, il est impossible de continuer comme cela. Il faut faire souffler un vent d’espoir sur l’Union européenne, en modifiant profondément son orientation et ses traités, pour qu’ils donnent enfin la priorité à la protection sociale des citoyens, à la santé, au logement, à l’éducation, à la culture, à l’agriculture et aux industries européennes.
Il faut que ces domaines soient enfin harmonisés par le haut, avec un investissement massif dans la transition écologique, le tout en s’affranchissant de la tutelle américaine de l’OTAN, pour faire de l’Union européenne un espace hospitalier pour les humains contraints à l’exil. L’arrêt des activités de l’Aquarius, vendredi dernier, est un échec de plus pour cette Europe-là.
Pourtant, l’idée d’une union reste importante, mais ce ne doit pas être cette union-là. Il faut en finir avec l’Europe du moins-disant social, fiscal ou environnemental. L’Europe aurait dû permettre aux peuples d’avoir des droits similaires, tirés vers le haut : salaire minimum dans toute l’Europe, droits égaux à un travail, juste fiscalité des entreprises.
Avec une Europe protectrice, nous n’en serions certainement pas là, à débattre d’un texte sur le retrait d’un État de l’Union européenne. Toujours est-il que la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne s’est imposée comme une bonne idée pour le peuple britannique, à cause des phénomènes que je viens d’énumérer.
Mais si la vague du Brexit a rapidement déferlé à Londres, cette idée a été bien longue à atteindre Paris. La question de l’impréparation des deux majorités présidentielles françaises à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne pose véritablement problème. Depuis la prise de fonction d’Emmanuel Macron, les choses sont allées trop lentement, à l’exception notoire de la finance, puisque nos ministres ont très rapidement proposé des mesures pour « l’attractivité de la place financière parisienne », afin de faire les yeux doux aux traders de la City. Quand on veut aller vite, on le peut !
Les représentants des ministères successivement auditionnés par la commission spéciale nous ont beaucoup inquiétés par des réponses floues, des budgets imprécis et des études manquantes. Car c’est en urgence, dès le début du quinquennat qu’il aurait fallu construire des bureaux de douane et recruter les agents nécessaires à l’anticipation de cet événement.
Ce gouvernement est tellement obnubilé par la baisse de la dépense publique, qu’il a oublié que le Brexit pourrait permettre, en particulier sur le plan douanier, d’augmenter naturellement et mécaniquement les recettes publiques. Mais pour cela, il fallait investir.
Or, pour ne prendre que cet exemple, la douane du port du Havre, dans ma circonscription, ne peut contrôler qu’à peine 0,5 % des 2,5 millions de conteneurs passant par ses quais. Le Havre ne dispose que de 25 contrôleurs, qui peuvent faire environ deux visites par jour et par personne. Les syndicats des douanes que j’ai reçus à l’occasion du projet de loi de finances pour 2019 expliquent qu’à l’heure de la mondialisation folle et dérégulée, nos frontières sont des passoires. Croyez-moi, ils ne m’ont pas dit cela de gaîté de cœur !
Pour le Brexit, l’État a décidé d’embaucher 700 douaniers en trois ans. Mais cette augmentation est très largement sous-estimée puisque plus de 6 000 postes de douaniers ont été supprimés en vingt ans.
Pour résumer la situation, nous voyons que les gouvernements savent détruire la fonction publique, mais qu’ils ont oublié comment recruter et monter en puissance.
Je reviendrai également sur la question des corridors maritimes. Le Gouvernement a totalement zappé cette partie de la négociation et se trouve aujourd’hui obligé de ramer. La représentante de la Commission européenne, lorsqu’elle a été auditionnée la semaine dernière, nous a fait passer l’absence de la France dans les corridors pour un simple détail technique. C’est faux.
Pour se rattraper, le Gouvernement devra faire en sorte que les ports de la façade de la Manche et de la mer du Nord soient intégrés, pour ne pas laisser le commerce avec l’Irlande aux seuls pays du Nord. L’Union européenne serait-elle en train de faire en sorte de n’avoir plus qu’un seul port d’importance continentale à l’échelle communautaire ? Cela dit, cette méthode correspond bien à l’idée que je me fais de la Commission européenne : hors-sol, autoritaire, et à la légitimité populaire inexistante.
Revenons-en à notre texte. Il va de soi que nous ne voterons pas contre, puisqu’il faut bien que la France, dans l’intérêt des citoyens français et britanniques concernés, se prépare aux possibles bouleversements d’un Brexit sans accord. En commission, nous avons choisi la seule solution humaine possible, sans chantage.
Mais c’était il y a trois ou six mois qu’il aurait fallu discuter ce texte ! Encore une fois, c’est ce manque d’anticipation qui oblige à légiférer par ordonnances. Nous aurions pu nous pencher sur des textes complets, afin que la représentation nationale sache comment le Gouvernement compte s’y prendre.
Ce ne sont pas les négociations avec le Royaume-Uni qui ont empêché cela puisque deux des quatre articles du projet de loi portent sur un retrait sans accord. En anticipant les choses, peut-être que les postes vacants auraient été pourvus, les services des douanes mieux préparés, les services vétérinaires formés, les ressortissants de nos deux nations rassurés, et les pêcheurs mieux informés. Les ordonnances très larges et le manque de préparation, y compris sur le terrain, ne nous permettent pas de vous donner un blanc-seing.
C’est pourquoi le groupe de la Gauche démocratique et républicaine s’abstiendra.
Mais, au-delà de cette décision, souvenons-nous des référendums qui, sur les questions européennes, disent tous la même chose. Sinon, attendez-vous à voir déferler sur l’Europe les chasubles jaunes des citoyens en colère. Ceux qui s’expriment aujourd’hui avec force dans notre pays disent avec détermination ce que, pour notre part, nous ne cessons de répéter depuis des années. Il ne peut y avoir de développement sans progrès social. Il ne peut y avoir de richesse sans redistribution, ni de justice sans émancipation. L’Europe ne doit plus être un drapeau pour les capitaux, elle doit devenir une bannière pour ses peuples. À bon entendeur, salut !

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

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