Supprimer les allocations aux familles dont un enfant a fait des bêtises, voilà une proposition bien symptomatique du projet du Rassemblement national. Il s’agit de punir les parents pour qu’ils en veuillent à leur enfant, de pourrir une relation sans doute déjà difficile et de ne frapper que les familles, populaires, qui touchent les allocations familiales – absolvant ainsi les délinquants de bonne famille –, de dégrader les conditions de vie d’un enfant pour le châtier et de forcer à le punir plus encore.
Quelle société traite ses enfants de la sorte au lieu de les aimer ? (« Oh… » sur les bancs du groupe RN.)
Nous avons entendu que la proposition de loi prétendait apporter une réponse aux émeutes de cet été.
D’abord, on ferait mieux d’essayer de s’attaquer aux causes de ce malaise, aux fractures de notre société. Ensuite, le texte ne propose qu’une mesure vexatoire totalement inefficace. Enfin, la justice a été saisie et elle a effectué ou effectue son travail. La proposition de loi fait comme s’il n’y avait pas de sanctions, pas de services sociaux, pas de décisions de mise sous protection, comme s’il suffisait de couper les vivres aux gens pour les faire revenir dans le droit chemin.
Cette proposition méconnaît plusieurs principes de droit de notre République. En premier lieu, elle ignore l’individualisation de la peine, qui écarte l’automaticité et permet au juge d’adapter sa décision à la personne.
L’individualisation de la peine consiste à ne pas rendre une personne responsable d’actes qu’elle n’a pas commis ; cela exclut la pratique de la sanction collective, car condamner quelqu’un pour quelque chose qu’il n’a pas fait relève tout simplement de l’injustice. À cet égard, supprimer les allocations familiales en vertu d’une présomption de culpabilité, même en ne supprimant que la part liée à l’enfant concerné, bouleverse toute l’économie familiale.
En second lieu, les ordonnances de 1945 ont consacré le principe de spécialisation de la justice des mineurs, celui de la protection de l’enfance et les principes fondateurs relatifs à l’enfance délinquante. La Convention internationale des droits de l’enfant souligne que les enfants ont droit à la protection. Lorsque les enfants ont des comportements délictueux, c’est qu’ils ne vont pas bien, qu’ils sont en danger, qu’ils se mettent en danger, qu’ils ont besoin d’aide, de soutien et d’accompagnement. Pour cela, les services publics de la protection de l’enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse doivent se voir confier des moyens suffisants. Il existe bien des sanctions possibles. La justice examine toute la situation familiale et interroge les défaillances parentales.
Les parents sont déjà comptables des actes de leurs enfants.
L’allocation familiale a pour but de garantir les droits de l’enfant en permettant aux parents de répondre à ses besoins, d’assurer son épanouissement et son éducation. La supprimer, c’est les entraver dans leur capacité à le faire. Cette allocation n’est pas un bonus, une récompense ou un luxe ; c’est le signe d’une société qui s’engage, qui est au rendez-vous de ses responsabilités auprès de chaque enfant et qui n’abandonne personne.
La République doit fixer des règles, fixer des limites et sanctionner lorsque c’est nécessaire. Elle est d’autant plus forte pour le faire qu’elle garantit les droits, qu’elle n’en fait pas un objet de chantage et qu’elle conçoit la peine dans sa dimension de réparation et d’amendement.
Cette proposition de loi n’aura aucun effet positif. Elle révèle des conceptions éducatives qui datent, comme on dit chez moi, de l’an pèbre. Elle méconnaît les mécanismes complexes de l’éducation. Comme s’il suffisait de vouloir pour son enfant ! On ne fait pas d’un enfant ce qu’on veut, on cherche sa route avec lui. Tant de choses construisent une personne humaine : ce que lui donnent ses parents, ce qu’elle trouve à l’école, ce qu’elle puise dans ses pratiques culturelles et sportives, ce qui se façonne dans les rencontres qu’elle fait.
Rien de bon ne se gagne dans le mépris. Certains veulent une société impitoyable, vengeresse, accablante.
Nous voulons une société qui protège, accompagne et relève, une République qui défend toujours la dignité humaine, une République qui apprend, plutôt qu’à obéir avec docilité, à être libre et responsable. Nous voulons une République civilisée. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES. – MM. Gilles Le Gendre et Erwan Balanant applaudissent également.)