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Pouvoirs publics : contrôle de l’action du Gouvernement et évaluation des politiques publiques (Parlement)

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous réunit n’aurait appelé aucune objection particulière s’il n’avait été amendé en un sens restrictif par la commission des lois.
Nous n’avons jamais nourri d’illusions quant à la volonté du Gouvernement et de sa majorité de renforcer significativement les pouvoirs du Parlement. Nous avions dénoncé à l’époque le tour de passe-passe orchestré à l’occasion de la réforme constitutionnelle : sous prétexte de revaloriser les droits du Parlement, il ne s’était au fond agi que d’accentuer les déséquilibres de notre régime en faveur de l’exécutif.
Rien n’a été entrepris pour rompre avec une pratique qui a fait de la relégation du Parlement le trait saillant de notre vie républicaine, au détriment du respect du pluralisme et de l’équilibre des pouvoirs. Les nombreux obstacles au débat parlementaire qui, sous prétexte de rationalisation, ont contribué à faire du Parlement une simple chambre d’enregistrement, n’ont pas été levés.
Certes, l’article 24 de la Constitution affirme désormais que le Parlement « contrôle l’action du Gouvernement » et « évalue les politiques publiques ». Mais on peut légitimement se demander si ce renforcement des fonctions de contrôle du Parlement n’est pas en quelque sorte conçu comme un cadeau de consolation, compte tenu du constat alarmant qui peut être fait de la dégradation de la condition juridique de la loi.
Il y aurait matière, chers collègues, à s’interroger sur la prolifération des textes de nature réglementaire, qu’ils soient d’origine gouvernementale ou européenne, et sur la façon dont ceux-ci empiètent sur le domaine législatif. L’émergence, ces dernières décennies, de notions telles que la « gouvernance » trahissent cette évolution vers une conception de plus en plus technocratique de la politique, au détriment des exigences de l’expression démocratique.
Il va de soi que nous sommes favorables à ce que le Parlement puisse exercer pleinement ses fonctions de contrôle. Nous avons toujours estimé qu’il serait utile, sinon urgent, de lui permettre d’exercer un véritable contrôle sur l’effectivité de la signature des décrets d’application et sur les activités communautaires, et de lui reconnaître compétence pour autoriser l’engagement de la France dans des opérations militaires extérieures.
La réforme de nos institutions n’a permis de réelles avancées que sur ce dernier point, en reconnaissant au Parlement le droit d’être informé – c’est bien le moins – de toute décision du Gouvernement de faire intervenir les forces armées à l’étranger dans les trois jours suivant le début de l’intervention, mais surtout en soumettant à son autorisation toute prolongation des interventions au-delà du quatrième mois.
Qu’en est-il maintenant des droits de l’opposition ? Force est de reconnaître que, dès l’origine, votre réforme les a réduits à la portion congrue. Finalement, seuls trois droits nouveaux ont été accordés à l’opposition.
La présidence de la commission des finances revient désormais de droit à l’opposition et de fait à un membre du groupe majoritaire de l’opposition. Nous aurions été plus favorables à une réforme davantage soucieuse de pluralisme, reconnaissant à chaque groupe de la majorité ou de l’opposition la faculté de présider au moins une commission.
L’opposition s’est également vue reconnaître le droit à ce qu’un jour de séance par mois soit réservé à un ordre du jour fixé par l’un des groupes qui la composent. Cette nouvelle procédure a toutefois conduit à de déplorables dérives. Nous avons à maintes reprises alerté le président de notre assemblée en faisant des propositions pour mettre un terme à ce faux-semblant, mais, à ce jour, nous n’avons reçu aucune réponse.
Il est pourtant inacceptable que le Gouvernement use et abuse du droit à demander la réserve de vote sur tout ou partie des articles à seule fin de permettre aux députés de la majorité de ne pas siéger lorsque sont débattues les propositions de loi de l’opposition.
Une telle pratique en dit plus que de longs discours sur le prétendu renforcement de la place et du rôle de l’opposition.
Il en va de même pour le prétendu « droit de tirage » reconnu par notre nouveau règlement en matière de création de commissions d’enquête, ce qui n’était pas une mauvaise idée en soi. M. Warsmann nous expliquait, lors des débats sur cette réforme, qu’aucune majorité n’avait alors osé aller aussi loin : « Nous proposons, affirmait-il, que chaque groupe d’opposition ou minoritaire puisse obtenir la création d’une commission d’enquête, sauf si l’Assemblée s’y oppose à la majorité des trois cinquièmes. En d’autres termes, le fait majoritaire ne prévaut plus. »
En réalité, vous savez aussi bien que moi qu’il n’en est rien. Cette prérogative nouvelle demeure purement formelle, pour une raison d’ailleurs très simple : la majorité garde le pouvoir de se prononcer en commission sur l’opportunité de la création des commissions d’enquêtes envisagées.
