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Pouvoirs publics : article 65 de la Constitution (Conseil supérieur de la magistrature)

Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, au lendemain de l’affaire dite d’Outreau, diverses propositions ont été formulées, qui visaient à éviter que ne se reproduisent les dysfonctionnements de la justice relevés à l’époque. La commission d’enquête avait notamment proposé de rénover le Conseil supérieur de la magistrature.
Il y a plus longtemps encore, en 1998, Mme Guigou, alors garde des sceaux, nous avait invités à voter une réforme du CSM, ce que nous avions fait. Finalement, en raison d’une inertie toute intentionnelle, le projet de loi organique n’a jamais pu être examiné par le Congrès.
La loi constitutionnelle de 2008, que ce projet de loi organique met en musique, organise la refonte du CSM. Souhaitée et réclamée, sera-t-elle pour autant conforme aux espoirs que nous avons placés en elle ? Nous ne le pensons pas. Sera-t-elle propre à dissiper le scepticisme croissant que notre justice inspire à nos concitoyens, lesquels ont le sentiment que la justice n’est pas la même pour tous, qu’elle est complaisante à l’égard de certains intérêts particuliers et trop souvent dépendante du pouvoir politique ? Nous craignons que non.
D’abord, cette refonte n’est pas en mesure de garantir l’indépendance de l’appareil judiciaire à l’égard du pouvoir politique. Pourtant, le CSM est au cœur de la question de l’indépendance de la justice. En effet, c’est cette institution qui pourrait réaliser cette indépendance avec le plus d’efficience et préserver, pour reprendre les termes de Montesquieu, la justice des influences, de la « puissance exécutrice du pouvoir ». (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Qui aurait peur d’une justice indépendante ? Certainement pas les magistrats, non plus que les justiciables, qui conviennent qu’il ne peut y avoir d’impartialité, de sérénité, d’objectivité sans indépendance des juges, dont le devoir est de protéger les droits fondamentaux des citoyens.
Le Président de la République a annoncé qu’il souhaitait reporter sine die une grande part de sa réforme de la procédure pénale, au premier rang de laquelle la disparition du juge d’instruction, qui devait transférer ses pouvoirs au parquet, subordonné au ministère de la justice. Nous nous en réjouissons, tant cette réforme mettait à mal l’indépendance de la justice.
Pour autant, avec ce seul texte relatif au CSM, le doute sur l’indépendance de la justice demeure. Or, si le doute existe, la confiance des citoyens en la justice en tant qu’institution ne pourra être restaurée. C’est la justice qui dit le droit : elle restitue, ordonne, empêche, répare et participe au sentiment de sécurité ou d’insécurité de nos concitoyens. C’est justement parce que les juges détiennent individuellement et collectivement une partie du pouvoir régalien de l’État qu’ils ont besoin non seulement de moyens pour l’assumer, mais aussi d’une profonde transformation de leur statut et d’une organisation judiciaire qui parie sur leur liberté au lieu de craindre qu’ils n’en abusent.
À notre sens, l’indépendance de la justice doit être placée sous l’autorité d’un CSM indépendant et pluraliste chargé de gérer le corps judiciaire.
Ce n’est pas vers quoi tend la réforme constitutionnelle ni, par conséquent, ce projet de loi organique. Nous le regrettons. Certes, l’élargissement de la composition du Conseil, qui comptera désormais des membres n’ayant pas qualité de magistrat, permettra une gestion plus ouverte de la gestion du corps judiciaire. Considérant que l’indépendance de la magistrature ne peut être assurée par les seuls magistrats sans risque de corporatisme, nous militons de longue date pour un élargissement à des représentants désignés par les trois pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire.
