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PLFSS pour 2014

La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.
Mme Jacqueline Fraysse. Cette année encore, comme déjà l’an dernier, le PLFSS ne rompt pas avec ceux votés lors des deux précédents quinquennats. Dans la continuité du projet de loi sur les retraites, vous refusez toujours d’envisager de nouvelles modalités de financement de la protection sociale, ce qui vous conduit à réduire les budgets.
Cependant, si l’attente était supportable l’an dernier, quelques mois après le retour de la gauche au pouvoir, elle n’est aujourd’hui plus acceptable.
Concernant le financement, tout d’abord, le maintien d’un déficit important de la Sécurité sociale en 2014 montre que la maîtrise comptable des dépenses ne règle rien.
Ce déficit devrait atteindre 13,2 milliards, selon les prévisions du Gouvernement. Notons que s’il est relativement peu élevé au regard de l’ensemble du budget de la Sécurité sociale, puisqu’il en représente environ 3 %, ce qui, au passage, et à la différence de l’État, reste dans les clous du Traité de Lisbonne, il est cependant persistant, puisque depuis douze ans aucun budget de la Sécurité sociale n’a été à l’équilibre.
Plusieurs raisons expliquent cette situation. Tout d’abord, ce budget est systématiquement bâti sur des prévisions de croissance irréalistes, comme nous n’avons pas manqué de le faire remarquer l’an dernier. Le Gouvernement tablait sur une croissance de 0,9 % en 2013. Au final, elle ne devrait pas dépasser 0,1 %, concrétisant nos craintes que la contraction des dépenses publiques que vous avez imposée ne tue la croissance et l’emploi.
Ainsi, le déficit pour cette année 2013 va être accru de 1,7 milliard par rapport à vos prévisions, et ceci bien que les dépenses soient inférieures aux objectifs fixés pour chacune des branches de la Sécurité sociale.
Cette situation vient confirmer ce que nous ne cessons de répéter : le déficit de la Sécurité sociale n’est pas dû à un excès de dépenses, mais bien à une insuffisance de recettes. C’est dû au chômage et aux fermetures d’entreprises qui se poursuivent, aux exonérations de cotisations sociales patronales que vous maintenez sans aucun contrôle, à votre refus persistant de faire contribuer tous les revenus, et notamment ceux des placements financiers, à la protection sociale.
Enfermés dans ce carcan libéral qui ne vous distingue plus des choix opérés par la droite, vous maintenez un ONDAM insuffisant pour répondre aux besoins de santé et un ONDAM hospitalier qui ne risque pas de permettre aux hôpitaux publics de surmonter leurs difficultés actuelles, puisqu’il se situera à 2,3 % alors que les dépenses des hôpitaux devraient augmenter de plus de 3 %.
Lorsque Édouard Couty avait rendu les conclusions de sa mission sur l’avenir de l’hôpital, j’avais salué un travail sérieux, fruit d’une large concertation, et qui prenait le contre-pied de la loi HPST en proposant de revenir sur la généralisation aveugle de la T2A.
M. Couty souhaitait que l’État « fixe les objectifs et rende des arbitrages politiques », ce qui me semble essentiel mais nécessite évidemment de prendre des décisions d’ordre financier. Or, non seulement la réforme de la T2A ne se fait qu’à dose homéopathique mais, cette année encore, le Gouvernement fixe un ONDAM hospitalier inférieur à l’évolution des dépenses des hôpitaux. Avez-vous décidé de tourner le dos aux conclusions de ce rapport qui, pourtant, était consensuel, tout au moins à gauche ?
Certes, ce PLFSS comporte quelques points positifs. On peut ainsi se réjouir de la réforme des modalités de financement de la Haute autorité de santé qui, dorénavant, ne sera plus alimentée par des taxes en provenance des laboratoires pharmaceutiques sur les produits desquels elle est amenée à se prononcer, ce qui lui laissera davantage d’indépendance.
Je me réjouis également de l’amélioration de la protection sociale des femmes médecins ou auxiliaires médicales en cas de grossesse, de l’expérimentation de la délivrance de médicaments à l’unité afin de vérifier si c’est une mesure utile ou encore du renforcement de l’aide au sevrage tabagique à destination des jeunes.
De même, si l’on peut se réjouir de la poursuite des expérimentations sur les nouveaux modes de rémunération alternatifs au paiement à l’acte, qui favorisent le travail collectif et permettent de rémunérer les actes de santé publique et de prévention, il convient de faire remarquer que cette expérimentation dure depuis maintenant cinq ans, puisqu’elle a été demandée en 2008. Il serait peut-être temps, aujourd’hui, de tirer quelques conclusions et d’oser avancer plus résolument, bien sûr sur la base du volontariat, vers d’autres modes de rémunération que le paiement à l’acte.
