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« Nous devons sortir de cette addiction au capitalisme financier qui fait tant de mal »

Le projet de loi de finances pour 2025, présenté par le gouvernement de M. Barnier, est à l’image de l’attelage baroque issu des élections législatives, où l’impéritie le dispute à la cacophonie. Je ne reviens pas sur les curieuses passes d’armes qui ont eu lieu en commission des finances, où les fondamentalistes macronistes se sont écharpés avec les laxistes libéraux, chacun renvoyant à l’autre le péché mortel, qui de l’augmentation des impôts, qui de la responsabilité de la dette. Cela prêterait à sourire si les Français n’étaient pas les dindons de cette farce.

Certains nous expliqueront qu’un déficit de 5,2 points de PIB serait la onzième plaie d’Égypte, alors qu’un déficit de 4,9 nous mènerait au jardin d’Éden. (M. Jean-Philippe Tanguy sourit.) Fadaises que tout cela ! Derrière les chiffres, il y a des femmes et des hommes, la satisfaction ou non des besoins sociaux et humains et, tout simplement, notre capacité à faire société, dans un monde où les guerres font rage et où la préservation de la paix et de la vie devrait être notre seule boussole.

La France est un pays riche, immensément riche, et s’abriter derrière le déficit et la dette, comme le font les forces macronistes, les forces de droite et d’extrême droite (« Ah ! » sur quelques bancs du groupe RN) pour tenter de corseter le partage de ces richesses est une technique vieille comme ces forces-là, les forces réactionnaires. En fait, tout montre que la dette et les déficits sont soigneusement entretenus par le désarmement fiscal – 62 milliards de cadeaux aux plus riches chaque année –, par des choix de politique monétaire et de financement de l’économie qui laissent les marchés financiers dicter leur loi, ne promettant que du sang et des larmes à celles et ceux qui travaillent, qui comptent sur des services publics performants garants d’une véritable égalité.

La réalité est bien plus ambivalente que celle d’un pays exsangue, au bord du gouffre, comme le décrit le Gouvernement. Nous abritons des familles qui sont sur le podium des plus riches du monde ; nous atteignons, parmi les pays d’Europe, les records de dividendes versés – plus de 100 milliards d’euros pour les entreprises du CAC40 en 2023 – ; les 500 plus grosses fortunes françaises ont vu leur patrimoine doubler en quelques années. Il y en a qui ne connaissent pas la crise !

À l’autre bout du spectre, des millions de nos concitoyens souffrent, ne peuvent remplir le frigo, vivent la précarité énergétique et connaissent la peur du lendemain. Ce sont celles et ceux qui se lèvent en Martinique pour combattre la vie chère et les oligopoles qui se servent sur le dos du peuple. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe GDR et LFI-NFP.) Ce sont ces étudiants qui renoncent à des repas, faute de moyens et du fait de loyers trop chers. Ce sont ces retraités obligés de reprendre une activité pour survivre. Ce sont ces artisans et commerçants qui pâtissent de la perte de pouvoir d’achat. Ce sont ces autoentrepreneurs, ces travailleurs ubérisés qui ne s’en sortent pas. Ce sont ces agriculteurs qui voient leurs revenus dégringoler, victimes d’un système où le prix payé ne couvre même pas la moitié des coûts de production. Ce sont elles et ce sont eux qui ne s’en sortent plus dans un pays aux ressources et aux richesses incommensurables. Voilà notre France, avec sa passion de l’égalité brisée sur l’autel des puissants.

Si crise il y a, elle n’est pas avant tout financière : elle est écologique, sociale et démocratique. Démocratique, car au-delà même du refus du Président de la République de respecter les électeurs et les élections, nos concitoyens ne supportent plus que vous fracturiez la société. D’aucuns expliquent au smicard que les difficultés sont la faute de l’allocataire du RSA, ou, à l’ouvrier français, qu’elles sont la faute de l’étranger, dans une course au bouc émissaire nauséabonde.

Pour que notre société soit unie, il est essentiel que nos choix collectifs, ces choix dont nous sommes fiers, tels que ceux relatifs à la sécurité sociale, aux grands services publics de la santé, de l’éducation, de la sécurité, de la justice, aux services de proximité exercés par les collectivités locales, soient financés, renforcés et efficaces.

Le pendant de cela, c’est le consentement à l’impôt. Depuis trop d’années, la part belle a été faite aux revenus financiers et à l’héritage, aux dépens des revenus du travail.

Il est maintenant documenté que dix points de notre produit intérieur brut sont passés de la rémunération du travail vers la rémunération du capital en quarante ans. La prégnance de plus en plus forte de l’héritage dans la constitution des patrimoines en est la meilleure illustration. L’ancien directeur de cabinet de Mme Pénicaud – cela ne s’invente pas –, Antoine Foucher, sonne l’alarme dans un ouvrage qui vient de paraître, Sortir du travail qui ne paie plus. Il explique que quand on travaille, après impôt, on conserve 54 euros sur 100 ; quand on investit et touche des dividendes, 70 euros sur 100, et quand on hérite, 94 euros sur 100. Il vaut mieux être bien né que travailler.

Cette société de l’héritage et de la rente est la négation des choix collectifs que nous avons faits et conduit à l’implosion du consentement à l’impôt, dont les gilets jaunes ont pu donner un premier aperçu. Vous amplifiez l’injustice fiscale, messieurs les ministres.

Aussi, quand le Nouveau Front populaire propose des mesures de justice fiscale, comme un prélèvement de 2 % sur le patrimoine des ultrariches – les 500 plus grosses fortunes, pour simplifier –, il s’agit d’une proposition de cohésion nationale. Il en va de même de l’instauration d’une nouvelle architecture fiscale concernant l’héritage, qui ne toucherait que les 8 % les plus riches. Quant aux profiteurs de crise, ceux qui ont réalisé des superprofits ou distribué des superdividendes, ils doivent comprendre que le jackpot, c’est terminé.

