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Pour une santé accessible à tous et contre la désertification médicale

Rapporteur de la commission des affaires sociales

Nous parlons ce matin d’au moins 11 millions de Françaises et de Français. Ils vivent dans tous nos territoires : en Seine-Maritime, dans toute la Normandie, en Auvergne, en Seine-Saint-Denis, dans les outre-mer, en ville ou à la campagne. Partout, le constat est le même, documenté, chiffré, analysé depuis des années : chez eux, l’offre de soins est déficiente ; ils vivent dans ce qu’on appelle des « déserts médicaux ».

Cette expression est malheureusement entrée dans le langage courant. Nous avons tous entendu, dans nos circonscriptions, les mêmes récits et les mêmes questions. Comment faire renouveler son ordonnance quand il n’y a plus de généraliste ? Comment accéder à un spécialiste quand ce dernier n’a pas de remplaçant ? Comment se faire soigner s’il n’y a pas de médecin près de chez nous ? C’est à ces drames du quotidien que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine veut répondre aujourd’hui.

Cette proposition de loi n’a pas vocation à susciter la polémique, mais plutôt à nous rassembler. Le mouvement des gilets jaunes et le grand débat national ont fait émerger cette question comme l’une des principales sources d’inquiétude des Français. La résolution du problème central des déserts médicaux n’est ni de gauche, ni de droite, comme dirait l’autre. Elle est d’intérêt national.

Quelques chiffres pour nous rendre compte du problème et partager ensemble un diagnostic : la densité médicale n’a cessé de baisser ces dernières années, passant entre 2012 et aujourd’hui de 325 à 318 médecins pour 100 000 habitants ; les inégalités sur notre territoire sont criantes et s’aggravent, les régions du sud de la France bénéficiant d’une densité médicale globalement plus favorable que celles situées au Nord. Les anciennes régions Picardie, Centre et Pays de la Loire ont des densités particulièrement faibles, entre 127 et 130 médecins généralistes pour 100 000 habitants.

De nombreux indicateurs ont été créés pour mesurer ce phénomène complexe. Tous font apparaître une situation très inquiétante. Ainsi, l’indicateur « d’accessibilité potentielle localisée », créé par le ministère de la santé en 2012, montre que le taux de personnes habitant dans un désert médical est passé de 8,6 % en 2015 à 11,6 % aujourd’hui.

Même les zones dites « surdenses » sont concernées, puisqu’elles connaissent une désertification médicale par la carte bancaire. Le constat est frappant ! On observe une corrélation claire, déjà dénoncée par la Cour des comptes : là où il y a davantage de médecins, il y a beaucoup de dépassements d’honoraires. À Paris, qui en compte 765 pour 100 000 habitants, 62 % de médecins sont en dépassement d’honoraires ; dans les Alpes-Maritimes, ce sont 42 % des médecins qui sont en dépassement d’honoraires. Nos concitoyens les plus modestes vivant en zone surdense peuvent donc en réalité ne pas pouvoir payer une consultation chez un spécialiste. Certains territoires pourtant bien dotés doivent donc être considérés comme des déserts médicaux financiers.

Le manque structurel de médecins a des répercussions en cascade, en particulier sur l’hôpital. Presque tous les départements ont connu, au cours des dernières années, une hausse des passages aux urgences. Il existe ainsi un risque plus important de saturation des services d’urgences dans les zones sous-denses.
En outre, nous devons tous être frappés par le taux de vacance des postes de praticiens hospitaliers : il est supérieur à 30 % ! Cela dit quelque chose de la situation très difficile dans laquelle nos hôpitaux se trouvent aujourd’hui après les ravages du covid, le risque de black-out de la loi Rist, et les milliers de lits supprimés.

Le travail que j’ai conduit porte plus particulièrement le regard sur certains territoires encore plus frappés. Dans les outre-mer, la situation est encore plus préoccupante. Dans les zones rurales aussi fortement concernées, les habitants vivent en moyenne deux ans de moins que les urbains.