De même, on peut regretter que la réforme de la tarification à l’activité des établissements de santé prévue à l’article 33 soit cantonnée à certaines cliniques privées, les ex-hôpitaux locaux étant financés jusqu’en 2015 et de façon dérogatoire par une dotation annuelle de financement.
On reste là encore très loin des préconisations du rapport Couty concernant la nécessité d’une profonde réforme du financement des hôpitaux publics et, notamment, des grands établissements comme l’AP-HP, les Hôpitaux civils de Lyon ou l’Assistance publique de Marseille, qui sont également soumis à des contraintes de service publics fortes – certes différentes des établissements situés dans des zones isolées ou peu denses mais tout aussi incompatibles avec un financement par tarification à l’activité.
Il en est de même concernant la tarification au parcours pour les maladies chroniques, qui figure également dans les préconisations du rapport Couty. On peut s’étonner que l’expérimentation prévue à l’article 34 se limite à l’insuffisance rénale chronique et au traitement du cancer par radiothérapie, laissant ainsi de côté la grande majorité des maladies chroniques et notamment le diabète, qui constitue un vrai problème national.
Enfin, dans un autre registre, celui des prestations familiales, le recentrage opéré sur les familles les plus modestes pourrait être considéré comme une mesure positive s’il ne se faisait au détriment des catégories moyennes et du principe d’universalité des prestations sociales.
Plus généralement, et votre décision récente de diminuer la part des employeurs dans le financement de cette branche le prouve, on peut craindre que vous ne prépariez le terrain à la fiscalisation de la branche famille…
M. Bernard Accoyer. C’est sûr !
Mme Jacqueline Fraysse. … et à sa sortie de la Sécurité sociale, autrement dit, au transfert de son financement par les cotisations sociales patronales et salariés vers les seuls ménages au moyen de l’impôt, ce qui n’est pas acceptable parce qu’il s’agit, là encore, d’un réel recul social.
M. Marc Dolez. Très bien !
Mme Jacqueline Fraysse. Mais, au bout de compte, ce qui ressort le plus fortement de ce PLFSS, ce sont ses manques.
Certes, ce texte ne prévoit pas ouvertement de nouvelles mesures dites de « responsabilisation des patients », peut-être parce qu’il est enfin admis que s’agissant de personnes ayant besoin de soins, le problème n’est pas de les responsabiliser mais de les soigner.
Mais en décidant de financer le forfait médecin traitant par une taxe sur les organismes complémentaires d’assurance maladie, vous savez que son montant sera inévitablement répercuté sur les cotisations facturées aux assurés. Surtout, vous ne revenez pas sur dix années de désengagement de l’assurance maladie organisé par la droite à coup de franchises médicales, de forfaits hospitaliers et de déremboursements.
M. Bernard Accoyer. Oh ! Jusque-là, vous aviez été gentille ! (Sourires.)
Mme Jacqueline Fraysse. C’est pourtant là un obstacle essentiel à l’accès aux soins.
Quant à la prévention, la seule mesure prévue dans ce texte concerne l’aide au sevrage tabagique à destination des jeunes. C’est bien, mais c’est aussi dire à quel point la médecine préventive est et restera encore le parent pauvre de notre système de santé.
Rien non plus, dans ce registre, face à l’impact négatif de la pollution environnementale sur la santé, pourtant aujourd’hui scientifiquement prouvé et dernièrement encore confirmé par l’OMS et par le Commissariat général au développement durable, lequel estime que la pollution de l’air coûte entre 700 millions et 1,7 milliard par an au système de soins en France.
Pourtant, aucune mesure n’est prévue pour lutter contre ce fléau, absence qui fait suite à celle des associations de santé environnementale lors de la Conférence sur l’environnement et qui laisse mal augurer du contenu de la grande loi de santé publique que vous nous promettez. Or, nous n’avancerons pas sans l’expérience et la parole citoyenne jointe à celle des experts.
Un autre manque concerne l’industrie pharmaceutique, qui semble passer à travers les gouttes. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).
Je vois que la sensibilité est toujours très vive, à droite, quand on parle de l’industrie pharmaceutique ! Très bien ! Au moins, cela vous réveille ! (Rires.)
