Je ne fais que passer, madame la présidente. On ne vous a pas prévenus ? Il ne faut pas rester là, messieurs-dames, la discussion n’aura pas lieu ; elle a déjà été largement escamotée, mais là…
Je croyais que vous étiez au courant : la discussion n’aura pas lieu. La guerre de Troie, elle, a bien eu lieu, d’après Homère ; ce fut sans doute un terrible drame. Mais la discussion, elle, n’est pas près de revenir, comme Ulysse !
Monsieur le ministre, avez-vous lu ce texte magnifique de Simon Abkarian,
Hélène après la chute ? J’en profite pour citer des auteurs, parce que nous avons besoin des pas de côté et de l’emphase que permet la littérature ; nous avons besoin de sa vérité pour réenchanter la politique, pour qu’elle demeure ce geste individuel et collectif d’émancipation, ce geste de dépassement qui permet à l’humanité de se réaliser.
Dans ce texte, alors que Troie est en cendres, Ménélas, dans un moment de lucidité douloureuse, a cette formule qui m’a frappé : « Parler, c’est guérir ». Si c’était vrai, cela vous arrangerait sans doute, monsieur le ministre, mais cette formule signifie avant tout qu’il faut parler pour guérir.
Malheureusement, nous ne parlerons pas. Alors que le système de santé et de protection sociale est bien malade, nous ne parlerons pas. C’est un problème que nous ne puissions pas discuter de votre projet, de votre politique du tournevis selon nous désastreuse, qui se répète chaque année. C’est un problème, parce que si nous ne parlons pas ici, où parlons-nous dans notre pays ? Où parle-t-on du monde, du réel qui finira par vous rattraper ? Où se prennent les décisions ?
Détrompez-vous, nous ne sommes pas désabusés, nous ne renonçons à rien ; nous sommes déterminés et combatifs, comme toujours. Mais je refuse de vous aider à sauver les apparences ; je refuse de banaliser ce moment trouble et brutal.
Puisque vous êtes là, je vais tout de même vous parler un peu, puisqu’il paraît que cela contribue à la guérison. Que reste-t-il à discuter ? Formellement, rien ; mais en réalité, tout. Il reste à discuter de la situation de la sécurité sociale, presque entièrement étatisée et massivement privée de cotisations, parce que vous avez décidé de comprimer les dépenses de santé, en continuant à demander des économies en dépit de leur augmentation tendancielle. Ce n’est pas la première année et cela finit par lézarder tout l’édifice.
Tout est à discuter, parce que face à la crise de l’hôpital public, aux déserts médicaux et aux défis de l’autonomie et du grand âge, il est nécessaire de changer de logiciel et d’investir massivement dans les moyens humains.
Tout est à discuter, parce que la financiarisation gagne du terrain et qu’il faudrait démarchandiser certaines réponses aux besoins de santé, comme le médicament. Tout est à discuter, parce que ce budget prévoit un droit à la retraite raboté, alors qu’il faudrait le rabioter.
Tout est à discuter, parce que nous avons besoin d’une ambitieuse politique de santé au travail. Tout est à discuter, parce que la société, fragilisée, précarisée et fracturée a besoin d’une grande politique de solidarité.
Tout reste à discuter.
« Parler, c’est guérir », écrit le poète. Finalement, j’ai un peu parlé, comme je l’avais fait l’an dernier, en expliquant que je ne voulais pas déranger. Au fur et à mesure du discours, votre prédécesseur, monsieur le ministre, s’enfonçait dans son siège ; il a fini par y disparaître, lui aussi, au moment où le 49.3 nous effaçait, nous qui sommes le Parlement. Cela mériterait que nous en tirions quelques leçons.
Malgré vos 49.3, il existe une autre vision du monde et de son devenir. Il fallait que ce soit dit, parce que nous en aurons besoin pour guérir, vite.
Madame la présidente, je ne faisais que passer ; je file.
(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)