J’insiste aussi sur le fait que ces difficultés d’accès aux soins touchent en priorité les Français économiquement les plus fragiles : les personnes pauvres ont trois fois plus de risques de renoncer à des soins que les autres. Si elles se situent en zones sous-dotées, ce risque est plus de huit fois supérieur à celui encouru par le reste de la population !

Enfin, je voudrais rappeler que 11 % de nos concitoyens n’ont pas de médecin traitant : cela représente 6 millions de personnes. L’UFC-Que choisir a interrogé des médecins : dans ces zones, 44 % d’entre eux refusaient les nouveaux patients, et on peut les comprendre ! C’est là une véritable bombe sanitaire à retardement.

La situation est donc très grave. Bien sûr, des actions ont été entreprises depuis plusieurs années pour tenter d’endiguer ce phénomène, je ne le nie pas ! La loi de 2019 a notamment transformé le numerus clausus. Ce dispositif malthusien en vigueur depuis 1971 a contribué, au fil des ans, à tarir l’offre de soins : sa réforme est une bonne nouvelle.

Mais je voudrais vous alerter ici sur le fait qu’elle mettra au moins dix ans pour produire ses premiers effets.

Ce n’est qu’en 2030 que nous commencerons à stopper l’hémorragie médicale. Et ce n’est pas parce que le nombre de médecins va augmenter qu’ils vont s’installer automatiquement dans les zones où on a cruellement besoin d’eux ! Sans régulation territoriale, la transformation du numerus clausus risque de ne rien changer à la situation actuelle.

D’autres actions ont été menées, j’en dresse la liste dans le rapport. Elles relèvent pour la plupart de mécanismes d’incitations, et les agences régionales de la santé (ARS) auditionnées et le ministère n’ont pas pu en démontrer clairement l’efficacité.

En parallèle, le plan Ma santé 2022 devait permettre le déploiement de 4 000 assistants médicaux d’ici à l’an prochain. À ce jour, il reste plus de 2 760 équivalents temps plein à créer pour atteindre l’objectif affiché par le Gouvernement ! Vous conviendrez donc que le compte n’y est pas. Et nous n’avons même pas de véritable visibilité sur la répartition territoriale de leur déploiement.

Les collectivités territoriales sont aussi fortement mobilisées, parfois en parallèle de l’État. Cela donne lieu à une concurrence potentiellement délétère. Nous avons vu il y a quelques semaines une commune de la Manche, Barneville-Carteret pour ne pas la citer, confrontée à des exigences totalement irréalistes de la part d’un médecin qui, pour venir s’y installer, voulait le beurre, l’argent du beurre, le sourire de la crémière et tutti quanti.

Nous devons donc remédier rapidement à cette situation ! Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre dix ans de plus.

Notre proposition de loi formule des pistes que je crois réalistes et à même de répondre rapidement à ce problème majeur. Plusieurs leviers s’offrent en effet à nous, et d’abord celui de la formation. Dans le nouveau système de numerus apertus, l’État établit des objectifs pluriannuels d’admission qui tiennent compte des capacités de formation et des besoins de santé des territoires. Il apparaît toutefois que ces besoins restent très supérieurs au nombre d’étudiants formés. C’est pourquoi l’article 1er de ma proposition de loi demande que le nombre d’étudiants formés dépende uniquement du besoin de santé des territoires. Cela doit permettre aux universités de s’adapter pour répondre à ces besoins, et d’inciter l’État à renforcer les moyens qui leur sont alloués.

Toujours en matière de formation, je propose, à l’article 2, de généraliser le contrat d’engagement de service public. Ce dispositif permet aux étudiants de médecine et d’odontologie de recevoir une somme de 1 200 euros brut mensuels pendant la durée de leurs études. Ils s’engagent en contrepartie à exercer dans une zone sous-dense. Ce dispositif mériterait d’être généralisé : aujourd’hui, seulement 7 % des diplômés peuvent en bénéficier et les différentes analyses pointent son modeste succès.