M. Denis Jacquat. Nous n’étions pas endormis ! Votre première partie était très bonne, et voilà que vous dérapez !
Mme Jacqueline Fraysse. La fusion de la taxe sur le chiffre d’affaires des laboratoires et de la taxe sur les premières ventes de médicaments, source de tant d’inquiétudes pour les entreprises concernées mais aussi pour mes collègues de droite, ne leur coûtera rien si l’on en croit l’étude d’impact et les propos rassurants de M. Cazeneuve.
Si le Gouvernement n’aggrave pas les taxes sur les médicaments, il ne fait rien non plus pour aligner leur prix sur celui pratiqué chez nos voisins, alors même que le rapport de la députée européenne Michèle Rivasi rendu public avant l’été montre que la Sécurité sociale pourrait économiser 10 milliards si elle alignait les prix de ses médicaments sur celui des pays voisins de l’Union européenne.
M. Jean-Pierre Door. Et s’il n’y avait plus de malades, nous serions tranquilles !
Mme Jacqueline Fraysse. Il y a là un beau gisement d’économies que vous laissez inexploité. Pourquoi ? Vous m’avez répondu en commission que les professionnels ont tendance en France à prescrire plus systématiquement de nouvelles molécules en première intention.
Je ne saurais me satisfaire de cette explication qui montre surtout l’excellence du lobbying pratiqué par les laboratoires auprès des médecins et ses effets pervers, mais n’explique pas pourquoi les mêmes médicaments sont vendus plus cher en France qu’en Allemagne par exemple.
Et si l’on peut comprendre que la France veille au maintien et au développement de son industrie pharmaceutique, ce n’est évidemment pas le rôle de la Sécurité sociale que de la soutenir. J’ajoute que les résultats financiers des laboratoires confirment leur bonne santé, d’autant que s’y ajoutent les millions d’euros qu’ils vont percevoir au titre du CICE.
Concernant la santé des salariés, les mauvais signes en direction des employeurs s’ajoutent à un manque de volontarisme manifeste. En effet, après avoir promis au MEDEF, dans le cadre de la réforme des retraites, de compenser le coût du volet pénibilité, déchargeant ainsi de fait les employeurs de toute responsabilité concernant la santé de leurs salariés, le Gouvernement cautionne le sous-financement de la branche accidents du travail-maladies professionnelles.
M. Bernard Accoyer. Ce n’est pas vrai.
Mme Jacqueline Fraysse. Alors que le rapport Diricq situe entre 587 millions et 1,10 milliard le coût pour le régime général de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, vous maintenez une compensation très en-dessous de la réalité que tout le monde connaît. Est-ce, là encore, pour préserver la compétitivité des entreprises, une obsession qui décidément hante davantage le Gouvernement que celle de la vie et de la santé de nos concitoyens ?
Enfin, d’autres mesures sont inacceptables. Il en est ainsi du siphonage des excédents du fonds pour l’emploi hospitalier au profit de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales.
M. Bernard Accoyer. C’est vrai.
Mme Jacqueline Fraysse. Il est en effet incompréhensible que les hôpitaux dont la situation financière est déjà délicate participent au financement d’une caisse de retraite qui, avant compensation aux autres régimes, et notamment du privé, est excédentaire.
M. Bernard Accoyer. Oui.
Mme Jacqueline Fraysse. Autre siphonage, celui des excédents de la Caisse d’assurance maladie des industries électriques et gazières, véritable détournement des cotisations des salariés et des pensionnés.
Mais en matière de mesure inacceptable, le summum est atteint avec la concrétisation de la promesse faite au patronat de compenser la hausse des cotisations décidée dans le cadre de la réforme des retraites au terme d’un complexe jeu de tuyauterie budgétaire qui revient, au bout du compte, à désengager le patronat du financement de la politique familiale.
M. Bernard Accoyer. Vous allez un peu vite en besogne.
Mme Jacqueline Fraysse. Pour synthétiser et pour conclure, avec ce PLFSS, le Gouvernement était confronté à un choix : revenir sur les reculs imposés depuis dix ans par la droite en développant une politique audacieuse de justice fiscale et de progrès social en direction de nos concitoyens permettant d’améliorer l’accès aux soins, la prévention et la santé des salariés ainsi que les prestations familiales ; ou bien poursuivre sur la voie ultralibérale, répondant ainsi aux injonctions de la Commission européenne, en cherchant à réduire à tout prix le déficit budgétaire sur le dos de nos concitoyens sans commencer à mieux répartir la richesse nationale entre les salariés et les prélèvements sur les entreprises.
C’est hélas ce choix que vous avez fait, un choix dans lequel, sincèrement, nous ne nous retrouvons pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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Jacqueline
Fraysse

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