Enfin, il faut mettre fin aux mécanismes d’optimisation fiscale agressive qui combinent plusieurs dispositifs d’évitement de l’impôt, du pacte Dutreil au démembrement, en passant par les placements dans les holdings familiales. Cette optimisation agressive est le faux nez de la fraude et de l’évasion fiscale, évaluée à 80 milliards d’euros – une somme qui manque grandement à la France.

Plus de 50 milliards pourraient ainsi être dégagés et réorientés. La commission des finances avait d’ailleurs voté des mesures à cet effet, avant que l’extrême droite, la droite et l’extrême centre ne s’y opposent dans une grande alliance, de la villa Montmorency à Montretout, au détriment de la justice fiscale. Une telle réorientation devrait servir à contrer le creusement des inégalités sociales, documenté par une étude récente de l’Insee.

Contrer les inégalités sociales, c’est bien sûr prendre des mesures en faveur du pouvoir d’achat, par un relèvement du Smic et du point d’indice des fonctionnaires, et par la mise en place d’une véritable échelle des salaires, mais c’est aussi permettre à chacune et chacun de bénéficier de services publics efficaces et performants.

Les choix qui s’annoncent dans ce budget sont tout autres, avec des coupes claires dans l’éducation, l’hôpital public, la mission travail, le sport, la politique de la ville, l’économie sociale et solidaire, les outre-mer. Autant de crédits qui feront défaut aux classes populaires.

Messieurs les ministres, quand il s’agit de toucher les couches moyennes et modestes, votre génie est décuplé. Avec le décalage de la revalorisation des pensions de retraite, le déremboursement partiel de certains actes médicaux et de certains médicaments qui entraînera l’augmentation des primes de cotisation aux mutuelles de santé, ou encore les hausses des taxes sur l’électricité – mesures si insupportables que vous voulez recourir à des arrêtés pour vous en cacher –, 10 à 12 milliards d’euros seront directement ponctionnés sur tous nos concitoyens afin de préserver les plus aisés.

Vous allez, ce faisant, briser le peu de croissance qui pourrait se faire jour. En fait, avec ce PLF, vous faites tout à l’envers, en ne respectant même pas l’ambition essentielle d’une réponse à la crise climatique et écologique, niant la réalité tragique des inondations survenues ces derniers jours.

Vous êtes d’autant moins au rendez-vous de la crise climatique que vous affaiblissez, de surcroît, les collectivités territoriales. Il y a en fait beaucoup plus que les 5 milliards annoncés, si on y ajoute le gel de la DGF – 700 millions –, l’augmentation de la cotisation à la CNRACL – 1,3 milliard – ou encore l’effondrement du fonds Vert. Au total, près de 9 milliards d’euros manqueront aux collectivités territoriales pour investir dans la transition écologique : c’est un très mauvais calcul. J’espère que nous réussirons collectivement, comme nous y enjoignent toutes les associations d’élus, à faire échec à ce funeste projet.

Comment, enfin, ne pas s’alarmer du manque de prise en compte, confinant à la cécité, des pays dits d’outre-mer ? Les crises qui secouent les Antilles et la Kanaky-Nouvelle-Calédonie ne sont pas, messieurs les ministres, des épiphénomènes – et le téléphone marche bien, monsieur Armand. Elles prennent racine dans la colonisation et le mode de développement qui en a été la conséquence. Ne pas traiter cela par des actes politiques et par un soutien financier qui soit à la hauteur, mais ne compter que sur la force n’est pas source d’apaisement, mais d’embrasement. Ressaisissez-vous, car tous les pays dits d’outre-mer connaissent une crise profonde.

Je voudrais insister, pour conclure, sur la politique monétaire. Il existe plusieurs manières de financer les dettes souveraines des États. L’abandon de tout circuit du Trésor, fût-il européen, nous met dans les mains des seuls marchés financiers, et nous fait dépendre des taux d’intérêt de la Banque centrale européenne. Cela nous conduit à payer des intérêts qui atteignent des sommets, passant de 33 milliards d’euros, en 2022, à 56 milliards, en 2024. Jusqu’où allons-nous accepter cette folie qui ne sert qu’à alimenter la financiarisation de notre économie, sans maîtrise ni souveraineté ?

La création d’un pôle public bancaire, qui ne serait pas soumis à l’exigence de rentabilité du marché et qui serait capable de réorienter l’épargne nationale vers les investissements sociaux et écologiques utiles, en toute souveraineté, doit être notre priorité. (M. Jean-Victor Castor applaudit.)

Nous devons sortir de cette addiction au capitalisme financier débridé qui fait tant de mal à nombre de nos concitoyens, qui crée tant d’instabilité et de guerres, mais qui ne profite qu’à une petite caste de multimillionnaires et multimilliardaires – ce sont eux, les véritables assistés de notre société.

Messieurs les ministres, ce projet de loi de finances est la preuve que vous n’avez ni écouté ni entendu le cri qui monte du pays, dont les habitants n’en peuvent mais de votre autosatisfaction permanente, si éloignée de la réalité. Vos choix sont dangereux pour l’avenir d’une France que vous contribuez encore à fracturer.

Les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine s’opposeront à la première partie du PLF, à moins que l’esprit et les votes de la commission des finances sur les amendements de justice fiscale présentés par notre président transforment notre hémicycle pendant cette semaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et LFI-NFP, dont plusieurs députés se lèvent pour applaudir, et sur quelques bancs des groupes SOC et EcoS.)

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Nicolas
Sansu

Député de Cher (2ème circonscription)
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