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Discussions générales

PLFR pour 2012 (nouvelle lecture)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Sansu.
M. Nicolas Sansu. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, le collectif budgétaire dont nous entamons la discussion en nouvelle lecture comportait, dans sa configuration initiale, des dispositions qui auraient pu conduire le groupe GDR à l’approuver. Je pense notamment à la série de propositions destinées à lutter contre la fraude et l’évasion fiscale, qui représentent une première étape dans la mise en œuvre des préconisations de la commission d’enquête constituée à l’initiative de notre groupe au Sénat, et dont le rapport a été adopté à l’unanimité. Mais l’introduction de plus de cinquante amendements d’origine gouvernementale, notamment de ceux visant la mise en œuvre des dispositions clefs du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, a profondément modifié la nature de ce texte. Il y a tout d’abord l’instauration du fameux crédit d’impôt de 20 milliards d’euros, compensé par un transfert de charges sur les ménages via la hausse du taux normal et du taux réduit de TVA.
Alors que le Gouvernement et le Président de la République lui-même ont maintes fois écarté une hausse globale de cette taxe, le taux normal passera au 1er janvier 2014 de 19,6 % à 20 % et le taux intermédiaire de 7 % à 10 %, au détriment des services à la personne, du logement social, des artisans du bâtiment et du cinéma.
On nous annonce que l’on reviendra sur cette répartition de l’augmentation de TVA de 7 milliards d’euros en 2013. Mais alors, pourquoi se précipiter ?
Alors que le nombre de chômeurs explose, que des millions de salariés subissent depuis des années la stagnation salariale et connaissent des difficultés croissantes à boucler les fins de mois, à mettre de l’essence dans le réservoir, à payer le loyer ou les études des enfants, cette décision est pour nous incompréhensible. Elle est d’autant moins compréhensible que, comme nous l’avons appris à la fin de la semaine dernière, il n’y aura pas d’autre coup de pouce pour le SMIC que la revalorisation automatique de 0,3 % au 1er janvier.
C’est une déception et un mauvais service rendu à l’économie du pays qui nous conduit inéluctablement à la récession. Le Gouvernement en a fait lui-même l’aveu en baissant les prévisions de croissance pour 2013. Les faits sont têtus : la stagnation des salaires étouffe l’économie. Cette tendance se vérifie dans tous les pays qui ont fait le choix de l’austérité et du gel des salaires. Tous, sans exception, voient leurs perspectives de croissance et de développement s’assombrir. Il est temps de changer de logique.
La création pour toutes les entreprises du crédit d’impôt compétitivité emploi, d’un montant de 20 milliards d’euros, accompagné d’une hausse de la contribution des ménages, symbolise le retour des vieilles recettes, celles que la droite avait d’ailleurs prévu de mettre en œuvre avec la TVA dite sociale. Laissez-moi vous dire que nous sommes extrêmement surpris de ce changement de position, réalisé entre juillet et novembre. Nous sommes surpris que le groupe SRC accepte de voter une disposition qu’il avait abrogée en juillet et que les groupes UMP et UDI ne votent pas cette disposition alors même qu’ils l’avaient prévue quand ils étaient dans la majorité !
Il y a manifestement, entre le collectif de juillet, le projet de loi de finances pour 2013 et ce collectif, un problème de cohérence. On nous explique que le coût du travail, trop élevé dans notre pays, serait la seule cause de perte de compétitivité de nos entreprises. C’est faux, et je vais vous donner quelques chiffres. La part de la valeur ajoutée préemptée par les salaires et les cotisations sociales est plus faible aujourd’hui qu’il y a trente ans. En 1982, salaires et traitements bruts mobilisaient 55,5 % de la valeur ajoutée produite et les cotisations sociales en retenaient 19,4 %. En 2000, la part des salaires est passée à 48,5 % de la valeur ajoutée et celle des cotisations sociales à 16,5 %. En dix-huit ans, nous avons donc vu le bloc « salaires et cotisations » passer de 75 % de la valeur ajoutée produite par le travail à 65 %. Regardons maintenant les dividendes et revenus de la propriété : en 1982, les sociétés distribuaient 16,5 % de la valeur ajoutée en revenus du capital ; en 2000, ce taux atteignait près de 25 % ; en 2011, il s’est établi à 31,7 %. Le montant des dividendes et revenus distribués dépasse, aujourd’hui, celui des cotisations sociales !
Il est rarement fait état de ces observations dans les analyses de la situation économique. Et pourtant, il suffit de jeter un œil sur les chiffres publiés, la semaine dernière, par le cabinet Proxinvest sur la rémunération des dirigeants des entreprises du CAC 40 pour prendre la mesure de l’ampleur du problème et constater la concentration scandaleuse des richesses dans les poches de quelques-uns. C’est ainsi que Maurice Lévy, patron de Publicis, a empoché l’an passé, grâce au versement anticipé de ses bonus différés, 19,6 millions d’euros de rémunération. Carlos Ghosn, le patron de Renault, qui tente d’arracher des accords improprement dits de compétitivité dans ses usines pour baisser le coût du travail, a vu sa rémunération croître de 38 % et atteindre 9,7 millions d’euros. Pour la première fois, en 2011, le salaire fixe moyen des dirigeants du CAC 40 a franchi le million d’euros. Pourquoi ne pas indexer le SMIC sur l’augmentation des salaires des patrons du CAC 40 ? Cela représente, pour eux, 5 % de plus, cette année. Pourquoi ce qui est possible pour un grand patron ne pourrait-il pas l’être pour un smicard ?
