Nous arrivons au terme des débats sur ce texte qui, à l’origine, visait principalement à nationaliser EDF afin de garantir la propriété publique, mais aussi l’unité, du service public de l’énergie. Certes, au cours de la navette parlementaire, le Sénat a réduit la portée de la proposition de loi. Il n’empêche que c’est une brique essentielle que nos deux éminents corapporteurs, que je remercie de leur travail, vont permettre de poser.
Rappelons tout d’abord le contexte qui a présidé au dépôt de cette proposition de loi : la guerre en Ukraine a mis en évidence les dangers de la construction du marché européen de l’énergie. Alors que la production d’électricité en France provient aux trois quarts de nos centrales nucléaires, nous avons subi de plein fouet les conséquences de la volatilité des cours du gaz sur le marché européen de l’électricité. Nos concitoyens ont été pris à la gorge et le Gouvernement s’est trouvé contraint de mettre en place, à la hâte, des mesures d’accompagnement : extension du chèque énergie, bouclier énergétique, élargissement de l’Arenh, mesures ruineuses et inadaptées qui n’ont rien réglé sur le fond.
Le mécanisme d’indexation des prix de l’électricité sur ceux du gaz n’a d’ailleurs pas été remis en cause par l’accord européen dont le Gouvernement et le Président de la République se sont targués il y a peu. Si les plus fragiles devraient, comme cela semble avoir été négocié, bénéficier d’une meilleure régulation, des millions de nos concitoyens – notamment les classes moyennes –, des milliers d’entreprises – y compris des PME –, des milliers de collectivités locales seront encore soumis à une volatilité des prix de l’électricité insupportable et dangereuse.
Dans ce contexte, la maîtrise publique de tout le secteur de l’énergie, des énergies renouvelables au nucléaire, de l’hydroélectricité au gaz vert, est une condition préalable à la souveraineté de notre pays ; elle détermine sa capacité à affronter la bifurcation écologique de notre modèle de développement. C’est aussi la seule manière de protéger nos concitoyens dans un marché où les appétits des actionnaires ne font pas exception à la règle délétère. C’est enfin la condition pour réussir l’électrification de pans entiers de notre économie dans le cadre d’une décarbonation indispensable.
Certes, les députés de la Gauche démocrate et républicaine-NUPES auraient souhaité que deux dispositions issues de nos travaux en première lecture soient conservées. D’abord, la revue des missions assumées par le groupe EDF comme opérateur national – en clair, un grand service public de l’électricité rassemblant production, transport, distribution pour tous les types d’énergie électrique ; ensuite, l’élargissement du champ des bénéficiaires des tarifs réglementés de vente d’électricité aux consommateurs non domestiques de petite taille, en supprimant le critère de puissance souscrite inférieure à 36 kilovoltampères (kVA).
Cependant, ce texte marque une première étape dans la reconquête de notre indépendance et de notre souveraineté énergétiques, et nous le saluons comme tel. Il offre un point d’appui pour la reconstruction d’un grand service public de l’énergie, celui que nos concitoyens et nos entreprises attendent.
Je le répète, la conclusion de contrats à long terme dans le cadre de la réforme du marché européen, que vous avez annoncée, ne règle rien. Elle est tellement efficace qu’au 1er février, les tarifs réglementés ont augmenté de 10 % !
Dès lors, deux conclusions s’imposent et ce sont les deux propositions du texte examiné ce matin. L’exigence, tout d’abord, de protéger EDF de tout risque de démantèlement et d’affirmer son rôle central et stratégique pour notre système énergétique national.
La nécessité, ensuite, de déployer les tarifs réglementés de vente pour garantir à plus de consommateurs – particuliers, entreprises et artisans, collectivités de petite taille – une énergie au juste coût et au juste prix.
La recapitalisation d’EDF aujourd’hui à l’œuvre ne constitue pas une garantie suffisante. Elle ne nous prémunit pas contre les stratégies de morcellement de l’opérateur. Derrière Jupiter, Hercule reste tapi dans l’ombre. Mais en cas de nouvelle modification du capital de l’entreprise, il faudra repasser devant le Parlement ; c’est une marque de respect, et nous en sommes très heureux.
Cette recapitalisation n’offre pas la garantie d’une stratégie financière et industrielle cohérente, mise à mal ces dernières décennies, comme l’a démontré la commission d’enquête présidée par notre collègue Schellenberger.
L’énergie, bien commun, bien fondamental, n’est pas un bien comme un autre. Elle doit être maîtrisée par la nation, par le Parlement, car elle est au cœur de notre capacité commune à imaginer un mode de développement renouvelé, où la transition écologique se conjugue avec l’égalité sociale, où la souveraineté s’affirme dans le cadre d’un grand service public unifié. Nous soutiendrons le texte, tel que les deux rapporteurs nous le proposent. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, SOC et Écolo-NUPES, ainsi que sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.)