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Pn droit à une fin de vie libre et choisie

Faut-il donner la mort aux personnes en fin de vie qui le demandent ? La question n’est pas neuve, elle n’est pas insignifiante et sans doute est-elle plus complexe qu’il n’y paraît. Si elle remue des choses intimes, elle est pourtant bien d’ordre politique, puisqu’elle ne nous concerne pas simplement à titre individuel, mais aussi en tant que société : le rapport à la mort est une question de civilisation.

Nous voudrions à juste raison que la souffrance reste à la porte de nos existences. Et nous savons que, lorsque l’espoir n’est plus de la partie, elle est plus inutile et plus insupportable encore. La société doit à chacune et à chacun cette lutte résolue contre la souffrance, lutte qui ne peut exister que dans un accompagnement plus global, dans le choix plein et entier de ne pas laisser la personne seule dans ce face-à-face. C’est ce qui anime les équipes de soins palliatifs. Cet accompagnement ultime est une réponse humaine et sensible. Nous en avons fini avec l’acharnement thérapeutique. Tout le temps du soin, et au-delà, les soignants se mettent à l’écoute du patient pour soulager avec lui sa douleur.

Nul n’ignore que les produits de la sédation profonde finissent, à certaines doses, par provoquer la mort. Ainsi, et c’est mal connu, il faut rassurer ; la société peut être au rendez-vous de la tendresse et de l’humanité. On peut en réexaminer les conditions, mais une chose est sûre : cette cause mérite des moyens plus forts pour répondre à cette détresse et à ces angoisses. Nous avons insisté sur cet enjeu à chaque nouvelle loi, pour en être réduits, à chaque étape, au même constat d’insuffisance, dans un contexte de compression permanente des dépenses de santé.

Mais il existe des femmes et des hommes qui souhaitent expressément pouvoir décider de mourir – choisir sa mort, c’est-à-dire abréger son existence par une injection mortelle qui convoque la société à travers une tierce personne qui fera le geste de donner la mort. Et voilà que revient cette question, qui n’est pas neuve elle non plus – et ce n’est peut-être pas un hasard : qui sommes-nous pour donner la mort ? N’est-ce pas une transgression ? En effet, du début à la fin de sa vie, choisissant parfois, subissant aussi, nul ne cesse jamais d’être une personne humaine avec sa dignité pleine et entière.

Nous ne sommes pas tous toujours jeunes, bien portants, épanouis, invulnérables, performants… À partir de quand la communauté humaine peut-elle cesser de dire « ta vie vaut plus que tout l’or du monde, nous tenons à toi » ? L’ouverture de cette possibilité n’a-t-elle pas pour conséquence de renvoyer la personne à une vertigineuse solitude, en en faisant reposer tout le poids sur ses épaules ? Ce questionnement s’imposera à tous. Ne minimise-t-on pas la fragilité de cette situation, où sa propre souffrance physique et psychique, son propre désespoir peut-être, vient se nourrir de la douleur et de la tristesse lues dans les yeux de l’entourage ? L’effort à produire ne consiste-t-il pas, à l’inverse, à changer le regard sur la fragilité, sur la fin de vie, à en faire un moment d’humanité en recherchant, si c’est possible, ce que peut être sa fécondité ?

Mais, nous dit-on, c’est une possibilité complémentaire, qui ne s’oppose pas aux soins palliatifs. En réalité, ce sont deux choses tout à fait différentes que de produire un geste pour soulager des souffrances en fin de vie, même en sachant que cela va provoquer la mort, et de produire un geste avec l’intention de la donner ; le sens n’est pas du tout le même. C’est en quoi apparaît une rupture éthique, qui commence par une rupture épistémologique nette pour le personnel soignant et accompagnant. C’est d’ailleurs pourquoi, dans les faits, cela s’oppose. La question risque de devenir : quand est-ce que l’on déclenche ? Et quel sens prendra le dessus ?

Comment évoquer sans être obscène l’inquiétude que peut inspirer la toile de fond : les logiques d’économies budgétaires dans le système de santé, la pression pour libérer des lits, le discours sur le trou de la sécurité sociale et le coût du vieillissement. Je sais bien que là n’est pas l’objectif poursuivi avec cette proposition de loi, mais il serait fou d’ignorer le poids de cette pression sociale.

Si d’autres pays se sont engagés dans cette voie, nous ne pouvons raisonner selon des logiques de dumping, qui ruineraient toute démarche éthique. Plus qu’un droit, ne risquons-nous pas d’ouvrir un gouffre ? Car, au nom de ce droit de choisir sa mort, la société pourrait être convoquée demain bien au-delà de ce que ce texte définit déjà de façon extensive. Le sentiment de puissance qu’a développé l’humanité produit déjà des catastrophes écologiques et anthropologiques. Choisissons bien notre modernité et approfondissons la réflexion. La question est essentielle : quelle humanité voulons-nous être ?

Je devais à celles et ceux qui m’ont élu de donner sans tricher mon point de vue. Chacune et chacun, dans le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, répondra à sa façon à cette proposition, qui pourrait d’ailleurs, si nous voulons poursuivre le débat – pourquoi pas ? –, faire l’objet d’une consultation démocratique. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LaREM, LR et Dem. – Mme Muriel Ressiguier applaudit également.)

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Pierre
Dharreville

Député des Bouches-du-Rhône (13ème circonscription)

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