Ensuite, l’article 3 de la proposition de loi traite d’une question récurrente lorsqu’on parle de désert médical : le conventionnement sélectif des médecins. Aujourd’hui, les infirmiers, les sages-femmes et les masseurs-kinésithérapeutes sont sous ce régime : il leur est interdit de s’installer en zones surdenses sauf en cas de cessation d’activité. Cette option a pour l’instant été exclue pour les médecins. Des rapports de nombreuses institutions s’accordent pourtant sur l’idée qu’il s’agit d’une voie d’équilibre qui ne remettrait pas en cause les fondements de la liberté d’installation, tout en permettant d’agir sur la répartition géographique des médecins.

Au groupe Les Républicains, je voudrais rappeler que M. Sautarel, sénateur LR du Cantal, et de nombreux autres sénateurs LR ont déposé en juin dernier une proposition de loi similaire.

Je veux rappeler aussi au groupe de La République en marche que quarante-trois de ses membres ont écrit au ministre de la santé au mois d’octobre pour demander la mise en place d’un dispositif similaire.
Le Président de la République lui-même a dit, il y a une dizaine de jours, que l’accès aux soins était un sujet central et qu’il fallait que les choses bougent. Allez-vous effectivement les faire bouger ? (Mme Caroline Fiat applaudit.)

Les discussions en commission ont montré que beaucoup de collègues ne débattaient pas du dispositif que je propose ! (Approbation sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Il ne s’agit pas de déconventionner des médecins, ni d’empêcher des citoyens d’avoir accès à un médecin conventionné, mais simplement de conditionner l’installation d’un médecin dans les zones surdenses à la cessation d’activité d’un autre médecin.

Je propose aussi de réorienter les financements prévus pour les mécanismes d’incitation à l’installation, qui sont peu efficaces, vers les collectivités territoriales, afin qu’elles puissent créer des centres de santé.
Ma proposition de loi a également pour ambition, dans son article 5, de mieux définir le principe d’égal accès aux soins, en fixant un maximum de trente minutes du domicile pour accéder aux soins ; rappelez-vous que 6 millions de nos concitoyens sont au-delà de cette limite.

Enfin, l’article 6 propose d’élargir le périmètre d’activité des hôpitaux de proximité, en donnant du contenu à leur définition. Il s’agirait notamment de développer les consultations avancées, ainsi que la chirurgie et l’obstétrique : étant donné le constat que je viens de faire, il me semble que nous ne pouvons pas éviter le débat sur ce sujet, que nous ne pouvons pas nous permettre de priver nos concitoyens qui vivent loin d’un centre hospitalier de ces deux activités médicales.

Les travaux en commission des affaires sociales ont montré une chose : le groupe La République en marche rejette en bloc toutes mes propositions, sans formuler aucune alternative !

Il faudrait se contenter d’attendre que l’augmentation du nombre d’étudiants formés produise ses effets. C’est irréaliste et dangereux. Le groupe La République en marche a même rejeté l’un de mes amendements qui reprenait une formulation déjà proposée par ce même groupe en 2019 !

Mes chers collègues, sur ce sujet, nous devons travailler sérieusement et nous rassembler. Cette proposition de loi formule des ambitions réalistes, en se fondant sur un état des lieux bien établi et qui doit nous conduire à l’action. Nous ne pouvons pas rester dix ans de plus dans cette situation.

Nous devons prendre des mesures plus efficaces, afin de garantir à tous nos concitoyens ce droit à valeur constitutionnelle qu’est le droit à la santé. Sans cela, les dix prochaines années seront celles d’une désertification médicale encore plus forte et dans un plus grand nombre de nos territoires. Ce débat est tout sauf un débat technique. Pouvons-nous réaffirmer la présence de la République partout et pour tous ? Voilà la question qui est posée. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI.)

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Sébastien
Jumel

Député de Seine-Maritime (6ème circonscription)

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