Ces chiffres méritent d’autant plus d’être rappelés que ces mêmes dirigeants du CAC 40 ont adressé, il y a quelques semaines, dans les colonnes d’un hebdomadaire dominical, une lettre ouverte au Président de la République, François Hollande, pour revendiquer une baisse du coût du travail d’au moins 30 milliards d’euros en deux ans, le transfert de 15 milliards d’euros de cotisations vers la TVA et une baisse drastique de 15 milliards d’euros des dépenses publiques. Hélas, ils ont été entendus !
Vous comprendrez que nous ne croyions aucunement aux vertus du recours au crédit d’impôt pour venir au secours des entreprises et les rendre plus compétitives. Ce qu’il faut, ce n’est pas alléger le coût du travail, mais réduire le coût du capital. Contrairement à une idée reçue, la dégradation de la situation de nos entreprises résulte, non pas d’un coût salarial trop élevé, mais d’une multitude de facteurs, au premier rang desquels la financiarisation, la surévaluation de l’euro à partir de 2002-2003 et les difficultés accrues d’accès au crédit depuis le début de la crise. Si nos entreprises peinent à investir et à créer des emplois, ce n’est pas non plus du fait de taux d’imposition trop élevés. En effet, les si nombreuses, trop nombreuses, niches fiscales et sociales permettent aux grands groupes, notamment, d’échapper à l’impôt. Jugeons-en : le montant des exonérations fiscales dont bénéficient les entreprises s’élève, aujourd’hui, à 55,74 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter les 30 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales, dont 22 milliards au titre des exonérations Fillon.
En trente ans de politiques libérales, de baisse de l’impôt sur les sociétés, de baisse puis de suppression de la taxe professionnelle, de gel puis de réduction des cotisations sociales, de flexibilité et de précarité accrues du travail, quels ont été les effets sur la croissance, l’emploi, l’investissement, l’innovation ? En dix années de ces politiques, les chiffres sont éloquents : un million de chômeurs en plus, 720 000 emplois supprimés dans l’industrie, une dette publique qui a quasiment doublé, passant de 900 à 1 700 milliards d’euros, et plus de 8 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté avec moins de 964 euros par mois, soit 300 000 de plus qu’en 2007. En clair, les choix menés depuis trente ans nous ont conduits là où nous en sommes. Pourquoi proposer, aujourd’hui, de reconduire des recettes qui n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité ?
En plus d’être inefficace, le crédit d’impôt compétitivité est injuste et incohérent. Injuste, car il se paie d’une hausse de la TVA et d’une nouvelle baisse des dépenses publiques, dont on néglige, une fois de plus, l’importance dans la vie économique et le développement de la richesse. Injuste encore parce qu’il s’applique à toutes les entreprises sans distinction, alors que chacun sait que c’est l’industrie qui a besoin d’être soutenue, et non les banques ou les assurances. Qui fera croire que les entreprises du CAC 40 ou encore les banques et les assurances ont besoin de ce crédit d’impôt ? Il aurait été beaucoup plus judicieux de prévoir une modulation des cotisations et de l’impôt sur les sociétés en fonction de l’utilisation du résultat. Il est évident que les PME, notamment industrielles, doivent être soutenues. Cela pourrait se faire par une pénalisation des grands groupes qui spéculent contre l’emploi et contre notre pays.
Ce crédit d’impôt est également incohérent, car il crée des différences de traitement qui n’ont pas même été anticipées entre les cliniques privées, qui en bénéficieront et les hôpitaux qui n’en bénéficieront pas, entre les sociétés anonymes de HLM et les offices publics.
Monsieur le ministre, personne ne peut se satisfaire de la situation actuelle et son cortège de souffrances, situation qui, si aucune réponse concrète n’est apportée, risquerait de renforcer les idées de repli, les solutions individuelles, voire les haines et l’exclusion.
Nombreux sont celles et ceux qui, dans la majorité politique du 6 mai, vous invitent à changer de cap et à opter pour une véritable refonte de la fiscalité, pour une nouvelle répartition des richesses en faveur des salariés, des retraités et des demandeurs d’emploi.
Ce n’est pas le chemin que vous semblez emprunter. En conséquence, les députés du front de gauche ne peuvent que confirmer leur vote de la première lecture en s’opposant à ce texte.

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Nicolas
Sansu

Député de Cher (2ème circonscription)

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