Rapporteur de la commission des finances,
Marcel Paul le déclarait en 1945 : « Il faut gagner la bataille de l’électricité […] ! ». Il faut la gagner, parce que l’électricité n’est pas un bien comme les autres, mais un bien commun, qui fait exception. Nous allons, dans quelques instants, gagner une première bataille ; mais du chemin reste à faire pour gagner la guerre.
Ces dernières décennies, certains ont pu croire, à droite comme à gauche, que la bataille pour un service public de l’électricité relevait d’une vision passéiste, et que l’énergie pouvait se vendre en trading haute fréquence sans conséquences. Or aujourd’hui, et c’est une première victoire, tous les bancs de l’Assemblée – du groupe LR, avec les conclusions de la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France présidée par Raphaël Schellenberger, aux députés communistes, en passant par les socialistes, les insoumis et les écologistes – s’accordent pour affirmer qu’un service public de l’électricité est une urgence du temps présent.
C’est une urgence du temps présent pour répondre au réchauffement climatique et à la planification des besoins qu’il exige – la guerre en Ukraine a accéléré notre prise de conscience en la matière. C’est une urgence du temps présent parce que le marché est incapable de relever de façon cohérente et systémique le défi de la décarbonation de la production énergétique. En dépit de l’accord conclu avec l’Union européenne, la construction du marché européen de l’électricité reposera toujours sur la logique du merit order et de la concurrence, qui sont incompatibles avec la nécessité de l’intervention publique dans ce secteur.
Enfin, il s’agit d’une urgence du temps présent pour assurer notre indépendance énergétique. Le dopage artificiel de la concurrence et des marchands alternatifs, profiteurs de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) et mauvais commerçants de l’énergie, a révélé combien le marché est incapable de promouvoir une politique industrielle de long terme et de haut niveau.
Cette urgence est désormais une urgence nationale. Une urgence qui a le visage de ce que Marcel Paul et le général de Gaulle, les communistes et les gaullistes, ont légué, celui d’EDF, devenu le symbole de cette bataille et le fruit de notre histoire, que nous devons chérir et préserver.
Pourtant, force est de constater que depuis de trop nombreuses années, les lois adoptées ont toutes été incapables de fixer une stratégie claire pour l’énergie dans notre pays. En témoigne encore l’absence, à ce jour, d’une loi de programmation énergie-climat, et l’attaque contre notre modèle de sûreté nucléaire. Depuis 2017, le Président de la République n’a cessé de s’en prendre à notre modèle énergétique et à notre patrimoine industriel commun. Pour Emmanuel Macron, EDF n’est pas l’avenir, ne représente aucun avenir défini. La fermeture de Fessenheim, les stop and go salariaux, la menace de privatisation des barrages, les pertes de savoir-faire, l’affaiblissement de la filière nucléaire, le risque du démantèlement de l’entreprise porté à l’époque par Mme Borne et son projet Hercule, en sont autant d’illustrations.
Ces attaques à répétition ont failli, l’hiver dernier, nous plonger dans un blackout électrique. Elles nous ralentissent à présent dans la construction d’un service public unifié de l’énergie capable d’assurer la transition énergétique. Cependant, après des décennies d’errements et les récentes velléités de s’en prendre à l’unité du groupe EDF, il semble que le Président de la République, le Gouvernement et le président d’EDF reconnaissent désormais l’impérieuse nécessité d’une entreprise intégrée. La petite nationalisation d’EDF a posé une première pierre, mais elle demeure insuffisante tant que le Parlement n’est pas assuré de sa souveraineté dans la définition du destin de cette nationalisation.
Nous devons reconnaître que ce texte porte plus loin que sa vocation initiale. Il est aussi une réponse à l’incapacité de prévoir et à l’inaptitude à protéger.
Depuis 2019, en dépit d’un bouclier tarifaire qui n’aura finalement servi qu’à faire les poches d’EDF au service des superprofits de TotalEnergies et consorts, les Français ont absorbé un choc continu des prix. En deux ans, les 21 millions d’abonnés au TRVE ont connu une augmentation des prix supérieure à 39 %. L’enjeu nous oblige donc.
Philippe Brun et moi-même assumons de formuler les choses ainsi : la proposition présentée ce matin est celle du plus petit dénominateur commun. Elle n’en est pas moins utile, très utile même, pour les TPE, les petites communes et, alors que le Salon de l’agriculture a lieu en ce moment, les agriculteurs. J’ai d’ailleurs une pensée pour les éleveurs de vaches laitières de ma circonscription, qui ont été fortement bousculés par l’augmentation des prix de l’énergie. L’adoption de cette proposition de loi sera donc une bouffée d’air pour des milliers de petits artisans, commerçants, agriculteurs.
L’ampleur de la crise nous oblige à être plus ambitieux que les solutions d’épicier proposées par le Gouvernement. (M. le ministre délégué s’exclame.) Il s’agit d’un petit texte, humble. Il n’a pas l’étoffe d’une vraie loi pour le service public, mais il représente un premier pas que, je l’espère, nous franchirons ensemble dans les instants qui viennent. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES, ainsi que sur ceux des commissions.)