Nous avons toujours plaidé en faveur d’un CSM garant de l’indépendance des magistrats, fondé sur une double légitimité : un président élu par ses membres et des personnalités désignées par l’Assemblée nationale en dehors de ses membres, à la proportionnelle des groupes, pour refléter leur diversité. Cela permettrait d’asseoir la légitimité publique de l’institution dans l’opinion, ce que ne garantit aucunement la désignation des membres par les hautes autorités de l’État telle qu’elle est actuellement prévue. Le mode de désignation que vous nous proposez pour les personnalités extérieures ignore la représentation nationale et fait fi du pluralisme, au mépris de l’équilibre démocratique. Sous prétexte de lutter contre le corporatisme, vous politisez cette institution en la soumettant au fait majoritaire. Six personnalités seront nommées par le pouvoir politique : deux par le Président de la République, deux par le président de l’Assemblée nationale, deux par celui du Sénat.
Comment pouvez-vous prétendre que le choix opéré par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ou par le Président de la République sera dénué de toute intention politique ? Le risque de politisation des nominations est réel, car le dispositif des trois cinquièmes rend leur contrôle inaccessible à l’opposition, sans compter que le garde des sceaux aura, sauf en matière disciplinaire, le droit de participer aux formations du CSM. Ne serait-ce pas pour s’assurer de la politisation excessive de ses membres ?
En outre, pour être vraiment indépendant, le CSM doit exercer pleinement et sans réserve le pouvoir de nomination, d’affectation, de mutation, de promotion de tous les magistrats, y compris ceux du parquet. Or le texte n’impose pas l’avis conforme du CSM, qui constitue pourtant l’une des garanties de l’autonomie des parquets et de la protection de leur statut juridique.
L’avis que donnera désormais le CSM sur la nomination des procureurs généraux près les cours d’appel ne constitue pas une avancée significative, compte tenu de la possibilité pour l’exécutif de passer outre ce simple avis, comme il l’a déjà fait à plusieurs reprises s’agissant des procureurs.
C’est un fait : la Chancellerie conserve la haute main sur la nomination des magistrats du parquet. On ne peut prétendre vouloir garantir l’indépendance de la justice et, dans le même temps, se réserver le droit de faire pression sur ces magistrats en influant sur le déroulement de leur carrière ou en continuant à leur donner des instructions.
Finalement, le seul point de cette réforme qui puisse nous satisfaire et recueillir notre assentiment est la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par les justiciables, qui se voient ouvrir la possibilité de déposer une plainte à l’encontre d’un magistrat.
En effet, le principe d’un contrôle minutieux et exigeant du travail quotidien des magistrats est la contrepartie justifiée des missions et des pouvoirs confiés au Conseil. Cette saisine directe du CSM est une avancée indéniable, renforcée par notre assemblée qui en a amélioré les modalités en permettant au justiciable auteur d’une plainte d’être entendu par la commission d’admission des requêtes.
Le professeur Gicquel a cependant indiqué, à propos de ce type de saisine, qu’il fallait trouver un point d’équilibre afin de ne pas déstabiliser l’institution judiciaire ni livrer les magistrats à la vindicte populaire. Il est à craindre, malheureusement, que la nouvelle procédure ne soit instrumentalisée pour déstabiliser l’institution judiciaire avec, notamment, l’immixtion possible de l’exécutif dans cette procédure.
Pour terminer, je citerai brièvement, mais avec détermination, nos autres points de désaccord.
Nous regrettons que la possibilité soit laissée à l’avocat membre du CSM d’exercer sa profession pendant la durée de son mandat. Nous sommes en effet convaincus de la nécessité du contraire pour garantir la légitimité, la transparence et l’impartialité de ses décisions.
Nous critiquons également le fait que la désignation du secrétaire général du CSM soit laissée au Président de la République, sur proposition conjointe du premier président de la Cour de cassation et du procureur général près ladite Cour.
En tout état de cause, ce qui nous détermine, c’est l’indépendance de la justice à l’égard de l’exécutif. C’est pourquoi nous sommes attachés à l’indépendance du CSM qui décide de l’avancement et de la discipline de près de 8 000 magistrats.
Nous voterons donc contre ce projet de loi organique.
 

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Daniel
Paul

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
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