C’est ainsi qu’en novembre dernier, alors que nous proposions la création d’une commission d’enquête sur les conséquences sur la santé des salariés de l’organisation du travail à France Télécom, la majorité a pu nous imposer d’en modifier l’objet et le périmètre, nous contraignant du même coup à retirer cette proposition. Est-ce là une situation normale ?
Est-ce là la reconnaissance d’un droit nouveau pour l’opposition ?
Il faut ajouter que deux demandes émanant du groupe socialiste ont été rejetées.
Nous sommes, vous le voyez bien, en plein faux-semblant et le texte qui nous est présenté aujourd’hui est dans le droit fil des précédents.
Le texte initial de la proposition de loi du président de notre assemblée prévoyait essentiellement deux mesures, qui ne comportaient a priori pas de motif à contestation.
Il s’agissait tout d’abord de permettre aux organes du Parlement compétents en matière de contrôle et d’évaluation des politiques publiques de convoquer les personnes dont l’audition serait jugée souhaitable, par analogie avec les compétences qu’exercent déjà en la matière les commissions spéciales ou permanentes. Il s’agissait aussi de permettre à ces instances, notamment lorsqu’elles sont sollicitées pour examiner une étude d’impact, d’obtenir communication des informations qui leur sont nécessaires. Nous ne pouvions qu’approuver cette mesure dans son principe.
Il s’agissait ensuite de permettre au président de l’Assemblée nationale, au président du Sénat ou au président de toute instance créée au sein du Parlement ou de l’une de ses deux assemblées, de demander l’assistance de la Cour des comptes pour l’évaluation des politiques publiques. Il importait en effet de se conformer à une décision du Conseil constitutionnel qui imposait au législateur de déterminer les modalités selon lesquelles un organe du Parlement peut demander l’assistance de la Cour des comptes.
Bien que d’une portée limitée au regard des enjeux évoqués précédemment, ce texte aurait pu, je le pense, recevoir l’approbation de l’ensemble des députés s’il n’avait été entre-temps, sous le couvert d’arguments techniques et de bon sens, profondément modifié par la commission dans un sens qui, une fois de plus, dessert l’opposition.
C’est ainsi que, sur proposition de la commission des finances saisie pour avis, la commission des lois a modifié le champ des instances bénéficiant du droit à convoquer les personnes dont l’audition est jugée souhaitable dans le cadre du contrôle et de l’évaluation des politiques publiques en le limitant aux seules instances permanentes créées à cet effet. L’objectif était d’exclure explicitement du bénéfice de l’article premier les missions d’information, qui ont pour unique et principal défaut d’être présidées par des membres de l’opposition. Notre rapporteur reconnaissait lui-même en commission que l’amendement à l’origine de cette restriction n’était « pas neutre ». Cela n’a bien sûr pas empêché la majorité de le voter.
Dans le même esprit, la commission a adopté un amendement qui prévoit que les deux rapporteurs désignés par le comité d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée pour une même évaluation devront travailler conjointement. Chacun aura compris que c’est une manière de s’assurer qu’un rapporteur n’auditionne pas des personnes que l’autre rapporteur jugerait indélicat de convoquer. Il s’agit là aussi d’encadrer et de contrôler étroitement l’activité des députés de l’opposition intéressés en établissant une sorte d’autocontrôle du contrôle.
Pour finir, la commission des lois, toujours sur proposition de la commission des finances, a proposé de restreindre la faculté pour les instances parlementaires de demander l’assistance de la Cour des comptes en permettant aux présidents des deux assemblées d’exercer un filtre systématique des propositions de demandes d’assistance. Je comprends, même si je ne les partage pas, les arguments relatifs au risque d’engorgement de la Cour des comptes – ils intéressent cependant moins les parlementaires que la Cour elle-même –, mais j’estime que la majorité des deux commissions n’aurait pu manifester plus clairement sa volonté de limiter au maximum l’initiative des membres de l’opposition.
Nous avons déjà dénoncé, lors de la réforme du règlement, la stratégie de la majorité qui consistait à n’envisager le renforcement des pouvoirs du Parlement que sous l’angle du renforcement de ses propres pouvoirs, au détriment du pluralisme et aux dépens de l’opposition. Le texte qui nous est soumis aujourd’hui nous conforte, si besoin était, dans notre appréciation. En conséquence, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
 

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Jean-Claude
Sandrier

Député de Cher (2ème circonscription)
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